Boston, tournant pour le journalisme numérique

Par Laure Nouraout, journaliste à New York - Billet Invité  

Samedi 20 avril, salle de conférence du New York Times. Après une semaine de breaking news intensive, le Social Media Summit, organisé par le NYT et la BBC Journalism School prend une journée pour réfléchir à la relation entre journalisme et médias sociaux, et plus largement sur le futur du journalisme.

Beaucoup de réflexions, encore peu de solutions... Pour un public averti — les trois-quarts de la salle sont des journalistes —, pas de rupture sur les thèmes abordés : paywalls, infotainement, journalisme citoyen et vérification de l'info...

La vraie valeur ajoutée de la conférence réside dans le regard sur la semaine écoulée, dominée par les attentats de Boston. Tout au long de la journée, les panélistes y font largement référence.

La conférence tombait à point nommé pour jeter un oeil sur la façon dont cette actualité de breaking news a été traitée et surtout consommée. Et public comme invités s'accordent à dire que Boston est un turning point pour le journalisme sur les médias sociaux. L'info a été vécue, commentée sur Twitter (LA plate-forme du breaking news), et a montré à quel point les médias traditionnels, et notamment la télévision était dépassée. Et c'est Mark Thompson, le patron du New York Times, ancien patron de la BBC, qui le dit...

La chasse à l'homme a été suivie en direct, et bien sûr les citoyens ont joué un rôle actif. Mais Boston a aussi été le théâtre de plusieurs ratés, d'erreurs journalistiques et de fausses informations diffusées à grande échelle. Ce n'est bien sûr pas la première fois que les médias se trompent, mais la viralité fait que maintenant, une erreur est immédiatement retweetée à l'infini.

Comment éviter les plantages des médias ?

Alors comment y remédier ? C'est le thème d'un mini-workshop où le public est chargé de trouver un moyen d'éviter la propagation de fausses ou mauvaises informations sur les réseaux sociaux, et notamment Twitter. Parmi les solutions proposées :

  • la possibilité d'éditer les tweets, pour qu'une correction soit répercutée sur tous les retweets, de manière rétroactive.
  • l'introduction de tags sur Twitter pour pouvoir signaler un tweet faux.
  • un rating des Twittos, permettant de voir si les edits réalisés sont des erreurs grammaticales ou des erreurs factuelles.
  • l'utilisation de Creative Commons sur Twitter pour donner la possibilité de réutiliser une image.
  • un bouton spécifique montrant qu'une info a été vérifiée par tel ou tel média.

Et comme souvent, on revient donc sur l'importance du travail de terrain, et la nécessité de privilégier la qualité à la rapidité. C'est ce travail de terrain qui est mis en valeur lors de la quatrième conférence, "Dispatches from Global Newsroom", un regard sur la manière d'utiliser les réseaux sociaux par les médias étrangers. Julien Pain (@_JulienPain), de France 24, évoque son émission Les Observateurs, en rappelant au public la réalité du métier de journaliste : ses "contributeurs" (des bénévoles dans les pays sensibles) sont tributaires du manque d'électricité, de transports, et risquent parfois leur liberté pour faire passer l'info. Une intervention qui lui vaut des applaudissements...

Twitter, la plateforme news

Le panel "The Future of News Organizations in an Increasingly Social World" le montre bien : Twitter, et dans une moindre mesure Facebook et les autres réseaux sociaux, dominent la discussion sur le futur des médias. En d'autres termes, comment les médias traditionnels peuvent-ils faire la différence et être complémentaires de Twitter tout en générant des revenus ?

D'où la question des paywalls, donnant lieu à une discussion entre Janine Gibson (@janinegibson) du Guardian, et Mark Thompson du New York Times, défendant chacun une vision très différente de l'information et de la manière de la distribuer. La première soutient que le Guardian ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui si la direction avait choisi de rendre les infos payantes, tandis que le patron du NYT pense que puisque l'on ne distribue pas le journal papier gratuitement, il n'y a pas de raison de le faire pour la version digitale.

Alors comment donner envie aux lecteurs de venir sur le site et de les faire rester ? La question est abordée lors du panel "How to Make Video Social". Pour Katharine Zaleski (@kzaleski) de NowThisNews, il faut attirer les internautes ("hook them") avec du fun, des vidéos virales qui sont partagées en masse sur les réseaux, et les faire rester avec des vidéos de qualité.

Il faut aussi parier sur l'interactivité et la convivialité, ce qui est aujourd'hui rendu possible par des outils comme Google Hangouts. Olivia Ma (@oliviama), patronne des news de YouTube, raconte par exemple ce moment-clé dans le Google Hangout avec Barack Obama où une femme pose une question au Président, et insatisfaite par la réponse, elle l'interrompt.

Mais dans cette discussion, c'est Andrew Golis (@agolis), de Frontline (PBS) qui a séduit le public, en montrant un extrait vidéo d'un reportage sur la Syrie. Réaction immédiate sur Twitter : les participants rappellent l'importance du reportage et surtout du journalisme dit "sérieux".

Pour résumer, la conférence n'a pas été l'occasion d'une révélation sur l'avenir du journalisme (si seulement...) mais une manière d'y réfléchir sur un cas pratique récent et déterminant.

Quelques infos sur les coulisses :

-  Toutes les conférences sont largement tweetées tout au long de la journée, et en quelques heures, #smsnyc devient une trend nationale aux Etats-Unis.

- David Carr (@carr2n), le brillant et très ouvert responsable de la rubrique média du New York Times, est définitivement un excellent modérateur : ironique, impertinent et très drôle.

-  La conférence a été l'occasion de tester Mahaya Seen, un nouvel outil encore en bêta qui permet de voir en une simple timeline comment un seul événement est commenté sur les réseaux sociaux : posts, photos, statistiques...

 

Laure Nouraout, Journaliste à New York. @LaureNouraout.