Internet Week : et le journaliste dans tout ça ?

 Par Laure Nouraout, journaliste à New York - Billet Invité  

  La semaine de l'Internet vient de s'achever à New York : sept jours d'événements, annonces, conférences et workshops pour célébrer le virage pris par la ville pour devenir la Silicon Alley, l'équivalent Côte Est de la Silicon Valley. On a beaucoup parlé médias et futur du journalisme... Une vision pleine de promesses et de bouleversements, déjà bien amorcés. Mais entre Mashable qui introduit Velocity, son algorithme de décision de la homepage, l'avènement de l'info à la carte et le recours aux images des témoins en breaking news, le travail du journaliste est remis en question. Pourtant, il n'a jamais été aussi nécessaire.

Il n'y a pas si longtemps aux Etats-Unis, la Une du New York Times donnait le pouls de la journée médiatique. Maintenant, la Grey Lady n'est plus seule : elle est en concurrence avec Twitter, BuzzFeed, Facebook... Tous les récents changements technologiques et logiciels ont amené une masse de contenus comme jamais auparavant (un chiffre : 100 heures de vidéos sont uploadées chaque minute sur YouTube) et c'est une force pour les médias. Le panel "Future of Media" est d'ailleurs unanime : le journalisme n'est pas mort, mais il en pleine mutation — en pleine disruption même, pour utiliser le mot à la mode.

Les journalistes doivent s'adapter, voire se réinventer, car c'est tout le monde des médias qui est bouleversé. La notion de marque est maintenant plus forte que jamais, comme le souligne les participants du panel "Tomorrow's Media Landscape". Il leur paraît clair qu'avec la modification dans le business model, dont les contours restent encore à définir, les marques-médias doivent se développer à partir de trois piliers :

  • la publicité,
  • la technologie
  • l'éditorial,

et pour lier le tout, le design. Les rédactions se construiraient alors autour de l'audience, et non plus d'un support, avec comme objet de différenciation, la ligne éditoriale.

Internet week

(Tout à droite, Larry Kramer, patron d'USA Today)

Recherche valeur ajoutée

Dans les faits, cela se traduit par la capacité des médias à rester fidèles à eux-mêmes. Juste après Boston, BuzzFeed, intiment lié à l’écosystème du web, en a tout de suite montré la réaction. Le Boston Globe et le New York Times ont capitalisé sur leur image de sérieux. Dans un autre ordre d'idée, Jennifer Reitman de Dame Magazine, a préféré traiter l'actualité sous l'angle des femmes terroristes, plutôt que de courir après le scoop.

La valeur ajoutée n'est plus dans la rapidité ou même le dévoilement du scoop, puisque c'est maintenant Twitter qui a la primeur, mais bien dans la capacité à "avoir une voix, et à proposer quelque chose d'unique", comme le souligne Pete Cashmore et Robyn Peterson, les têtes pensantes de Mashable. On se dirigerait donc vers un modèle assez hybride : beaucoup de contenus "snackable", facile et rapide, et des contenus avec une valeur ajoutée, où résidera la monétisation.

Et la qualité va aussi avec cette notion de contenus "premiums". Lors du panel "Conflict Journalism in the Social Age", les journalistes expliquent bien à quel point les réseaux sociaux sont un outil formidable de transmission de l'information en temps de crise. A condition que cette information soit vérifiée, pour faire le tri entre ce qui relève de la propagande et/ou de la désinformation. Et cela reste encore l'un des rôles principaux des journalistes.

En quelques années, Twitter s'est imposé comme le média du breaking news. Et avec cette transformation, l'exigence de rapidité devient une question de secondes. Conséquence directe : "le désordre d'une rédaction suivant une info qui tombe est maintenant totalement public sur le web", comme le précise Jonah Peretti, de BuzzFeed.

Cette immédiateté passe par le mobile : pour tous ces professionnels, les smartphones sont un élément-clé de la disruption. Brian Stelter, le spécialiste médias du New York Times, l'explique très simplement : la première chose que nous faisons le matin, c'est de regarder notre téléphone, pour voir en un clin d'oeil ce que l'on a raté pendant la nuit. Ce n'est qu'après que l'on allume la télévision ou la radio. Et à terme, le « wearable computing », avec en tête les Google Glass — qui font sensation dès que quelqu'un en sort une paire — sont la prochaine étape.

D'où l'importance du design, question centrale lors de l'Internet Week, qui y consacre une conférence : "How Design impacts the Newsroom". Les articles doivent être pensés pour toutes les plate-formes : tablettes, mobile, site... Avec pour conséquence, un changement dans l'approche des journalistes : "Peu de nos articles peuvent être écrits sous Word, ils sont complètement digital native", répète Kevin Delaney de Quartz. Les lecteurs sont friands de nouveautés, et c'est d'ailleurs pour cela que le fameux Snow Fall (NYT) a eu autant de succès. Mais tous s'accordent à dire que malgré l'aspect réellement novateur de cette histoire multimédia, elle ne peut pas devenir un modèle permanent.

Le métier a déjà muté

Mais alors, l'article tel qu'on le connaît serait-il en voie de disparition ? Oui et non. Il n'est plus que le début du processus, pour être enrichi et adaptable : "c'est le temps qui définit ce que devient un article". Chaque article devient alors une entité, mais aussi une porte d'entrée vers d'autres contenus : le nouveau design de Mashable intègre un "scroll infini", qui permet de découvrir des nouveaux articles en permanence.

La viralité prend donc le pas : Mashable utilise maintenant Velocity, pour automatiser la HomePage. En bref, le logiciel analyse les mots-clés et est capable de prévoir quand un article va être partagé sur les réseaux sociaux. Il est possible de reprendre la main, mais selon les patrons de Mashable, le logiciel est d'une pertinence parfois surprenante et sans faille.

Finalement, l'Internet Week a dédié une large part aux médias et aux transformations qu'ils vivent en ce moment. Certaines tendances de fond persistent et sont perçues comme des game-changers à long terme. Le métier de journaliste a donc déjà muté.

A toutes les anciennes exigences — honnêteté, crédibilité, vérification, mais aussi sens du storytelling — s'ajoutent de nouvelles demandes : être plus réactif, penser les articles en multimédia, maîtriser les réseaux sociaux et le SEO, prendre en compte l'aspect viral, voire avoir quelques notions de marketing... Un nouveau métier !

Laure Nouraout, Journaliste à New York@LaureNouraout.