Recherche confiance, désespérément !

Cette introduction du Cahier semestriel Méta-media est composée, une fois n’est pas coutume, de deux parties.

1 Et si « the Next Big Thing »si la « killer-app » était la confiance ?

Le monde des baby-boomers s’efface doucement ; nous sentons bien que nous passons d’une époque à une autre. Mais la transition est confuse, les tensions vives, les modèles économiques de plus en plus inadaptés.

La phénoménale accélération technologique actuelle devait apporter le progrès, la liberté, l’ouverture, le partage. Or, accusée de faciliter la mise en place d’une société de surveillance et de détruire les classes moyennes par l’automatisation, elle est, à son tour, cible de la défiance.

Vingt cinq ans après l’invention du web, le numérique vit en ce moment une triste -- mais classique -- période postrévolutionnaire, avec des partisans échouant à assurer la stabilité d’une situation qui leur échappe, des opportunistes qui en profitent sans vergogne, et des dirigeants maladroits, dépassés ou malveillants qui cherchent à en garder le contrôle. 

La nouvelle vie connectée continue pourtant de se déployer en abordant de nouveaux rivages : ceux d’un environnement entièrement informatisé en réseau, via l’essor de capteurs, caméras, logiciels du temps réel, bases de données, fermes de serveurs, et autre cloud, qui bâtissent sous nos yeux le « tout Internet ». Un univers étiqueté où tout ce qui est connectable sera connecté, où règneront réalité augmentée, intelligence artificielle et bientôt, des systèmes autonomes et des robots.

Mais les économistes n’avaient pas prévu le nouveau paradigme numérique qui amène l’abondance des biens à un coût marginal quasi nul ! Déjà la ré-industrialisation occidentale se fait avec moins d’emplois, et la part peu qualifiée du tertiaire commence à s’inquiéter, avec raison. Pour certains déjà, nous entrons dans une ère de Darwinisme numérique, de lutte entre la société et les machines.

Métamorphose d’Internet : d’ouvert à fermé, de libre à surveillé

Aujourd’hui, c’est donc un peu la gueule de bois :

  • La NSA a presque tué Internet, devenu un espace inquiétant de surveillance.
  • Nouveaux prédateurs, une poignée de  géants du web, forts de leur puissance inégalée et de leur position dominante, semblent invincibles. Ils sont en train de fragmenter, voire de verrouiller le web, qui devait être espace de liberté.
  • La neutralité du net, gage d’égalité de fonctionnement de tous les contenus, sites et plateformes en ligne, est mourante.

Rude prise de conscience ! Trahie, la confiance est-elle perdue ? Dans la nouvelle ère de l’information, le public commence à être gagné par le doute et l’anxiété sur la place laissée dans nos vies quotidiennes à des technologies à double-tranchant : formidables outils de la connaissance, de la communication et de la simplification, elles sont aussi devenues de dangereux délateurs au service de gouvernements et de multinationales, qui connaissent désormais nos habitudes, comportements et activités.

L’après Snowden : la surveillance de masse n’est plus de la science fiction, mais un problème social et politique à résoudre

Fêté en héros par une large part de la génération Y, soutenu par l’inventeur du web Tim Berners-Lee, reconnu par le prix Pulitzer décerné au Guardian et au Washington Post pour service rendu au public, Edward Snowden a dévoilé l’ampleur d’une relation unilatérale peu démocratique : les gouvernements en savent chaque jour un peu plus sur nous, mais nous savons de moins en moins ce qu’ils font.

Le pacte social est donc aujourd’hui fragilisé par l’accès des services de renseignements et des administrations, sans décision de justice, à nos déplacements et communications en temps réel.

La technologie a dépassé les responsables politiques. Certes, ceux-ci doivent exercer le pouvoir et assurer la sécurité. La lutte anti-terrorisme sert d'heureux prétexte pour renforcer la surveillance, limitant les libertés des citoyens. Ils ne devraient pourtant pas craindre de laisser les citoyens en charge d’Internet et de l’information, et encore moins les surveiller en refusant toute  transparence. Les citoyens devraient pouvoir enquêter sur les enquêteurs, réclamer une justification factuelle des mesures de sécurité, exigerle droit d’évoluer dans un environnement de confiance.

Le second volet de la surveillance : celle opérée par les géants du web

Le volet sécurité de la surveillance sera sans doute plus facile à résoudre que son volet commercial : celui de la revente sans contrôle aux marchands de nos vies privées par les entreprises du net et par conséquent de l’utilisation croissante de nos données personnelles dans la nouvelle économie numérique.

Car aujourd’hui, ces données -- les fameuses Big Data--  en sont devenues l’or noir mais profitent surtout à une poignée de géants qui dominent ce nouveau monde quasiment incontrôlé : cinq acteurs américains (Apple, Google, Amazon, Facebook et Microsoft) qui valent aujourd’hui plus de 1.100 milliards d’euros, soit plus que tout le CAC 40 ou le DAX allemand, et qui continuent de grandir de manière exponentielle.

Agrégeant contenus, applications et services, ils possèdent les plateformes via lesquelles le public communique, se divertit, fait ses courses, entre autres. Et préparent la suite en multipliant les rachats de petites sociétés, notamment dans la robotique

Pleins d’arrogance, ils veulent faire croire que le numérique, imprévisible et un peu magique, transcende les lois économiques et met fin à la vie privée de ses utilisateurs. Or même gratuits, ces services nous coûtent quelque chose : l’incroyable masse de données que nous laissons derrière nous.

Avec nos emails, nos achats en ligne, nos posts Facebook, nos Tweets, nos photos Instagram, les selfies, nos vies sont désormais documentées 24h/24. Sans nous en rendre compte, nous produisons aujourd’hui plus de données en une journée, qu’une entreprise en un an il y a une décennie !

Nos données de mobilité et la plupart des applications téléchargées disent tout des endroits où nous sommes allés. Celles de nos conversations disent tout de nos interlocuteurs, de l’heure et de la durée de nos communications.

Les prédateurs de nos données, revendues avec des profits gigantesques sans nous informer correctement, savent ce que nous faisons, ce qui nous intéresse, quasiment ce que nous pensons. Déjà les firmes de « wearables », qui traquent nos données médicales, les revendent, y compris  à nos employeurs… (et demain à nos compagnies d’assurance ?).

Engagés dans cette course et tentés d’aller plus vite que la loi, ces géants croisent ces données entre terminaux, sites et acteurs, dont nous ignorons tout. Nous sommes devenus le produit en sacrifiant notre vie privée, et nos données sont désormais des denrées banales, la matière première des annonceurs (le monde de la pub, bien à la remorque, devrait d’ailleurs être plus transparent dans ses prix et manipuler avec précaution la publicité «  native »).

Questions sur les effets pervers de la gratuité

Mais à quel degré d’exposition le public est-il prêt ? Avec qui ? Quel pourcentage de ses données personnelles est-il prêt à lâcher ? Qui les possède ? Qui les contrôle ?  Nul ne le sait. Et surtout, personne ne lui demande. 

Dans 10 ans, les services connectés seront-ils tous gratuits en échange de nos données ? La banque ou l’assurance aussi ?

Et puisque les données sont le nouvel or noir, pourquoi les géants viennent-il forer chez nous gratuitement, sans partager ?

Certes, le consommateur s’attend à être connu en ligne, donc à bénéficier d’un meilleur service, plus personnalisé et délivré via son canal d’informations préféré, homogène entre plateformes. Il s’attend à être la cible de recommandations basées sur son style de vie, ses achats précédents, son historique de navigation. Mais les services rendus sont aussi sujet à caution : ceux qui parlent le plus fort ou paient le plus arrivent en premier sur votre écran ! Sous les capots, les coups de tournevis dans les algorithmes se font à l’abri des regards.

Paradoxalement, ces firmes qui prônent une culture de l’ouverture et du partage,   pratiquent toutes un culte du secret qui frise parfois la dérive sectaire. Et la prise de conscience autour de la surveillance va remettre des barrières à l’entrée, accroître les coûts du numérique et donc favoriser… les gros acteurs en place ! La balkanisation du web a donc bien commencé : ces géants veulent tous nous enfermer dans leur propre écosystème.

Se réapproprier Internet

Des gestes simples et quelques conseils semblent désormais essentiels pour tenter d’atténuer le profilage croissant des individus. A commencer par adopter une bonne hygiène des données sans attendre les directives officielles car les gouvernements et les parlementaires n’y comprennent encore pas grand chose.

Le public ne sait ni quelles données sont collectées, ni ce qui en est fait. Les règles du jeu ne sont ni comprises, ni connues.

Une nouvelle base de confiance passerait par des informations transparentes sur  la nature et l’utilisation des données collectées, la durée et la répartition géographique de leurs stockages et le recours au chiffrement et à l’open source. L’anonymat des données pourrait permettre de se protéger et de poursuivre l’innovation, comme leur durée de vie limitée.

Lire, écrire, compter et… coder !

La restauration de la confiance passerait aussi par une plus grande techno-littératie des citoyens, et même une certaine familiarisation avec le code (qui permet la communication homme-machine), voire son apprentissage déjà encouragé dans de nombreux pays où sévit dangereusement une grande pénurie de développeurs.

Il faut surtout contraindre les géants du web à cesser de prendre le consommateur par surprise. L’exigence est simple : qu’ils disent au moins ce qu’ils font et fassent ce qu’ils disent ! Qu’ils ne compliquent pas l’utilisation des outils de protection de la vie privée. Et d’une manière générale, qu’ils rendent la responsabilité et le contrôle des données à leurs émetteurs, c’est-à-dire au public, qui retrouverait du libre arbitre avec des droits associés.

Nouvelles hégémonies dangereuses

Mais leur appétit est aujourd’hui insatiable. Apple achète de la bande passante à tour de bras, Facebook met des milliards dans des messageries instantanées et espère gagner la course de l’intelligence artificielle contre Google, qui, de son côté, rachète toutes les firmes de robots, investit la domotique et l’Internet des objets, et devient un problème en Europe, où il fait de plus en plus peur.

Cette défiance numérique est aussi alimentée par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) qui n’hésitent pas à faire payer plusieurs fois leurs services, renforcent leurs marges importantes et sont en train de s’orienter dangereusement vers la discrimination des contenus par l’argent en créant un web à deux vitesses. Les riches circuleront sur la voie express rapide, les autres resteront coincés dans les embouteillages.

L’indispensable neutralité du Net est bien plus qu’un sujet économique et technique. Elle protège nos libertés publiques : liberté d’expression ;  l’accès à l’information,  aux services ou aux contenus de son choix sans entrave ; liberté d’entreprendre, d’innover ou de créer de la valeur.

Aux Etats-Unis, la fusion annoncée des deux plus gros FAI (Comcast et Time Warner Cable) renforcera encore leur puissance face aux producteurs de contenus et aux plateformes Internet. Détestées par les Américains, ces firmes accentuent leur monopole sur l’accès Internet et sur les bouquets de contenus qui y sont enfermés.

Même si le Parlement européen s’est ému et a bien réagi, cette question cruciale a bien du mal à redescendre au niveau des citoyens faute d’intéresser les médias traditionnels qui restent incapables de lancer un débat sur le futur d’Internet.

Des craintes apparaissent dans les sociétés occidentales vis-à-vis des avancées perceptibles (robots, nanotechnologies, biologie synthétique…), de la co-évolution homme-machines, des inégalités d’accès à ces technologies comme de la fracture numérique. Des tensions sociales apparaissent, qui touchent même la Silicon Valley : des habitants de San Francisco ne commencent-ils pas à se révolter contre l’arrogance des geeks (comme l’illustrent les attaques contre les bus de Google) ? 

Pour des puissants redevables

Mais qu’on le veuille ou non, la technologie, désormais au centre de nos vies quotidiennes, privées comme professionnelles, domine et pilote notre siècle.

Comment donc recréer un climat de confiance dans ce nouveau bien public qu’est Internet quand règnent désormais une surveillance omniprésente, l’invasion de la vie privée et les discriminations d’accès ? Quand les gouvernements et les géants du web –- qui coopèrent entre eux -- en savent plus sur nous que nous–mêmes ? A la vitesse actuelle de disparition des leaders, que deviendront nos données quand un (ou plusieurs) de ces géants aura fermé, dépassé par d’autres, plus agiles ?  

Comment contrôler l’essor des systèmes de reconnaissance faciale, drones, caméras toujours en prise dans les rues, les wagons, les bus, le métro, les boutiques, les administrations ?  Comment éviter l’usurpation des infrastructures et des services ? Quelle est la souveraineté sur le réseau, qui a l’autorité sur les données et le cloud ? Comment garder un Internet décentralisé ? Comment élargir le web pour qu’il nous isole moins de vastes parties du monde, nouveaux angles morts de la mondialisation numérique ?

Heureusement l’internationalisation de la gouvernance d’Internet est en marche. Les Américains lâchent du lest et transmettent des prérogatives, mais l’absence de vision de nombre de pouvoirs publics européens, sans moyens ni regard global, est patente. Et des solutions anti surveillance commencent à émerger.

L’arrivée de l’informatique cognitive dans les médias

C’est d’autant plus important qu’en ce moment le phénomène des « Big Data » enclenche la vitesse supérieure, passant de l'extraction brute à la signification des données, de leur utilisation descriptive à leur usage predictif. 

En gros, jusqu’ici, les ordinateurs calculaient. Aujourd’hui, ingérant des millions de données par seconde, ils apprennent et enseignent à d’autres machines. Et surtout, ils commencent à anticiper en faisant parler le déluge de données. Leur défi est de transformer notre implicite en explicite.

Robots, caméras intelligentes, voitures autonomes : l’informatique cognitive nous traitera-t-elle demain comme de simples ordinateurs ?  

Concrètement, contrôlant des pans croissants de nos vies, les algorithmes – dont nous ne savons rien-- sont les nouveaux garants de la distribution pertinente d’une info, d’un contenu, d’une œuvre.

Dans les médias, ils sont en train de programmer la programmation pour faciliter la découverte dans le bruit. En proposant une meilleure expérience au public, dans les médias et la vidéo, les moteurs de recommandations du web intuitif deviennent primordiaux et privilégient le contexte –- ce qui est important pour vous à un moment donné – avant même que vous ne le cherchiez. 

Dans le commerce de détail, ils ont toutes les données et les recoupent : ils savent qui vous êtes, vos habitudes, où vous avez l’habitude d’aller, à quelle vitesse vous conduisez, où vous passez vos week-ends, vos vacances, votre pouvoir d’achat, ce que vous avez acheté, à quels prix, qui vous fréquentez, etc. Les prix proposés sur les sites seront donc fonction de votre porte-monnaie… et tous les marchands paieront à Google et aux autres Facebook pour avoir cette information : combien ils peuvent, par exemple, vous surfacturer l’aller simple Paris – Genève (entre 56 et 194 euros).

Rétablir la confiance passe donc aussi par des facteurs objectifs : les données peuvent forcément en être ! Mais aujourd’hui ce sont les mêmes géants du web qui possèdent l’essentiel de la puissance de traitement informatique et les gigantesques serveurs qui contrôlent ces données. 

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2 Le « Zeitgeist » par les données !

Aujourd’hui tous les médias numériques se transforment en entreprises de données, et pas forcément pour le pire. Données utilisées pour améliorer la personnalisation de l’expérience, choisir les contenus, cibler les consommateurs, proposer les offres, flairer l’air du temps, attirer la publicité où des campagnes précises remplacent les vieux tapis de bombes.

La valeur est moins dans une distribution aveugle que dans l’engagement régulier avec ses utilisateurs, via les données. Leur analyse n’est plus optionnelle pour les médias qui ont encore du mal à en profiter. Mais tous les grands groupes constituent leurs équipes. Y compris dans le journalisme (journalisme de données, journo-codeurs, fact-checking).

La confiance, base de la relation du public avec les médias, sources de lien social de proximité, passe par des informations fiables, intègres, pertinentes et désormais par une meilleure compréhension de la société, y compris de la nouvelle génération « sociale/mobile/temps-réel » qu’il faut aller chercher, au lieu d’attendre qu’elle vous trouve !

 Le nouveau journalisme passe aussi par les données

Médias et journalisme continuent d’être découpés en morceaux, en fonctions, niches, audiences. Comme le patient qui va directement chez le spécialiste sans passer chez son généraliste pour chercher l’expertise, le public s’oriente vers les sites spécialisés selon ses besoins et la confiance qu’il leur accorde. 

Une nouvelle vague de sites d’infos est apparue ces derniers mois, associant plus étroitement journalisme et technologies, via plus de statistiques, visualisations, infographies, algorithmes et proposant, sous le label du « journalisme explicatif », une mise en forme de l’information qui ne court plus après le temps : Vox, FiveThirtyEight, UpShot, De Correspondent, …

Les grands médias de notre génération sont en train d’être bâtis sous nos yeux : regardez Vice, AwesomenessTV, The Young Turks, BuzzFeed, Medium (le YouTube du texte) ou bien sûr YouTube ! Ce sont eux qui informent les jeunes, lancent les stars d’aujourd’hui et de demain, déjà reçues à la Maison Blanche.

Les médias historiques ne font plus rêver les jeunes. Le numérique devient synonyme de non-traditionnel, la médiation est visuelle. Les formats changent, comme leur durée. De plus en plus, l’accès passe par le streaming, le modèle économique par l’abonnement. Avec le monde au bout des doigts, cette génération continue de modifier radicalement les habitudes de consommation de médias. Le temps passé sur les mobiles a quintuplé en trois ans pour dépasser celui consacré à la télévision.

Elle veut un service sans couture en mobilité et à la maison, à la demande avec une connectivité permanente à haut débit, pas du broadcast qui interrompt le temps.

L’invraisemblable basculement vers le web mobile prend tout le monde de court dans les médias. Même Google se dit surpris.

Une seconde peau numérique

Fuyant les marques, et leurs parents, le jeune génération quitte Facebook pour Instagram, MTV pour Vine et privilégie SnapChat, et autres messageries éphémères, voire anonymes. Les « GoPro » filment ses exploits en quelques secondes vidéos. Aux concerts, les selfies se comptent par milliers ! Des stars sont plus connues sur Instagram ou Vine que sur YouTube, nouveau concurrent de la radio. Les jeunes ingurgitent et repartagent autant d’infos en une journée que durant toute une vie à la Renaissance.

Grâce au smartphone, principal point d’accès au réseau, ils sont aussi tous producteurs, diffuseurs et promoteurs. L’audience devient elle-même célèbre et a sa propre audience aujourd’hui ! La frontière est de plus en plus floue entre les plateformes et les éditeurs, entre Vice, Facebook, Medium, Redbull, Pepsi ou Nike !

Un peu plus vieux, ils commencent à délaisser les salles de cinéma pour privilégier Netflix et les nouveaux services de streaming et de VoD (iTunes, Amazon Prime, Hulu, ….). La télévision connectée devient la nouvelle grande tendance de consommation de fictions et de divertissement, et la connectivité, l’outil le plus puissant aujourd’hui pour les grands acteurs de l’audiovisuel. Les nouvelles clés de streaming faciles à utiliser, comme Chromecast, favorisent cette adoption, et réorganisent l’offre en nouveaux bouquets, aménagés par communautés d’affinités et de goûts, via des marques fortes, et non plus par tranches horaires arbitraires.

Le futur de la TV passe par le web

Les géants du web continuent leur hold-up sur Hollywood et transforment le rapport du public à la télé et au cinéma. Après Netflix, qui a mis toute l’Amérique au streaming, et YouTube, c’est au tour d’Amazon, Yahoo et Microsoft de se lancer à l’assaut de la télévision en produisant des séries, nouveau référent culturel et lien social de notre époque. 

La télévision connaît un vrai nouvel âge d’or, nourri d’excellentes séries et des talents du cinéma qui s’y ruent. Elle devient une des plus importantes opportunités pour les créateurs. Mais elle doit aussi se réinventer pour continuer de jouer un rôle de tiers de confiance pour faire découvrir, rendre accessible, mettre en contact, notamment via l’événementiel et le direct. Le service public a là un rôle déterminant à jouer, en phase avec sa mission. Comme pour garder l’attention du public, car la télévision n’est plus seule, loin de là, à proposer des contenus de qualité qui alimentent l’hyper-offre qui arrive.

Le monde du cinéma a longtemps cru, comme celui de la musique, qu’il était meilleur que son public. Aujourd’hui c’est une industrie sclérosée, obsédée par la pérennité de financements traditionnels et incapable de regarder du côté des nouveaux débouchés. Or la création n’est tout simplement plus ni distribuée, ni consommée comme avant.

La TV de rendez-vous, pilotée par les directeurs de programmes, est désormais complétée d’une forte consommation à la demande, commandée par le public qui a repris sa liberté, devenant l’éditeur de son expérience et consommant des contenus de plus en plus fragmentés, dégroupés et parfois ré-agrégés.

Ce basculement de la télévision historique vers la vidéo en ligne - le média qui croît le plus en ce moment - se fait sous l’effet conjugué d’un déferlement multi-contenus, multi-écrans, multiplateformes avec la puissance des nouveaux distributeurs du web, qui diffusent des millions de vidéos à des centaines de millions de personnes en produisant de plus en plus des contenus originaux. On retrouve là encore, nos géants : Apple, Google/YouTube, Amazon, Microsoft mais aussi Yahoo, Sony et bien sûr Netflix. Un basculement qui passe souvent aussi par des coûts de production bien inférieurs et par l’utilisation de … données pour comprendre le marché et l’audience. 

Les ressorts de cette nouvelle expérience TV/vidéo sont la personnalisation, la simplicité d’usage, et la qualité des contenus. La consommation devient plus interactive et plus individualisée, même à plusieurs dans le salon. En résumé, beaucoup moins passive et plus engagée. Avec de nouveaux usages et leurs nouveaux verbes : « binger », « spoiler », « streamer », « shazamer », etc…

Faire aussi confiance au public

Là encore, pour ces nouveaux publics la confiance est clé. Mettez des barrières pour compliquer leur vie : ils les contourneront ou iront ailleurs. Une fois les offres légales installées, le piratage est en chute libre. L’industrie de la musique, qui a voulu criminaliser une génération en attaquant en justice son propre public, a ainsi retrouvé le moral. Pourquoi pirater, alors que pratiquement tout est désormais en accès légal ?

Dans ces nouveaux médias, le fonctionnement en réseaux remplace progressivement les structures hiérarchiques bureaucratiques du passé. L’objectif est de faire mieux avec moins, via des concepts modernes (fablab, open space, concept store, ateliers co-créatifs, temps dédié à la créativité ...), en favorisant contribution, expérimentation et audace ; et pour faciliter les mutations, en recourant au « design thinking », mélange de pratiques analytiques et intuitives centrées sur l’humain. Des logiques de confiance du web qui commencent à s’appliquer d’ailleurs au reste de la société

Les logiques de réseaux de notre nouvelle vie connectée, conjuguées à un marché de l’emploi déprimé, sont en train de favoriser une nouvelle économie du partage, basée justement sur la confiance, parfois en des inconnus (Airbnb, Uber,…) qui créent de nouvelles places de marché, de nouvelles relations sociales décentralisées, voire une nouvelle idée de la propriété. A rebours de la confiance institutionnalisée, aujourd’hui démonétisée.     

La confiance, un nouveau service

En toile de fond de nos existences, dans un siècle piloté – on l’a dit - par la technologie, le tout Internet, nouveau système nerveux de la société, va donc continuer de modifier notre compréhension du monde.

Déjà la réalité virtuelle, qui accueille les jeux mais aussi les vidéos, devient le nouveau terrain de jeu des géants du web (Google, Facebook, Sony). Les internautes s’habituent aussi à une plus grande immersion dans l’image, via l’Ultra haute définition (écrans Rétina, tablettes …). La 4K, à laquelle les groupes de télévision ont du mal à s’adapter, devrait ainsi arriver par l’OTT et donc Internet, tandis que se multiplient les  « wearables », toujours plus nombreux sur nous (lunettes -dire Glass !-, montres, gants, casques, bracelets,…).

Dans un monde plus rapide, les médias gagnants seront, certes, ceux qui remporteront la guerre de l’attention sur les multiples écrans. Nombre d’entre eux font tout aujourd’hui pour reprendre un peu de cerveau disponible à Facebook et Twitter.

Mais, cela ne suffira pas. Dans ce monde aussi plus instable, il ne s’agit pas de restaurer l’autorité des médias, ni de courir après de vieilles certitudes, mais de rétablir … la confiance. Une confiance qui se mérite !

La confiance est donc un nouveau service, qu’il s’agit de (re)créer pour bien naviguer dans ce nouveau monde et en profiter ! Un service qui s’appuiera sur la nouvelle perspicacité d’un public plus engagé, plus actif, qui a pris le pouvoir, et sur une coresponsabilité.

En bref, si cette confiance qui se partage aujourd’hui, plus qu’elle ne se donne, était devenue la nouvelle monnaie d’échange ? Avant de vouloir votre attention, votre temps, je veux que vous me choisissiez !

Eric Scherer

(Introduction au Cahier de Tendances Méta-Media N°7, Printemps - Eté 2014)