Le programmatique, nouvel eldorado de la pub

Par Yannick Lacombe, Directeur Général adjoint, France TV Publicité

L’offre publicitaire n’a jamais été aussi importante et sa valeur marginale aussi faible 

Le marché de la publicité subit un bouleversement sans précédent. Les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies déterminent une nouvelle donne d’usage et bousculent les équilibres. Les chaînes de contenus se multiplient, tout comme les points d’accès à ces contenus, qui deviennent apatrides : ils peuvent se consommer loin de leur émetteur d’origine. Le monde du social devient un accélérateur de diffusion : les contenus se viralisent, prolifèrent, se transforment.

Les technologies numériques introduisent ainsi une rupture radicale dans la manière de consommer et de concevoir les contenus. Et parce que la gratuité reste le modèle dominant dans la consommation des contenus, la publicité est un élément déterminant dans l’équilibre de l’écosystème.

Et pourtant … Les contenus sont partout, tout le temps, protéiformes, parce que l’usage le demande. La publicité l’est aussi. A chaque instant, dans chaque environnement quel que soit le point d’accès, la publicité est présente. Elle cohabite avec le contenu. Tantôt immersive, tantôt intrusive, tantôt native, elle rémunère la création, contribue au champ des possibles.

Le paradoxe est que face à une offre publicitaire qui n’a jamais été aussi importante, la demande, elle, n’a jamais été aussi faible. Ce profond déséquilibre crée une vive tension sur les prix. Les raisons sont certes conjoncturelles mais surtout structurelles et au caractère durable. Alors que le monde des médias revit sans doute une époque pionnière, leur équilibre économique n’a jamais été aussi incertain.

Les acteurs du marché de la publicité doivent réinventer leur modèle, le programmatique en est la pierre angulaire 

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Face à ce constat, les acteurs de la publicité – comme de nombreux autres -- doivent se réinventer et il leur appartient de repenser leur modèle. Le plus impressionnant dans cette mutation c’est la revisite des modes de transaction, des techniques de commercialisation allant vers plus de d’automatisation, de productivité, de fluidité, de personnalisation et d’efficacité. La technologie est sans aucun doute le moteur de cette réinvention.

Ce n’est pas une réelle surprise de voir l’industrie de la publicité soumise à de profondes mutations sur ses techniques de commercialisation. D’autres grandes industries présentant les mêmes caractéristiques : inventaires périssables, ventes par réservation, couts variables unitaire faibles, ont déjà engagé leur transformation.

Le tourisme, la distribution, les marchés financiers. Tous ces secteurs ont révolutionné leurs techniques de commercialisation en mettant la technologie, l’intelligence artificielle au cœur de leur transformation :

  • L’utilisation de l’internet puis des applications comme un nouveau canal de vente
  • L’utilisation de la technologie pour adapter en temps réel le prix à la demande et à l’environnement concurrentiel
  • L’utilisation de la technologie et de la data pour personnaliser le merchandising des sites et les offres commerciales associées en temps réel
  • L’utilisation de la technologie pour réunifier les mondes physiques et virtuels en les adressant de manière transversale et holistique

Digitalisation des ventes, automatisation des échanges commerciaux, fixation des prix et des offres en temps réel, c’est exactement la révolution qu’est en train de connaitre le marché de la publicité.

Le programmatique en est l’emblème absolu, le nouvel eldorado des publicitaires.

A l’origine du programmatique, le RTB 

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Le programmatique est né avec le RTB (Real Time Bidding), il y a à peine 3 ans. C’était il y a une éternité tant le cycle d’apprentissage fut rapide.

Le principe est simple. Mettre en relation des acheteurs et des vendeurs de publicité via des technologies d’achat (DSP – demand side platform) et de vente (SSP – sell side platform) leur permettant d’émettre de manière automatisée des ordres d’achat et de vente en temps réel aux enchères, impression par impression et donc cookie par cookie.

Si le programmatique adressait originellement l’environnement display web, il s’est universalisé avec la vidéo et les applications mobile et tablette. Il a aussi petit à petit enrichi son offre de formats, allant même jusqu’à proposer des formats de Native Advertising.

Le cycle d’échange entre un acheteur et un vendeur est formidablement court. Moins de 120 millisecondes du chargement de la page par l’utilisateur jusqu’à la diffusion de la publicité.

Le marché de la publicité s’est organisé pour adopter cette nouvelle manière de concevoir une transaction publicitaire.

Les agences médias ont créé leurs trading desk, les régies médias se sont alliées pour créer des places de marché premium, La Place Média ou Audience Square pour ne citer qu’elles, les géants du web ont intégré ces technologies dans leur écosystème (Google avec Doubleclick, Facebook avec FBX) et une multitude d’acteurs indépendants sont nés, les uns spécialisés dans l’achat ou la vente, les autres dans la technologie car l’organisation du secteur permet l’intégration de nombreuses briques permettant l’optimisation des campagnes sur du ciblage, de la conversion, de la répétition, etc …

Parmi ces briques technologiques, celle figurant la data au travers des DMP (Data Management Platform) est sans doute la plus structurante de l’écosystème. Elle permet, une fois interfacée avec les plateformes d’achat et de vente, de qualifier en temps réel les cookies qui naviguent au sein des contenus de critères permettant de rendre plus efficace le ciblage. Ces critères pouvant émaner des bases propriétaires des éditeurs ou des annonceurs ou des comportements de navigation observés sur leurs environnements propres (First Party data du CRM par exemple) ou être approvisionnées par des acteurs tiers (Third Party data).

Le mouvement est fort, le mouvement est radical. Le programmatique est le catalyseur d’une transition. Celle du passage d’une logique média planning vers une logique audience planning.

La technologie, les solutions, les usages, ont d’abord été mis en place aux Etats-Unis. Ensuite, les premiers marchés qui ont adopté le programmatique ont été le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la France. Désormais, les acteurs de l’industrie affirment vouloir se tourner vers l’Allemagne et les pays émergents, comme la Chine et le Brésil.

50% de croissance moyenne par an jusqu’en 2017 !!!

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Le cycle d’adoption du programmatique fut très court. Après 2 ans d’éclosion, 2013 a marqué l’explosion de ce nouveau mode de transaction. Selon l’observatoire de l’E-pub SRI-UDECAM-PwC, le taux de croissance s’établit en France à 125% entre 2013 et 2012 pour atteindre 117 millions d’euros. En 2014, la croissance devrait être de 50% et ce, chaque année jusqu’en 2017.

En France, le programmatique pèse déjà 22% des achats du display sur le 1er semestre 2014. A horizon 2017, il en représentera près de 35% selon PwC alors qu’aux Etats Unis, il atteindra près de 45% des achats.

La croissance est fulgurante et certaines grandes agences médias, au travers de leur trading desk, consacrent déjà plus de 50% de leur achat vidéo au programmatique.

Le programmatique ? Les programmatiques !

Aujourd’hui les technologies ont évolué, se sont précisées, se sont adaptées aux pratiques du marché publicitaire. Il est difficile de parler d’un programmatique au sens originel du terme tant les modalités de transaction se sont diversifiées, se sont étoffées.

L’achat programmatique peut toujours se concevoir aux enchères, mais aussi avec un CPM fixe. Il peut également être associé à une garantie de livraison d’inventaire alors que le temps réel et les enchères imposaient la non-garantie de livraison comme un facteur inaltérable entre un acheteur et un vendeur.

En substances, les pratiques historiques des agences et des régies adoptent ce nouveau canal de transaction. Il est maintenant possible de garantir un volume de vente avec un CPM fixe dans un cadre de diffusion choisi et opéré par le canal programmatique avec tous les bénéfices qui lui sont associés en termes de ROI.

Le programmatique, une affaire de simplification du workflow, de data, de ROI mais aussi de nouveaux métiers

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Les annonceurs utilisent l’achat programmatique pour un meilleur ciblage de leurs prospects ou clients. Les algorithmes, de plus en plus rapides, intègrent des sets de données de plus en plus volumineux. Le couplage des données de navigation à des données internes de type CRM permet de toucher avec une plus grande précision les cibles recherchées. Au final, les gains en termes de ROI sont considérables. Plus de leads qualifiés et des niveaux de conversion de plus en plus importants.

L’achat programmatique se conçoit de manière universelle. Plus de frontières entre les différents canaux. Les annonceurs ont une vision globale de leur audience. Les technologies permettent aux annonceurs de reconnaitre leur cible tout au long du parcours utilisateur et leur offre donc la possibilité d’activer la juste pression publicitaire avec une création adaptée étape par étape jusqu’à la conversion.

En résumé, les annonceurs ont désormais la possibilité d’enchérir sur des impressions publicitaires en fonction de l’environnement auprès duquel leur campagne obtient le plus de succès indépendamment du canal ou de la technologie utilisée par l’audience ciblée.

Pour les éditeurs, le programmatique est une véritable opportunité. L’efficacité des campagnes RTB a permis aux éditeurs de revaloriser la publicité numérique. Par ailleurs, l’automatisation d’un nombre croissant de formats permet de se concentrer sur des emplacements premium ou des opérations spéciales à plus forte valeur ajoutée pour les éditeurs.

Enfin, le programmatique améliore la productivité par une simplification du workflow. Ces nouvelles pratiques permettent d’optimiser les coûts de commercialisation.

Mais cela s’accompagne de l’adoption de nouveaux métiers par le marché publicitaire. Pour maitriser ces technologies et apprivoiser les logiques d’optimisation liées à la data, de nouveaux profils, de nouvelles compétences ont émergé. Ne parle-t-on pas de Data Scientist, de Chief Data Officer ou encore de Yield Manager ? C’est toute la chaîne de valeur entre l’acheteur et le vendeur qui se redessine pour redéfinir un environnement métier en pleine transformation. La formation et le recrutement de talents deviennent donc un enjeu crucial pour le secteur.

La transition d’un modèle classique vers celui faisant usage de technologies et solutions pouvant tirer profit des données au sujet des utilisateurs en temps réel de manière à leur montrer des messages ultra-personnalisés à une échelle industrielle semble quasiment achevée. La promesse de 2013 du « programmatique partout » paraît en effet devenir rapidement une réalité en 2014.

 Le programmatique, partout ou presque ! 

Le programmatique ne restera pas cloisonné au monde du digital. La prochaine grande transformation, elle est cross canal. Adapter les techniques de commercialisation du programmatique au monde des médias linéaires et réunifier ces deux mondes autour de l’optimisation temps réel et de l’automatisation.

Pour les médias qui sont naturellement connectables (la télévision, la radio), l’adoption des logiques programmatiques est une évidence. La seule question qui se pose est celle du temps d’apprentissage et l’adaptation du cadre réglementaire.

Pour les médias dont les capacités de connections semblent moins évidentes (la presse), il s’agira sans doute de réinitialiser un workflow entre l’achat et la vente davantage simplifié, plus productif, enrichi de données sans pour autant aller jusqu’à la diffusion temps réel.

Les signaux ne sont plus si faibles, car de nombreuses initiatives existent déjà. Un certain nombre aux Etats Unis dont celle de Dish Network, le second opérateur américain de TV par satellite, et quelques-unes déjà en France au travers d’un projet collectif d’éditeurs de la presse écrite.