IBC : la 4K attire toutes les convoitises

Par Jérome Derozard, consultant pour France TV Editions Numériques, et entrepreneur

L’IBC, grande messe annuelle rassemblant plus de 50.000 professionnels de l’industrie de la télévision à Amsterdam, a fait comme l’année dernière la part belle à la 4K, les grands diffuseurs étant invités à moderniser au plus tôt leurs chaînes de production pour faire face au défi de l’Ultra Haute Définition.

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Les premières chaînes linéaires diffusant en 4K ont été annoncées au cours des derniers mois, avec une diffusion essentiellement par satellite. A court terme la diffusion par Internet en « Over the Top » ou en IPTV est privilégiée pour la distribution des contenus très haute définition au plus grand nombre.

Consolidation du secteur, bataille des codecs et alliances

Pour assurer la diffusion via internet dans de bonnes conditions tous les diffuseurs doivent déployer de nouveaux capacités d’encodage supportant les nouvelles résolutions et formats de la 4K, ce qui provoque une certaine effervescence dans le secteur. En témoignent les rachats successifs de deux startups spécialisées dans l’encodage vidéo: l’Américain Elemental par Amazon (via sa filiale Amazon Web Services) et le franco-américain Envivio par Ericsson. Cette consolidation est le symbole de plusieurs tendances dans l’industrie : le passage à des solutions entièrement logicielles (par opposition aux encodeurs matériels), hébergées dans sur des infrastructures mutualisées (le « cloud » par opposition aux serveurs physiques), et fournies par de grands acteurs des télécoms ou de l’informatique (en remplacement des acteurs issus du monde de la TV).

En parallèle de cette consolidation se tient une « bataille des codecs », ces algorithmes de compression qui permettent de réduire la taille des vidéos Ultra Haute Définition pour qu’elles puissent emprunter les réseaux actuels. Alors qu’il y a quelques mois le standard HEVC/H265 semblait en passe de s’imposer, l’annonce d’un nouveau groupe d’industriels détenteurs des brevets sur le format HEVC, HEVC Advance, et surtout de son modèle de licence basé sur les revenus générés est en train de rebattre les cartes. En clair, chaque diffuseur choisissant le format HEVC devrait s’acquitter de frais de licences de 0.5% sur son chiffre d’affaires auprès de HEVC Advance. Conséquence de cette annonce, d’autres acteurs ont connu un regain d’intérêt à l’IBC, comme le V-Nova et son codec propriétaire Perseus ou dans une moindre mesure Google et son codec Open-source VP10 qui devrait sortir en 2016. Google était d’ailleurs présent à l’IBC avec un (tout) petit stand, histoire de ne pas effrayer les diffuseurs ?

Face à cette situation, une association regroupant presque tous les grands acteurs de l’OTT (sauf Apple…), l’« Alliance for Open Media » , a été constituée pour promouvoir de nouveaux codecs ouverts et si possible gratuits pour les diffuseurs.

Quel que soit le résultat de cette bataille, le risque pour les consommateurs est d’acheter des téléviseurs 4K utilisant des codecs non supportés par les diffuseurs, et d’avoir à se rééquiper dans quelques années. Idem pour les opérateurs TVs qui prévoient tous de lancer des box 4K dans les prochains mois, dont un grand nombre fonctionnant sous Android.

Mais malgré les doutes sur la technologie 4K, des exposants montraient déjà des équipements 8K…

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La HDR en vedette

D’autres exposants mettaient eux en avant la HDR (High Dynamic range) visant à améliorer le contraste des images pour une plus grande immersion. Le grand avantage de cette technologie étant de pouvoir être associé à des résolutions plus faibles que l’Ultra Haute Définition, nécessitant un débit plus faible mais aussi des écrans de taille plus réduite pour en profiter pleinement. Reste qu’il sera nécessaire aux diffuseurs et aux consommateurs de se rééquiper pour espérer en bénéficier.

La réalité virtuelle encore plus présente

Toujours dans le domaine de l’immersion, la réalité virtuelle était encore plus présente cette année à l’IBC au travers de nombreuses démos d’acteurs établis, qui montre son potentiel que ce soit pour visionner des vidéos à 360° ou comme interface de navigation immersive par exemple dans un catalogue VOD. Côté production on retrouvait de nombreux modèles de caméras à 360° chez GoPro dont l’assemblage « Jump » de 16 Caméras réalisé en partenariat avec Google (et vu à Google I/O) et qui sera commercialisé prochainement pour quelques milliers d’euros.

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De nombreuses startups démontraient leurs produits de réalité virtuelle dans la « Future Zone ». Au programme des caméras 360° (Sphericam, la R&D d’Al Jazeera), des logiciels d’assemblage vidéos (VideoStitch), des studios de création de contenus (Rewind), des logiciels d’animations 3D (Nozon)… On retrouvait également Jaunt VR, l’une des sociétés les plus en vues (et les mieux financées) du secteur de la production de contenus vidéo en réalité virtuelle VR. Tous attendent avec impatience le lancement des casques virtuels grand publics (Oculus Rift, Playstation VR, HTC Vive) courant 2016 pour prouver l’intérêt du média, et la viabilité de leur entreprise.

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Medialab et R&D

Toujours dans la Future Zone, la BBC présentait son programme « Taster » du «  Connected Studio » visant à recueillir de nouvelles idées, de nouveaux concepts médias auprès des employés, les prototyper rapidement en partenariat avec des startups, les tester auprès du public avant de les déployer (ou non) à plus grande échelle. Ce programme est un bon exemple de co-création agile entre grand groupe média, startups et le grand public dans un contexte de concurrence accrue avec les acteurs américains de l’OTT.

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A quelques mètres de la BBC le programme de recherche européen HBB2VS présentait quelques-unes de ces applications innovantes, dont certaines déjà vues sur le stand France Télévisions à Roland Garros et à Futur en Seine. Le but de ce programme est de mettre au point des technologies permettant de mieux combiner les avantages des réseaux « broadcast », hertziens ou satellites, et des réseaux haut débit afin de lancer de nouveaux services innovants. Ainsi la possibilité d’incruster un flux vidéo d’un traducteur en langue des signes (reçu par internet) au-dessus du journal TV diffusé via le réseau hertzien, tout en garantissant une parfaite synchronisation entre les deux. Ou encore la possibilité de transformer un flux TV Haute Définition reçu via le réseau hertzien en flux Ultra Haute Définition, en transmettant uniquement une partie du signal via le réseau haut-débit. Beaucoup de ces services devraient pouvoir être lancés à partir de 2016, avec l’arrivée de nouveaux téléviseurs supportant les nouvelles versions des standards HbbTV, MPEG et DVB.

En résumé

Au final cette édition de l’IBC s’est inscrit dans la continuité de l’édition 2014. Dans le domaine de la 4K, la plupart des acteurs sont encore en attente de visibilité sur les formats à utiliser et l’appétence du public, alors que les appétits financiers s’aiguisent. Du côté des box, l’annonce de la nouvelle Apple TV fait craindre aux acteurs existants de perdre le contrôle du marché de la vidéo et les pousse encore plus vers Android, avec ou sans Google. Enfin la réalité virtuelle apparait toujours plus prometteuse mais en l’absence de réels produits sur le marché, ces promesses ne peuvent être validées. Rendez-vous donc à l’IBC 2016 !

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