Data : pour les industries créatives et culturelles aussi !

Par Alice Pairo, France Télévisions

Nous connaissons l’importance de la data dans le secteur marchand et particulièrement le marketing. Mais qu’en est-il dans les industries créatives et culturelles ? Elles peuvent, elles aussi, tirer parti de ces données. Comment et dans quel but ? Et le souhaitent-elles toutes ?

C'est sur ces questions qu'ont échangé cette semaine des professionnels de la culture et des médias lors d'une soirée organisée par L’Atelier en partenariat avec le Forum d’Avignon. L'occasion de découvrir des initiatives innovantes qui dépoussièrent le secteur.

La data au service du spectacle vivant

C’est le souhait de Marc Gonnet, CEO et Co-founder de la plateforme digitale Delight. Son objectif : employer la data afin d’optimiser les ventes dans le domaine du spectacle. Un secteur parfois difficile car ses œuvres ne sont pas fré-financées (à l’inverse du cinéma). Les 35 000 producteurs que comptent la France prennent souvent de gros risques financiers. Delight souhaite donc acquérir de nouveaux spectacteurs pour ces spectacles. Comment ? En les ciblant.

Bien que surinformés, nous loupons souvent des occasions d’assister à un spectacle qui nous aurait plu. Deux raisons sont à l’origine de ces rendez-vous manqués selon Marc Gonnet : un problème de notoriété des spectacles mais aussi et surtout un problème de pertinence des messages délivrés.

« Le Hellfest et Chantal Goya peuvent se côtoyer sur le même média, à la même heure, pour la même personne »

L’ambition de Delight est donc de  centraliser les données des différents vendeurs de billets qui existent (Fnac, Digitick, BilletReduc), acheter des données sur Internet puis donner du sens à ces données pour permettre aux producteurs de s’adresser à un public ciblé, « d’arrêter d’envoyer des affiches, des flyers, des imprimés, des magazines comme autrefois » explique-t-il.

Le projet n’en est qu’à ses prémices, Delight étant actuellement en train de travailler sur ses algorithmes avec des chercheurs du CNRS.

Et la sérendipité ? Marc Gonnet assure qu’elle fera partie du processus.

Capture

delight-data.com

La radio dubitative...

Pour Laurent Frisch, Directeur du numérique de Radio France, la radio est un lieu de résistance à la data - la radio publique est un exemple particulier, l’absence de recherche de profit crée un intérêt moindre pour ces données. C’est un fait, la radio est « un média broadcast : on produit des contenus, on les linéarise et on les diffuse » explique-t-il.

Mais il concède tout de même que « l’arrivée du numérique a bouleversé un certain nombre de choses pour les médias » y compris pour Radio France qui propose désormais des offres numériques et crée par conséquent de la data.

La data qui intéresse la maison ronde, c’est celle qui permet de comprendre « ce que font [ses] auditeurs quand ils visitent [ses]  applis et sites ». C’est « fondamental » selon Laurent Frisch si on souhaite améliorer leur expérience utilisateur.

Mais hors de question d’aller plus loin pour le Directeur du numérique. Comme employer ces données pour devenir un « média de précision » (entendre un média adapté à chacun). Selon lui, ce n’est d’ailleurs pas non plus ce que les auditeurs souhaitent.

« Ils attendent que Vincent Josse, Guillaume Erner, Patrick Cohen leur recommandent d’écouter, de découvrir et ils nous font confiance pour ça et finalement plutôt que de faire confiance à des algorithmes quand ils nous écoutent ».

Si le numérique a fait apparaître le principe de désintermédiation (ou de médiation par des acteurs comme les GAFA qui sont eux de véritables stocks de data ! )  il s’agit plus que jamais pour France Inter de conserver son rôle d’intermédiaire de prédilection.

La data œuvre d’art !

Si la data peut servir les industries culturelles, elle peut aussi devenir objet culturel à part entière. Quand le monde de l’art s’inspire de la data on découvre qu’il existe de nombreuses possibilités de mises en forme de la data, qui dépassent la data visualisation que l’on connaît. Ces initiatives peuvent aussi s’inscrire dans une démarche pédagogique et nous permettre de nous réapproprier cette data – qui bien souvent nous dépasse – mieux la comprendre, en lui donnant une existence concrète.

C’est justement tout l’enjeu de l’œuvre d’Albertine Meunier. Selon elle, « la data doit prendre forme pour mieux la comprendre ». Pour son livre « My google search historia » l’artiste a récupéré auprès de Google toutes ses données de navigation sur trois ans (Search History) et les a transposé sur le papier. Le résultat ? Un livre « illisible » selon les mots de l’artiste qui dévoile tout de même « petites manies et obsessions ». Mais surtout un « choc esthétique » qui permet de mieux comprendre ce que sont nos datas : ce « chemin personnel parcouru sur le réseau ».

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Extrait du livre « My google search historia » www.albertinemeunier.net

Julien Levesque place lui aussi la data au cœur de sa démarche artistique. Le désir de cet artiste numérique est de la rendre « plus visible et plus poétique ».

C’est ainsi qu’il a inventé un concept appelé « In the cloud with Lulu ». Il s’agit d’un mobile un peu particulier réalisé pour son fils. Ce mobile est connecté à son smartphone qui lui transmet ses données de géolocalisation. Il les transforme et donne à voir au petit garçon les mouvements quotidiens de son père. Ce qui est traduit sur le mobile est la vitesse de déplacement de la personne en question : immobilité, marche, course, dans un véhicule. Une jolie façon d’employer la data.

Un moyen peut-être pour retrouver une relation apaisée avec elle ?

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« In the cloud with Lulu » www.julienlevesque.net

 

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