Au coeur de l'été, suis tombé sur ce très récent texte alarmiste de François Bon sur le conservatisme suicidaire des dirigeants de l'édition française, qui peut s'appliquer, au mot près, aux difficultés actuelles de l'ensemble des autres industries de l'information, de la culture et du divertissement, toujours tétanisées par les défis et les opportunités de la Révolution Internet et numérique.
Extraits:
" « Ne pas se hâter », leur leitmotiv partout répété, mais la façon dont ils le disent c’est Frigidaire aux commandes – mieux vaut que personne ne vende, si ça permet de faire perdurer le fragile équilibre actuel, équilibre de plus en plus trompe-l’oeil".
"Triste par contre de voir les pouvoirs publics vassalisés suivre sans mouffeter."
"(...) faire parler du numérique comme une menace, d’ajouter aux raisons d’attendre, quitte à toutes les banalités d’usage sur le soi-disant n’importe quoi de l’Internet non-civilisé."
"Paradoxalement, privilégier une stratégie de rempart, au lieu de fluidifier la transition, ne peut que la rendre plus rapide, avec effet d’écroulement et de recomposition. (...) une telle stratégie peut amoindrir brutalement la chance d’explorer les complémentarités, et donc l’insertion de l’ensemble des acteurs dans le nouveau dispositif, celui que déjà consacrent les usages."
"Mutation irréversible, (...) non parce que processus d’opposition binaire entre le livre papier et la lecture numérique, mais parce que la lecture numérique invente des textes que ne peut concevoir, dès à présent, l’industrie de l’édition imprimée."
"(...) c’en est fini de comment l’édition imprimée accueillait le laboratoire vivant de la création littéraire – via revues et collections. Le web en a déjà hérité, comme dans toutes les autres disciplines."
"Pourquoi je me mêle de ça ? Parce que, pour nous qui sommes dans l’édition numérique tous les jours (oh non, même pas envie de Print On Demand...), la sensation de respiration est formidable. On apprend tous les jours à en faire un peu plus (l’insert de l’audio, l’ergonomie de la page), et à le faire mieux (à mesure qu’on a quelques sous pour rémunérer la préparation éditoriale et de vrais correcteurs, ou d’externaliser nos epubs complexes à des spécialistes de la création graphique comme le Gwen Studio...)."
"(...) nous aurions tous rêvé d’une transition souple. Ça aurait permis de mouiller les libraires, qui dans les faits vont en être les victimes : ils ne sont plus en mesure de devenir des acteurs majeurs de la diffusion numérique, parce qu’on ne leur aura rien donné d’intéressant à vendre. (...) Ça veut dire que la transition ne pourra être qu’un basculement. Ça craque, mais ça va craquer sans eux. On le mesure à notre propre progression, on le mesure à la façon dont se muscle l’auto-édition".
"Comme par hasard, ceux qui agitent les spectres et les épouvantails sont ceux qui rétribuent le moins leurs auteurs, et de toute façon partout au monde ça se passe très bien – y compris pour la lecture streaming via abonnements."
"On le sait bien aussi : mutation qui affecte l’ensemble des vecteurs, et donc la recommandation (qui ne se restreint plus à la critique (...) c’est bien ça que je nomme, gravement, syndrome Titanic. Des plateformes comme Babelio, l’étonnante vie littéraire qui s’est greffée sur FaceBook, c’est là que se passe aujourd’hui l’échange, la réception, l’orientation, la validation : les acteurs de l’imprimé y sont radicalement muets, absents, hors quelques courageux comme POL".
"Les usages de lecture et de travail des étudiants ont migré quasi à 100% dans le rapport intime, créatif, utilitaire aussi – en tout cas permanent – qu’ils ont avec leur ordinateur. Mais ils visitent, pour la littérature, un palais presque vide. J’aurais un appel : petits et moyens éditeurs, vous qui portez la création, saisissez-vous du paysage tant qu’il est malléable, osez un agrégateur comme l’Immatériel-fr, qui n’a pas pour fonction de bâtir des remparts à protéger les gros. Mais c’est maintenant, c’est vite."
"La galaxie web continue de solidifier, et quasi tous les acteurs qu’on y voit surgir ont travaillé (et appris) dans l’édition traditionnelle, l’imprimerie ou la librairie. J’alerte, parce que la porte, au lieu de s’ouvrir doucement, risque de basculer en aplatissant ceux qui sont dessous".
"(...) le numérique est viable, c’est une lecture plaisir, c’est un rouage majeur de la création littéraire, et il est capable d’inclure dans le jeu neuf les libraires de ville, les structures d’édition petites et moyennes.
Mais chaque mois passé dans cette inaction creuse l’écart : le ticket est plus cher, aussi bien pour les apprentissages epubs, que pour la présence réseau et la médiation, que pour l’insertion dans les pratiques de vente."
Universel, non?