Lors de l’Advertising week 2011, grande messe annuelle du secteur pour le marché américain, Nielsen a présenté une série d’insights sur l’évolution de la consommation de TV en 2011.
Ce qui suit est une synthèse raisonnée de cette présentation, agrémentée de quelques extrapolations et commentaires que la très sérieuse Nielsen, véritable et très vénérable institution du marché publicitaire US, n’aurait probablement pas pu se permettre.
(Les slides et la vidéo de la présentation sont ici)
1. Internet n’est pas en train de tuer la TV (du moins pas pour le moment)
La consommation de télévision, au contraire, est en croissance : les Américains, tout comme les Français, les Anglais, les Italiens…, regardent de plus en plus la télévision (40’ par semaine de plus qu’en 2010 pour les USA).
Ça peut paraître un constat somme toute rassurant pour la profession, si ce n’est que la question essentielle, désormais, n’est plus de savoir combien de temps nous passons devant la télévision, mais plutôt comment nous la regardons aujourd’hui. Et encore, la question toute nouvelle qui va fâcher : quelle télévision regardera-t-on ? Celle des acteurs traditionnels ou celle des nouveaux arrivants, des services OTT, celle qu’on ne connait pas encore mais qu’on voit venir ?
Pour l’instant, l’enseignement limité qu’on peut retirer de ces données est que la pratique de regarder la télévision, au sens le plus large, se porte bien.
2. Les foyers ne « coupent pas le cordon » (mais ils changent quand même d’opérateur)
Autre enseignement de la présentation Nielsen : sur le marché américain, où plus de 91% des foyers payent pour une offre de TV (câble, satellite, IPTV…), seulement 1% des foyers a renoncé à son offre payante en 2011. Plus intéressant encore, et moins rassurant pour les acteurs traditionnels : 6% des foyers ont changé de fournisseur entre 2010 et 2011, à la recherche d’un meilleur deal, et cela dans un contexte économique qui pousse à réduire les dépenses accessoires. D’où le sentiment d’un marché prêt à être embarqué par les offres des newcomers à venir.
3. Les téléspectateurs prennent la main sur la consommation (même en prime)
En première partie de soirée, 12% de la consommation de télévision se fait d’ores et déjà en différé : concrètement, en S1, plus d’1 émission sur 10 est désormais regardée en time-shifting.
Ce qui veut dire que les publics s’affranchissent progressivement des grilles : 7% des téléspectateurs regardent habituellement deux programmes concurrents, diffusés au même moment sur deux chaînes différentes.
NCIS ou Thalassa ? Masterchef ou Envoyé Spécial ? Les deux, merci.
La stratégie de programmation va changer de paradigme.
4. Petite surprise : la consommation différée est une activité majoritairement collective
Ça peut paraitre contre-intuitif : la consommation de TV en différée, dans les faits, est majoritairement « conjointe » (ie : en compagnie d’autres personnes). On rattrape plus souvent une émission avec les autres membres de la famille, ou avec ses amis, qu’en solitaire.
Ainsi, le différé n’est pas seulement une activité individuelle où, en caricaturant, Madame, son iPad dans les mains, regarde l’épisode de Desperate raté sur l’écran principal à cause du match de foot de Monsieur (l’inverse, bien sûr, étant également possible).
A coté de cet usage très personnel, qui demeure important et qui va probablement s’élargir, le différé peut également faciliter les retrouvailles du foyer devant l’écran. Par exemple, on peut imaginer que le time-shifting permette à Monsieur et à Madame de se poser tranquillement à 21h30, une fois les enfants couchés et la table rangée, pour regarder la série qui commençait à 20h35, et dont jadis, pris entre les taches ménagères et l’agitation du foyer, on aurait probablement raté le début.
En d’autres termes, le différé ne permet pas seulement un rattrapage personnel, plus ou moins solitaire et orienté aux programmes "segmentants", comme on dit à la télé, mais peut faciliter aussi la recomposition de la famille devant l’écran. Il est naturellement plus simple de trouver un compromis pour tout le monde si le programme et l’heure de démarrage sont choisis et non plus subis.
5. Corollaire : l’écoute conjointe progresse en première partie de soirée
Si le différé facilite la recomposition du foyer devant l’écran, la conséquence logique est que l’écoute conjointe progresse, notamment en première partie de soirée. En 2011, aux Etats-Unis, l’écoute conjointe en S1 a pesé plus lourd qu’en 2006 (lire : on a plus regardé la télé ensemble en 2011 qu’en 2006). Cela veut dire que l’atomisation de la consommation de TV est sans doute une réalité, mais que la pratique de regarder « ensemble » semble bien se porter malgré tout. La sensation, en d’autres termes, est que les deux tendances vont de pair : les goûts se personnalisent, les écrans se multiplient et donc la consommation s’atomise, mais en même temps l’écran principal demeure une sorte de « meeting point » pour les foyers, peut-être plus nécessaire que jamais du fait même de l’éclatement des pratiques.
Certes, cet écran principal n’est plus seul, il est même encerclé par des écrans concurrents (smartphones, tablettes, consoles, laptops…), et les membres de la famille sont chacun en train d’utiliser en même temps leur device personnel, de commenter sur les réseaux sociaux, de surfer, de jouer, voire carrément de regarder autre chose, mais toujours est-il que, according to Nielsen, ils continuent de se retrouver dans le salon à 21h. On notera que cette permanence de l’écoute conjointe qui semble se dessiner est, naturellement, une opportunité supplémentaire pour la Social TV.
6. Et le multi-tasking évidemment : les réseaux sociaux avant tout
A la question « Qu’est-ce que vous faites pendant que vous regardez la TV ? » la première réponse est, bien sûr, « social networking ». L’usage des réseaux sociaux devance nettement « lire la presse », « appeler ou envoyer des texto via son téléphone mobile », et même « surfer sur internet ».
Ainsi, il apparait clairement que les réseaux sociaux sont en train de devenir en quelques sortes les compagnons de la TV, les deux pratiques devenant indissociables. Et bien sûr, les conversations autour de l’émission qu’on est en train de regarder augmentent l’engagement des téléspectateurs.
Au final, l’image de la TV qui semble se dessiner parait presque schizophrène : une expérience de plus en plus atomisée et, dans le même mouvement, on ne peut plus partagée via les réseaux sociaux ; une pratique éclatée, délinéarisée et « à la carte » qui pourtant demeure essentiellement « sociale » et naturellement collective.
Une schizophrénie apparente qui, sans surprise, ne va pas sans rappeler celle de nos vies connectées
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