TV vs. vidéo, anciens contre modernes, again !

10 ans après les premiers blogs, balayés à l'époque d’un haussement d’épaules par les patrons de presse, les initiatives des acteurs de la vidéo en ligne inquiètent de plus en plus les géants de la télévision.

Car ces "modernes" atteignent leurs cibles -- les jeunes audiences -- grâce à des contenus plus engageants, plus accessibles, plus « fun », et toujours multi-plateformes.

Pour eux, « le téléviseur n’est qu’un canal de distribution parmi d’autres ».  Les différences entre écrans s’estompent progressivement.

Les initiatives et derniers chiffres évoqués cette semaine à Munich lors de la conférence DLD organisée par le groupe de presse Burda, sont édifiants :

La croissance de l’usage sur les plate-formes web est exponentielle :

YouTube, déjà sidérant au CES de Las Vegas, vient de franchir un nouveau seuil avec 4 milliards de vidéos par jour (+25% en 8 mois ! ) et 60 heures (2 jours et demi !) d’images animées postées chaque minute !

Selon, le patron du numérique de l’agence de publicité WPP, Mark Read : YouTube faire désormais payer parfois aux annonceurs le même prix que sur certaines chaînes TV du câble. Quand on sait que YouTube finance déjà des contenus propres à hauteur de 100 millions $ pour des chaînes originales à venir sur sa plate-forme, il ne lui reste plus qu’à concourir pour des droits !

« YouTube est bien la nouvelle TV », en conclut très logiquement Constantin Bjercke, le pdg de Crane.tv, éditeur de magazines culturels vidéo.

D’autres géants du web investissent aussi directement dans des contenus : Netflix (plus de 25 millions d’abonnés), Hulu (35 millions de v.u. dont 1,5 million payants, nouvelle tranche d’achat de contenus annoncée de 500 million $), AOL ou Yahoo !

Artistes et animateurs se font distribuer directement en ligne :

Chaque vidéo du talk-show « The Valley Girl » de la jeune californienne, Jesse Draper, est ainsi désormais regardée plus de 2 millions de fois. Déçue par YouTube, elle a signé 30 partenariats de distribution pour être sur tous les écrans, dont iTunes, les boîtes OTT de Roku et Boxee, et même les écrans des restaurants Taco Bell. Tous se sont engagés à lui fournir des données précises d’audience.

D’autres ont eu l’idée de rassembler les stars de YouTube et de capitaliser sur leur forte popularité (comme Lisa Donovan) pour s’organiser et créer « Maker Studios » (leurs aînés l’avaient d’ailleurs fait au sein d’United Artists !). Avant de recevoir des fonds des VC, ce studio de nouvelle génération, a du atteindre  200 millions de vidéos vues avec 50 chaînes ! Il en est désormais à 500 millions via plus de 250 chaînes, essentiellement des niches et des thèmes verticaux, et 33 millions d'abonnés.

« Le but est d’atteindre une taille suffisante pour concurrencer les audiences TV », explique Dany Zappin, le jeune CEO du studio.

Mais dans ce déluge et cette multiplication de niches, « le principal défi est de trouver les talents », selon Maker Studios. D’où un besoin de curation et d’édition.

(Jesse Draper & Dany Zappin)

En face, les anciens "rament":

- John Miller (photo), patron du numérique du groupe News Corp (Murdoch, dont réseaux TV Fox et Sky) s'est cru obligé de nous passer une vidéo de promotion pour nous montrer que le groupe prenait le numérique au sérieux !  

- Jim Lanzone, président de CBS Interactive, s'est rassuré : "les marques comptent plus aujourd'hui en raison de leur légitimité et du contexte qu'elles sont capables d'apporter".

- Mike Fries, pdg de Liberty Media, 2ème groupe mondial de TV câblée, s'est vanté : "l'industrie du câble est mal comprise. Nous sommes au centre de l'éco-système".

Certes, les acteurs traditionnels de la TV payante, reconnait Fries, ont de gros avantages (réseau rapide, importante base de clients et bonnes relations avec les chaînes de TV), mais ils souffrent de ne pas savoir migrer leurs contenus vers d'autres écrans, intégrer les contenus du public dans les programmes, et d'interfaces d'utilisation très pauvres.

Pour lui, les nouveaux venus de l'OTT (Netflix, Hulu...) auront des difficultés en Europe, en raison de la fragmentation des droits et des initiatives déjà prises par les grandes chaînes de créer leurs propres portails de VOD ou SVOD. "Mais cela ne les empêchera pas d'arriver!"

Certains "anciens" font tout pour rester jeunes, comme WPP, qui a investi dans le média « Vice » (300 contributeurs) et a lancé, avec Intel, une plate-forme de vidéos : « The Creators Project » dans plusieurs pays (USA, UK, Brésil, Allemagne, Chine, Corée, France, ..) et compte déjà 80 millions de vidéos vues et 17 millions de visiteurs uniques.

Mais, ajoute-t-il « nous avons besoin de faire baisser considérablement les coûts de production ».

Anciens et modernes ont toutefois les mêmes soucis : distribution, contenus, promotion.

Concrètement,

1 / ils veulent répliquer l’expérience sur toutes les plateformes pour monétiser et avoir des relations directes et pertinentes avec l’audience.

« La TV n’est plus qu’un concept. On la trouve aujourd’hui sur tous les écrans », dit Miller (News Corp). "Le plus important c'est d'être multi plateformes pour que l'expérience du public soit sans friction", ajoute Lanzine (CBS)

2/ ils ont besoin de grosses audiences, et donc cherchent l’engagement maximal entre les stars et le public, sont le plus souvent présents sur YouTube, visent des sujets grand public, et soignent les métadonnées.

2 / ils cherchent des relais de croissance et des diversifications, car même si on ne parle plus de "pennies", la pub ne paie, pour l’instant, pas tout le monde !

-   les modernes: Maker Studios qui dit tester les ventes iTunes, la production de services, le merchandising, et même les … shows TV ! Ou  Jesse Draper qui entend continuer « à construire sa marque et son réseau » et a signé pour un livre.  Elle croit beaucoup dans l’arrivée de nouveaux formats très innovants et beaucoup plus engageants.

-   les anciens : News Corp qui raconte le succès de la franchise « Master Chef » dans 145 pays (dont 20 productions nationales) qui se décline aussi en magazines, livres, films, restaurants …. Grosse volonté de développer des activités « off air and off line », y compris des événements spéciaux.  Chez News Corp on préfèrerait d’ailleurs raisonner en revenu par utilisateur ou par fan !  Même tendance chez Liberty Media qui dit tirer déjà plus de la moitié de ses revenus hors de la vidéo !

Dans ce nouveau monde, « le fossé des connaissances est aujourd’hui la plus grande barrière à l’entrée pour les médias traditionnels », conclut le jeune patron de Maker Studios.  C'est vrai, « nous avons besoin de plus de compétences », reconnaît Yoel Flohr, responsable numérique de Shine (News Corp).