Aujourd’hui, hormis les nombreux projets liés à la TV connectée, l’essentiel du renouveau de la télévision tourne autour de l’écran compagnon – dit aussi second écran— qui enrichit véritablement l’expérience télévisuelle dans ce qu’on appelle « la Social TV », phénomène qui a juste un an.
Car l’essor actuel très rapide de cette télévision augmentée des conversations de l’audience autour des programmes via les réseaux sociaux, est intimement lié à celui, tout aussi vif, de la pénétration massive des smart phones et des tablettes favorisant dans les foyers une multi-activité qui se généralise désormais devant le téléviseur.
« La Social TV constitue, pour les trois prochaines années, l’opportunité la plus importante et la plus extraordinaire pour l’industrie de la télévision », a estimé cette semaine à Londres Mark Ghunheim, pdg de la société américaine Trendrr, en ouvrant le « Social TV World Summit ».
Le monde du web bascule vers la TV
Le monde de la télévision a vite réalisé que les meilleurs programmes (sport, news, téléréalité de qualité, grandes séries de fiction) devenaient les sujets de discussions les plus populaires sur Twitter (Trending Topics) et que le « direct » en était le meilleur véhicule. Un phénomène d’ailleurs plus marqué dans les très grandes villes (à New York la moitié des habitants vit seul).
Cette nouvelle occupation se déroule avant tout sur nos mobiles, objets très personnels, qui, au centre de nos vies numériques connectées, sont devenus nos 1ers écrans. Les smart phones seront bientôt présents dans la moitié des foyers des grands pays riches. Et les ventes de tablettes devraient quadrupler d’ici 2015.
Déjà, au Royaume Uni, où 80% de l’activité Twitter se fait sur mobiles, l’usage de la Social TV est au même niveau qu’aux USA, selon Trendrr.
Les grands producteurs prennent le sujet au sérieux
Alors que ces terminaux « smart », donc connectés, envahissent nos maisons, pas question d’ignorer le 3ème marché mondial, prévient Olivier Gers pdg d’Endemol Worldwide Brands, qui rappelle que Facebook se place juste derrière la Chine et l’Inde en terme de population !
Endemol se félicite du succès de jeux TV proposés dores et déjà simultanément aux internautes. Au Royaume Uni, 12% des téléspectateurs jouent déjà en même temps en ligne. Certaines soirées ont vu des pics à près de 200.000 joueurs en ligne.
Et il prévient : « les grands événements seront accompagnés sur nos propres applications dédiées, les moins importantes sur celles des diffuseurs ».
Pour la BBC, qui précise sa stratégie écran compagnon ici, « cette consommation en double écran n’est pas synonyme de succès, mais quand il existe, elle le renforce. »
La chaîne BSkyB, qui possède 10% de Zeebox, a dit aussi compter également investir fortement dans la Social TV, notamment pour l’impact des recommandations et pour pouvoir envoyer des flux supplémentaires sur l’écran compagnon. Attention toutefois à ne pas pousser du contexte de manière indifférencié selon les programmes ou les émissions.
Mais la rentabilité de ce nouvel écosystème n’est pas encore au rendez-vous
Comme aux premières heures du Web 2.0, les différents acteurs reconnaissent que l’heure n’est pas à gagner de l’argent avec ces nouvelles activités. « Vous n’avez pas besoin maintenant de monétiser. Il faut expérimenter et bâtir une habitude (…) prendre le temps de donner du sens à tout ceci (…) nous sommes encore dans la phase R&D », estime le responsable d’Endemol.
Pour lui – évidemment—la plus grosse partie des revenus de ce nouvel écosystème devra revenir aux producteurs. Mais personne ne sait encore comment se fera le partage. D’autant que les autres parties prenantes sont nombreuses : diffuseurs, agences de pub, réseaux sociaux …
Mais dores et déjà s’amorce aux USA, du « social shopping » sur la base de recommandations, notamment via le nouveau réseau social à la mode Pinterest.
Nous n’en sommes qu’au tout début !
« Personne ne connaît toutes les réponses. Tout le monde expérimente », décrit l’ancien de la BBC, Anthony Rose, aujourd’hui patron de Zeebox.
Mais, prévient-il, la Social TV c’est maintenant ! Les diffuseurs ne devraient pas trop tarder et éviter de retomber dans leurs travers habituels : être englués entre leurs équipes de stratégie (qui pensent à trois ans et attendent le prochain gros coup), les équipes nouveaux médias (qui veulent réaliser la chose en interne) et les équipes des programmes (qui voyant leurs audiences baisser savent qu’il faut faire quelque chose mais qui n’ont plus des queues de budget).
En résumé, la Social TV va profiter…
- Aux téléspectateurs qui peuvent mieux découvrir des programmes et des nouvelles formes d’expériences télévisuelles enrichies et en recommander, personnaliser et partager leurs goûts, interagir avec les programmes et avec les vedettes, donner leurs avis, jouer, acheter d’un click, avoir plus de contrôle, ….
- Aux annonceurs avec de la publicité beaucoup plus ciblée, plus engageante, parfois plus internationale. De nombreuses opérations conjointes entre chaînes et marques sont ainsi lancées (Bravo/Toyota, Weather Channel City Group …). Les formats sur écran compagnon peuvent nettement plus long que les spots de 30 secondes, puisque souvent choisis. Les campagnes peuvent s’étaler plus longtemps, tant qu’on en parle (avant, pendant et après un programme).
- Aux chaînes de TV qui peuvent enrichir leurs programmes et émissions, créer de nouvelles formes narratives, y compris ludiques, accroître et rajeunir leurs audiences, mieux les commercialiser aux annonceurs, bénéficier d’un retour rapide du public, continuer à favoriser le « direct » et les flux programmés, ... Et il y a déjà plusieurs indications chiffrés montrant que la Social TV fait progresser l’audience.
- Aux producteurs qui sauront intégrer en amont ces nouvelles dimensions.
Mais des menaces importantes existent aussi :
- risques de distraction de l’audience
- revenus publicitaires incertains
- arrivée des pure players en OTT qui entendent aussi profiter des réseaux sociaux
- réseaux sociaux qui deviennent eux mêmes des sites de destination
Quelques recommandations de pionniers :
- Se concentrer sur le second écran, pas le téléviseur !
- Se faire aider : quelque 85 entreprises anglo saxonnes de services liées à la Social TV ont été ainsi créées récemment sur ce secteur. Des solutions liées au cloud comme Zeebox, Shazam, Foursquare sont souvent citées.
- Ne pas submerger le public avec trop d’applications (la BBC en aurait 200 !) et trop de pub. Ne pas se couper non plus du public traditionnel.
- Travailler sur des solutions ouvertes, voire en open source.
- Favoriser une sortie mondiale simultanée des grands shows et séries TV
- Tâcher de comprendre et d’évaluer la valeur d’un programme hors du téléviseur.
- Favoriser l’éclosion de producteurs en Social TV native, prévoir des clauses spécifiques dans les contrats.
- Apprendre à profiter des données sociales fournies en temps réel, qui vont devenir le cœur de la TV de demain.
- S’allier aux telcos : exemple de MTV devenu un opérateur virtuel !