MEDIAS: LE LOW COST PASSE EN MODE INDUSTRIEL

Un aspect majeur de la révolution numérique et d’Internet est de pouvoir produire aussi bien qu’avant – et souvent mieux – pour beaucoup moins cher. Aujourd’hui, les nouveaux médias low cost sont passés à la phase industrielle, et nous n’en sommes qu’au début.

La numérisation -- transformation d’objets en données, de données en objets -- d’un nombre toujours plus grand d’activités humaines a très fortement abaissé les barrières à l’entrée de pans entiers de l’économie, et fréquemment, les a réduites à néant.

Cette caractéristique, très déflationniste, ébranle depuis une dizaine d’années les médias, premiers touchés par ce séisme, et altère progressivement la plupart des autres secteurs de l’économie, tout en profitant au citoyen.

Avant d’individualiser demain la production de notre énergie et des objets de notre quotidien, cette révolution a d’abord démocratisé la parole publique, le savoir et sa diffusion. Elle a modifié l’espace et le temps, qu’elle a réduits, voire supprimés.

Facilité, souplesse, ubiquité, immédiateté, proximité, personnalisation et surtout abondance, sont les traits dominants des nouvelles offres média à coût réduit, permis par cette mutation.

Mais les changements technologiques dans les médias vont plus vite qu’ailleurs. Pire : leur rythme s’accélère, leur impact s’élargit, rendant la transition pour les vieux médias de plus en plus complexe, alors même que leurs dirigeants ont toujours du mal à imaginer que leur ancien modèle, qui a si bien réussi, est voué à disparaître.

Internet nous a déjà fait entrer dans une ère de décentralisation radicale, de connexions généralisées, d’interdépendance et d’interactivité envahissant tout notre quotidien, du matin jusqu’au soir, à la maison, au travail, dans les transports ou au restaurant, même en vacances…. Il y aurait déjà plus d’adresses Internet que d’étoiles dans l’univers, ou de cellules dans le corps humain !

Cette ère s’impose d’autant que plus vite qu’elle repose sur des technologies facilement prises en main et des usages intuitifs, massivement adoptés par le public. Aujourd’hui, ce sont les smart phones et Facebook qui ont fait entrer la société à l’ère numérique, pas les responsables politiques, économiques ou les industries du 20ème siècle !

La seconde étape de la révolution numérique se joue en ce moment avec l’Internet mobile, le rôle du second écran, la TV connectée, le cloud et l’exploitation des données.

Le low cost numérique, c’est du haut de gamme !

Le low cost ne concerne donc pas seulement les compagnies aériennes, les voitures fabriquées à l’étranger, la téléphonie mobile à prix cassés, les lunettes ou le marché des obsèques. Il est rapidement devenu un trait dominant de nombreux services, et parmi eux, les nouveaux médias.

Mais si pour les premiers, le low cost passe par une simplification des produits et services, pour les médias -- grâce au numérique et à Internet -- il est le contraire d’une version édulcorée !

Faire la même chose –et très souvent plus et mieux- que des produits chers à produire pour 10 ou 100 fois moins cher est désormais courant ! Avec à la clé, la possibilité d’offrir une multitude de services supplémentaires sans les contraintes du passé : coûts de distribution quasi-nuls, formats multiples, ajustables, dynamiques, ré-actualisables, connectés, sociaux et qui rencontrent, en plus, l’enthousiasme du public. Un public qui -- par des effets de réseau et de taille -- créé d’ailleurs lui-même la valeur de ces services qu’il utilise, comme Wikipedia, Craigslist, YouTube, Flickr, Instagram, Facebook, Twitter, Tumblr, WordPress….

Rappelons-le : un blog, c’est un journal ou un magazine sans les charges d’une imprimerie et d’une flotte de camions pour distribuer des piles de papier, un smart phone, c’est non seulement une caméra haute-définition mais aussi une station de TV dans sa poche, capable de diffuser en direct au monde entier ! Twitter, outil unique à impact gigantesque, est devenu une agence de presse mondiale, gratuite, personnalisée, en temps réel, mais aussi le canal central des conversations de la politique ou de la high-tech, et parfois de la diplomatie, comme le futur de la mesure d’audience !

Le boom de l’autoédition, auto-distribution

Chaque jour, les citoyens, les individus, les petits utilisent un peu plus les outils de création, de production et de partage et accèdent aux mêmes possibilités que les entreprises établies : ils peuvent s’exprimer, publier, diffuser, remixer sans contrainte de temps ou de lieu. Publier devient chaque jour plus facile, plus visuel, moins compliqué. Internet suscite des concurrences inattendues pour les acteurs traditionnels et maximise la diffusion des offres: la propagation des créations est le plus souvent virale, assurée par les réseaux sociaux, Twitter, Facebook, Instagram, Pinterest ou YouTube, où un amateur brillant peut concurrencer un studio d’Hollywood.

De plus en plus de logiciels 3D et d’animation sont désormais disponible en open source. Et le recours à des technologies ouvertes non propriétaires semble s’étendre à d’autres secteurs, comme l’éducation, la santé ou l’automobile.

Le financement se fait de plus en plus par appel direct et digital au public (crowd-funding). Les créateurs et producteurs peuvent de nouveau créer une relation directe avec le public. Leur agilité favorise la co-création et la co-production avec d’autres métiers : designers, développeurs (déjà plus nombreux aux USA que les agriculteurs) et bien sûr avec l’audience.

Les opportunités sont donc importantes pour les amateurs comme pour les professionnels (créateurs et producteurs qui voient progressivement l’intérêt de ces nouveaux outils), mais aussi pour de nouveaux entrants, petits et grands. 

Hollywood : tech is the new « cool » ! Geeks are the new rockstars !

Sur YouTube, les nouveaux pros sont des amateurs, nés sur la plate-forme ! Chaque mois, l’unité vidéo de Google envoie des chèques à plus d’un million de personnes. Bien plus que le nombre d’employés des télévisions américaines et des studios d’Hollywood réunis !

Mais c’est aussi un média très différent des autres : c’est une plateforme sociale de vidéos disponibles sur tous les terminaux, tous les écrans et dans le monde entier ! Chaque jour, 500 années de contenus YouTube sont regardées sur Facebook, qui ressemble plus à une TV qu’à Google ! Toutes les minutes, 700 vidéos YouTube sont tweetées !

Dans ce nouvel écosystème professionnel-amateur, YouTube s’industrialise et se professionnalise aussi. Cherchant désormais à organiser la profusion, il passe d’une logique de plate-forme à la mise en valeur de dizaines de chaînes éditorialisées permettant de gérer des playlists personnalisées, de s’y abonner, de recevoir des recommandations, qui représentent près de la moitié des visites. Tout en privilégiant une audience sur terminaux mobiles, ses plus grandes chaînes ont une audience aujourd’hui déjà équivalente aux petites du câble aux Etats-Unis : plusieurs millions d’abonnés et des milliards de vidéos vues. Et YouTube vient d’abonder un second round d’investissement pour ses meilleures chaînes américaines.

Une nouvelle génération de producteurs de contenus vidéo associant le meilleur d’Hollywood et de la Silicon Valley émerge. Une foule de nouvelles entreprises à Los Angeles créent aujourd’hui des contenus pour Internet.

Le vieux système broadcast/mass media, -- la lance à incendie qui arrose tout le monde de manière indifférenciée – fonctionne moins bien. Les annonceurs l’ont remarqué. A la télévision, vous tuez un show après deux épisodes ou deux émissions sans audience, sur YouTube, vous prenez le temps qu’il faut pour ajuster, car c’est moins cher ! Vous n’hésitez pas non plus à solliciter directement votre audience !

 La TV aussi réinventée par le public

Puisque le numérique est devenu le standard pour la musique et la presse, l’industrie de la télévision et de la vidéo vivra comme elles, non des changements, mais une totale transformation, difficile à accepter pour sa vieille garde.

Cette transformation passe, comme ailleurs, par des modifications radicales des modes de consommation, des usages et des habitudes, facilités par la pénétration du haut débit et des terminaux mobiles.

Chaque jour, nous le constatons : moins fidèles à un seul journal, à un site unique, ou à une chaîne, et vite devenus omnivores, nous picorons ici et là. Il n’y a plus de destination unique qui nous satisfasse. Nous consommons à l’unité, des bouquets dont nous choisissons la composition et beaucoup.

Même sur Internet, le téléchargement diminue au profit du streaming, d’une consommation instantanée, sans friction, qui passe d’une logique de stock réactualisé par à coups, à une logique de flux. A l’âge de l’instantané, du live, du présent perpétuel, nous voulons tout, tout de suite ! Comprendre le temps réel réclamera des vieux médias une adaptation permanente !

Les jeunes préfèrent les SMS à la conversation téléphonique, Facebook et Instagram à l’email, le second écran au premier, les écrans personnels à ceux partagés ! Chaque pièce de la maison accueille aujourd’hui leurs terminaux ; ils ne regardent plus un film, une série ou un match à la télévision sans un écran compagnon sur les genoux.

Comme les autres, la TV est confrontée à la fragmentation de ses contenus dans des consommations « déchaînées » de programmes au besoin ré-agrégés, en fonction des souhaits des télénautes et non plus des groupes de médias. Comme ailleurs, le public est en train de prendre le contrôle !

L’exode de l’attention vers d’autres terminaux et d’autres contenus s’intensifie ! L’audience migre des contenus de télévision vers la vidéo en ligne, disponible d’ailleurs désormais aussi sur … les téléviseurs ! Les adolescents et jeunes adultes ne regardent que très rarement des programmes à heure fixe, dont il est de plus en plus difficile -- et plus cher-- d’organiser la rareté, c’est-à-dire la capacité à donner « rendez-vous » au plus grand nombre.

La TV change sous nos yeux. L’arrivée de navigateurs Internet dans les téléviseurs, devenus souvent eux-mêmes magasins d’applications, sonne le glas de la TV des 50 dernières années. A la nouvelle connectivité à Internet s’ajoutent les interactions sociales en temps réel -- nouveaux tuyaux d’accompagnement massifs des flux télévisés-- qui favorisent les recommandations, de plus en plus vers des contenus de qualité. Ils vont rapidement entraîner des changements d’écriture des créations audiovisuelles. Et la TV se consommera comme Spotify : avec sa propre playlist, sa propre chaîne, personnalisée, souvent via une contextualisation du second écran.

Aux Etats-Unis, les « cord-cutters » se multiplient: constatant qu’il existe des offres moins chères, les Américains cherchent à réduire leurs factures de bouquets de TV (140.000 abonnés ont quitté Time Warner en un an), veulent faire eux-mêmes leur choix et annulent leurs abonnements au câble. Mais il y a pire : les « cord-nevers », la génération perdue, celle qui n’en prendra jamais !

Premier service audiovisuel à la demande aux Etats-Unis, la SVOD – qui concurrence autant les acteurs payants que gratuits-- bouleverse les usages traditionnels de la TV, avec une offre de services très importante et bon marché, poussant les médias traditionnels à se développer sur ce nouveau marché. La distribution en ligne de films se fait autour d’une promesse de volume d’offres  indifférenciées (les 7,99 $ / mois du buffet à volonté de films et séries de Netflix ou d’Amazon).

 L’âge d’or des séries TV face au recul du cinéma aux USA  

Longtemps, les séries – composées dans un travail très collectif de films uniques, indépendants, à petits budgets, inventifs, diffusés chaque semaine -- étaient considérées par Hollywood et les grandes chaînes comme un complément symbolique à la production et la programmation des films.

Aujourd’hui, elles deviennent le centre de notre culture audiovisuelle de divertissement et un marqueur social aussi fédérateur qu’un groupe de rock dans les années 70, un bon livre pour nos aînés. Leur coût est évidemment très inférieur à celui d’un film (entre 700.000 euros en France et 2 millions de dollars aux Etats-Unis par épisode) et, pour les plus réussies, rencontrent des audiences de dizaines de millions de spectateurs (The Sopranos, Mad Men, Breaking Bad, Borgen…).

Avec la possibilité d’installer chez soi des écrans et du son de très haute qualité, la télévision et Internet deviennent les loisirs culturels préférés. Le box office américain connaît une chute continue, les salles sont en difficulté. Refusant de faire sa mue, Hollywood est déprimé, les studios réduisent la voilure, prennent moins de risques et privilégient quelques « tentpoles », productions gigantesques sur lesquelles ils misent tout et qui sont censées couvrir le reste de leur production, de moins en moins attractive.

Internet accentue le mouvement. Aujourd’hui, il n’y a plus besoin pour survivre de produire des blockbusters ! Les producteurs sur YouTube fabriquent des films autour de 250 $ la minute. La perte maximale est de quelques milliers de dollars, alors qu’un film coûte en France en moyenne 6 millions d’euros. YouTube est en train d’impulser une nouvelle culture mondiale. Et l’arrivée de l’audiovisuel sur Internet est une tendance lourde !

 Multiplicité des écrans, infinité de contenus, mais temps –et donc attention—limités : modèles d’affaires à réinventer

L’ensemble des coûts décroît : la diffusion d’images en numérique est huit fois moins chère qu'en analogique (4 fois pour la haute définition), et, à terme, le passage probable en tout IP devrait encore faire baisser considérablement les coûts de distribution.

De nouveaux modèles d’offres et de prix transforment aussi l’ensemble du secteur.

Tandis qu’Internet aspirera probablement la moitié de la publicité d’ici deux à trois ans, et que se développent à vive allure les grands magasins d’applications (paiement à la pièce d’iTunes, Google Play, Amazon, Facebook), les grands annonceurs n’ont toujours pas de stratégie applicative. Ils continuent de chercher à connaitre les caractéristiques du consommateur (âge, CSP) alors qu’il leur faudrait comprendre ce qu’il recherche et ce qu’il fait des contenus et des œuvres. Le nombre de clics et de pages vues laisse toutefois progressivement place aux offres premium et à un engagement authentique. Les chaînes, elles, vivent dans la terreur de devenir de simples petits widgets.

Parallèlement, progresse l’économie d’abonnement. Le public paie et paiera de plus en plus au forfait pour des contenus pertinents, proposés en fonction de ses  besoins (Spotify, Pandora, Deezer, Netflix). La génération des « millenials » a d’ailleurs tendance à être moins tentée que celle des « baby boomers » à vouloir détenir des choses. Le streaming, plus flexible, l’emporte sur la possession de CD ou de DVD, en vrai recul.

Le règne du CD comme principale source de revenu des majors de la musique devrait d’ailleurs s’achever cette année, dépassé par les téléchargements et les abonnements en streaming, qui ont changé notre manière d’écouter de la musique, notamment via les recommandations de puissants algorithmes nous convainquant d’écouter des artistes proches de nos playlists musicales ou vidéos.

 Quatre ou cinq géants contrôlent nos vies numériques

Ce nouveau monde est piloté par quatre géants qui se battent pour prendre le contrôle de nos vies numériques connectées  – Apple, Google, Amazon et Facebook – ;  cinq, si Microsoft réussit le double pari d’imposer Windows 8 et d’entrer sur le marché des terminaux.

Depuis les Etats-Unis, ce sont leurs plateformes archi-dominantes qui dicteront notre proche avenir numérique, depuis les systèmes d’exploitation jusqu’à l’e-commerce, du web à nos identités en passant par notre graphe social. A eux seuls, ils contrôlent l’accès à la plupart des services digitalisés: search, réseaux sociaux, édition, livres, musique, cloud, vidéo/tv/films, smart phones/tablettes, cartes GPS, … Rappelez-vous, alors que notre alphabétisation numérique est faible, que Facebook sait qui vous êtes, Google ce que vous cherchez, et qu’Apple peut censurer – à son gré- n’importe quel développeur !

Dans le nouveau monde de la TV, non seulement les géants du web sont tous présents, mais il faut compter aussi avec les monstres de l’électronique (Microsoft, Intel), les fabricants de terminaux (Samsung, LG, Sony…), les champions de la vidéo (Netflix, Hulu…), tous les grands opérateurs telcos (Orange, SFR…) comme d’innombrables start-ups (Zeebox, Viggle, …) qui se créent pour profiter de ce nouveau boom des images animées en ligne, et développent leurs propres contenus vidéo adaptés aux nouveaux usages, ou des services, outils ou infrastructures pour accompagner et consommer ces nouveaux et anciens contenus.

Jusqu’ici pour l’industrie de la TV, il fallait grossir ou disparaître. Aujourd’hui les défis sont différents. En presse, le déclin du papier a été accéléré par son manque de modernité face aux nouveaux usages, la rareté du temps disponible et la chute de la publicité. Dans ce contexte, le seul espoir des médias traditionnels n’est pas de chercher à sauver ce qui ne peut l’être (et qui rencontre moins l’appétence du public), mais d’engager une stratégie « Digital First ».

C’est vrai, le numérique ne rapporte pas autant qu’une activité traditionnelle, notamment en matière de publicité digitale. Mais il coûte aussi beaucoup moins cher ! Les rédactions y sont plus modestes (autour de 30 à 40 personnes actuellement) tout en représentant le principal coût d’une opération éditoriale numérique.

La convergence des médias, elle, se poursuit : un champion du web est venu cet été diriger le quotidien USA Today, en difficulté ; un patron d’une TV publique (BBC) prend les rênes du New York Times. Dans les vieux médias, les anciens commencent aussi à laisser les responsabilités à la génération Y. Tous font de la vidéo, et sous peu de la TV connectée ! Demain, parions que le partage de vidéos sera plus important que celui de messages sur Twitter et de photos sur Facebook. De même se poursuit le mouvement qui fait des marques et des entreprises des médias, et demain des TV !

 Smart, mobile, social : facteurs dominants du nouveau paysage média

Les grandes tendances actuelles sont limpides : smart, mobiles, sociales. En 5 ans, depuis sa création, l’iPhone a tout changé, notamment dans l’information, la photo et la vidéo, où la collecte, la diffusion et la création de contenus ont été transformées !

Le succès des smart phones et des tablettes témoigne de l’adoption technologique la plus rapide de tous les temps, bien plus que la TV ou l’ordinateur. Leur pénétration, pour les premiers, dépasse le seuil symbolique et important de la moitié de la population américaine (47% en France).

Et près d’un tiers des américains possèdent aujourd’hui une tablette, contre 2% il y a trois ans. Dans quelques mois, plus de gens accèderont à l’Internet via mobiles que via des ordinateurs. C’est déjà le cas en Chine !

Nos écrans d’ordinateurs, et demain de TV ressemblent d’ailleurs de plus en plus à des smart phones !

 Le changement de paradigme va durer et générer au moins 5 tensions

1/ Tension liée à la multiplicité des formats. Les médias vivent une transition désordonnée, rapide et compliquée. Le paysage des médias numériques est confus, fragmenté, fracturé, changeant (avec de très nombreux supports, et formats différents, mais aussi de règles de partage). Il y est difficile d’harmoniser les contenus et les œuvres. Les développements deviennent plus longs et plus complexes. D’autant que dans cette nouvelle économie numérique, les services sont plus faciles à monétiser que les contenus. Apple a montré au monde l’importance de l’alliance étroite entre contenus, services et terminaux (iTunes avec l’iPod). Microsoft, comme Amazon, l’a compris, et vient de se mettre aussi au hardware.

2/ Tension entre systèmes ouverts (qui favorisent la créativité) et systèmes fermés qui érigent de nouvelles barrières à l’entrée (pour faire payer), compliquant les prises de décision. Si, historiquement, les systèmes ouverts gagnent toujours, Apple est bien devenue entre temps la plus grosse entreprise mondiale ! Il faut donc être présent sur une multitude de plateformes.

3/ Tension entre pages web immobiles et contenus diffusés à jet continu, dans un défilé ininterrompu de streaming, qu’il faut savoir dompter et qui alimente la surabondance de contenus. 20% du temps numérique des jeunes de moins de 25 ans est aujourd’hui consacré à faire des choix ! C’est la guerre du temps !

4/ Tension entre la recherche éperdue de produire moins cher et celle de vouloir maintenir la qualité éditoriale et technique. Comme la musique, la vidéo va être plus facile que jamais à produire, à disséminer et à découvrir, mais de nombreuses interrogations subsistent pour savoir s’il sera possible de vivre de sa création ! De plus en plus de nouveaux acteurs se mettent en tous cas à financer directement la création et la production, comme YouTube (et ses nouvelles chaînes pros), Netflix, Amazon et même Microsoft qui produisent leurs propres séries de fiction avec les plus grands acteurs et réalisateurs.

5/ Tension entre des écosystèmes très régulés et ceux qui – sautant frontières et durées-- ne le sont pas du tout. Entre l’offre légale et le piratage, mais aussi entre des interprétations très différentes de la liberté sur Internet où la propriété intellectuelle, est souvent remise en cause par une culture du remix. Le monde du cinéma, de la TV et de l’audiovisuel ne doit pas répéter les erreurs de la musique. S’il fait le choix de proposer des offres légales attractives, qui répondent à la modernité des usages, le piratage sera considérablement affaibli. Attention donc à ne pas figer les comportements, comme si rien n’avait changé, notamment dans la sacro-sainte chronologie des médias.

 Digitalisation généralisée, Internet de tout !

Le web, lui, continue d’évoluer à très grande vitesse sous la triple pression des supports mobiles qui, emmenés partout, permettent l’hyper-connectivité, du « cloud », qui permet la qualité de services multi-écrans et l’ubiquité généralisée, et de l’explosion des données, liées notamment au temps réel.

Facebook a déjà la taille de tout l’Internet en 2004 ! Mais le numérique, ce n’est pas que le web ! Ce sont des sites, des applications, des formats hybrides (html5), et demain des objets connectés où les contenus et les œuvres seront aussi distribués. Le prochain écran sera vraisemblablement embarqué dans les lunettes Google ou nos lentilles de contact.

Ces 10 dernières années, sous les coups de boutoir disruptifs des start-up de la Silicon Valley, tous les médias, en se digitalisant, se sont transformés. Dans un paysage Internet sans cesse changeant, la plupart des autres secteurs traditionnels vont aussi être digitalisés et donc changés par les logiciels: en gros, tout ce qui est lent et centralisé se transformera en atomisé, rapide et en réseau.

Le marché de l’hôtellerie est attaqué (Airbnb), celui des taxis (Uber), des garagistes (réseau peer to peer YourMechanic) par une consommation collaborative, et des applications géo-localisées.

Dans l’éducation supérieure, un homme et son ordinateur (la Khan Academy) sont en train de révolutionner l’éducation aux USA. De leur côté, les meilleures universités américaines, (Harvard, Stanford, MIT) mettent en ligne gratuitement leurs cours. Le web est toujours là et disponible, comme un second cerveau collectif !

Dans la science, le low cost, c’est aussi la désintermédiation : quand les chercheurs, pour éditer leurs articles, tentent de se passer des frais exorbitants demandés par les revues scientifiques, devenues des obstacles à la libre circulation des idées et non plus des facilitateurs.

Même nos objets, qui en sauront de plus en plus sur nos habitudes et nos goûts, vont se parler pour des coûts de connexion minimes, favorisant une immersion dans cette fameuse nouvelle vie connectée. A la fin de la décennie, on attend 25 à 30  milliards d’objets connectés !

Et après l’Internet des objets et les réseaux sociaux de machines qui donneront des infos pertinentes quand on les approchera, ce sera … l’Internet de tout, avertit cet automne Cisco, le plombier de l’Internet. Les gens, les objets et les données créeront un réseau des réseaux avec des trillions de connexions et une puissance – et une complexité qui vont croître de manière exponentielle.

 Industrie des objets, industrie des services, médias, puis retour à l'industrie individuelle des objets

Dores et déjà, à la maison, nous sommes passés d’une seule connexion Internet à plusieurs terminaux connectés (smart phones, tablettes, consoles de jeu, laptops,  ordinateurs de bureau, TVs, box, système de sécurité de la maison) et demain de plus en plus d’objets qui, utilisés en même temps, risquent de renforcer le sentiment de congestion du trafic.

Les infrastructures vont-elles suivre ? Alors que l’Europe menait il y a quelques années face aux USA la bataille de la téléphonie mobile, une inversion du rapport de force s’installe: la plupart du territoire américain va être couvert fin 2012 en 4G (LTE) !

Nous entrons donc dans une nouvelle révolution numérique, plus industrielle, qui favorise l’autonomisation de citoyens, désormais tous reliés en réseau.

Grâce aux imprimantes 3D, qui font chuter les coûts de production, nous serons bientôt en mesure de créer nous-mêmes presque tous nos objets.

Après tous médias, tous industriels !

 

Eric Scherer

(Introduction au Cahier de Tendances N°4 MétaMédia Automne - Hiver 2012 - 2013)