Par Fabien Loszach, journaliste, Montréal - @Floszach - Billet invité
A l’opposé de la tendance actuelle des sites d’infos nord-américains à généraliser l’érection de murs payants, le prochain virage numérique du grand quotidien québécois La Presse se fera sur tablette et … en accès libre.
Cela fait presque trois ans que l’on entend parler au Québec du virage numérique et du plan iPad que concocte dans le plus grand secret le Journal La Presse, un des plus grands quotidiens de la Belle Province (tirage de 250.000 exemplaires en moyenne[1].) C’est aujourd’hui officiel : dans un mois, la Presse deviendra La Presse +, une plateforme toute numérique, retour sur une stratégie risquée.
Dans le milieu, beaucoup de rumeurs circulent parmi les journalistes, mais très peu sont véritablement au parfum. Quant à ceux qui travaillent sur le projet, ils ont dû signer des accords de confidentialité pour préserver le secret. Une chose est certaine, La Presse est très active sur le marché de l’emploi et recrute principalement des programmeurs, des designers et des intégrateurs. Au total, c’est aujourd’hui plus de 100 personnes qui travaillent de près ou de loin sur le projet. On a parlé aussi de la possible création de nouveaux studios de télévision et de l’embauche de journalistes-« recherchistes » dans des rédactions concurrentes.
Un nom de code circule depuis trois ans, celui de « plan iPad », un nom qui a éveillé toutes les curiosités et alimenté les spéculations. On a parlé d’un projet révolutionnaire qui devrait sauver le vieux modèle d’affaire des journaux papier traditionnels. Plusieurs analystes ont laissé entendre que La Presse, mais aussi tous les journaux du groupe Gesca auquel appartient le quotidien (Le Soleil, La voie de l’Est, Le Droit, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien) allaient migrer vers un modèle d’affaire similaire à celui de la téléphonie mobile: échange d'un abonnement de plusieurs années au journal pour une tablette numérique gratuite.
Finalement, après des années de spéculations et de secrets bien gardés, on apprenait la semaine dernière que La Presse+ (nom officiel du plan iPad) serait lancée le 18 avril prochain et prendrait la forme d’une application qui permettra aux utilisateurs de consulter une édition numérique quotidienne gratuitement.
Selon le quotidien, La Presse+ a nécessité un investissement de 40 millions de dollars, une somme dépassant celle investit par le magnat de la presse Rupert Murdoch dans le Daily, son projet de quotidien 100 % iPad; un quotidien qui, on le rappelle, a dû fermer ses portes en décembre dernier faute de revenus.
Pour le moment, seuls quelques quotidiens ont réussi à passer avec brio à l’ère numérique. Parmi ceux-ci, le New York Times fait figure d’exemple avec son système de mur payant au compteur, un système hybride qui consiste à offrir de l’information gratuitement, mais impose un paiement – après 10 articles gratuits-- pour un accès complet à son contenu en ligne. Le système est toutefois difficile à reproduire, car très peu de journaux peuvent se targuer d’avoir le lectorat du célèbre quotidien de la grosse pomme.
Jeudi 21 mars, Guy Crevier, président et éditeur de La Presse, prenait une page entière de son journal pour expliquer aux lecteurs l’ampleur du chantier La Presse+ et pour annoncer à la surprise générale que cette dernière sera offerte gratuitement.
« La gratuité de l’information écrit-il est bien ancrée dans les habitudes de consommation numériques et ce phénomène est irréversible. » On a aussi appris que cette Presse + intégrerait de la vidéo pour proposer une expérience de lecture augmentée.
Comment la Presse + entend-elle se financer sans abonnement ni mur payant? Par la création d’outils publicitaires performants adaptés aux tablettes, des tablettes qui, explique Crevier, connaissent un taux de pénétration dans la population presque trois fois plus rapide que le smart phone. Des économies seront aussi progressivement réalisées en s’affranchissant des frais d’impression et de distribution (qui représentent en général la moitié des frais d’exploitation d’un journal). Outre les économies, la possibilité de s’affranchir des réseaux de distribution est vue dans certains pays comme la France comme un moyen de se libérer d’une relation plus que tendue avec certains syndicats qui contrôlent la distribution quotidienne.
Du côté des chiffres certains avancent que le tirage papier devrait rapidement diminuer pour passer de 250 000 copies quotidiennes à environ 75 000 dans trois, cinq ou sept ans. Une seule certitude à ce sujet, le contrat d’impression qui lie La Presse à son imprimeur le géant Transcontinental prendrait fin en 2018.
Même si des rumeurs affirment qu’une édition de La Presse + est quotidiennement envoyée à des testeurs, rien n’a encore "fuité" dans le grand public. Le mystère reste entier et la campagne médiatique distille au compte goutte les informations afin d’attiser la curiosité.
Rendez-vous le 18 avril donc !