L’avenir de la TV, vu par Netflix

 

Netflix, créé juste un an avant Google, est-il qualifié pour nous parler de l’avenir de la télévision ?

 Si nous sommes d’accord pour ne pas mépriser les petits nouveaux, la réponse est oui. Et au vu des résultats bluffants annoncés ces derniers jours par la firme de Reed Hastings, la réponse est encore plus évidente.

   Rapidement quelques repères, avant de voir ses prédictions :

  • Netflix est désormais plus gros que HBO aux Etats-Unis en nombre d’abonnés : elle en a engrangé 3 millions de plus au 1er trimestre (dont 1 million hors USA) pour atteindre près de 30 millions.
  • En temps passé aux USA, Netflix capte chaque jour plus d’attention du public que n’importe quelle chaîne du câble américain, avec plus de 87 minutes quotidienne par foyer US. En utilisation d’Internet, Netflix occupe, à lui seul, le tiers de la bande passante nord-américaine.
  • « House of Cards », la série vedette des derniers mois – celle dont tout le monde a parlé-- n’est ni passée à la télévision, ni au cinéma. Elle a été entièrement financée, produite et distribuée par Netflix, qui n’a pas lésiné sur les têtes d’affiche, embauchant David Fincher, réalisateur primé de « Social Network» et la star britannique Kevin Spacey. Moins de trois mois après son lancement, une superbe parodie a été diffusée samedi soir au début du fameux dîner des correspondants de la Maison Blanche, l’événement mondain de l’année dans la capitale en présence d'Obama.

       Au passage, Netflix a créé une forme nouvelle d’expérience TV (le « binge viewing » littéralement l’orgie de séries) en choisissant de livrer d’un coup les 13 épisodes, cassant la traditionnelle séquence hebdomadaire des séries.

netflix3

En matière de production originale, elle ne compte pas s’arrêter là : une vingtaine de projets seraient dans les cartons. Et pour ses achats aux studios, elle déjà fait savoir qu’elle sera être de plus en plus regardante sur la qualité et arrêtera de se faire refiler les fonds de catalogues.

  • Ses revenus dépassent désormais le milliard de dollars et son action est celle qui a le plus progressé cette année sur la cote américaine : +134% depuis janvier !
  • Son développement international, rapide, lui assure déjà près de 15% de son chiffre d’affaires. Après le Canada déjà bénéficiaire, l’Amérique Latine, la Grande-Bretagne et la Scandinavie (déjà 8% de la VOD en 3 mois), un autre marché européen est prévu au second semestre 2013. Ce ne sera pas la France en tous cas ! Trop bien protégée par sa très rigide chronologie des médias, baptisée par Netflix « the Canal Plus Law » !
  • Et Ted Sarandos, le patron des contenus de Netflix, figure désormais dans les 100 personnes les plus influentes du monde, établie par Time Magazine!

Mais revenons à la vision de Netflix sur le futur de la TV et sur son propre avenir. Dans un long texte de 11 pages, il tente de répondre aux questions de fond des investisseurs qui reviennent sans cesse : la télévision, forte de ses usages persistants saura-t-elle mieux prendre la vague Internet que l’industrie de la musique ou la presse ? Hollywood et les telcos continueront-ils à freiner le mouvement de l’OTT et de l’accès direct aux consommateurs ? Quels seront les nouveaux moyens de divertissement de demain ?

Que nous dit le patron de Netflix ? En résumé trois choses :

  • La vidéo en ligne via Internet va remplacer la TV de rendez-vous proposée en mode linéaire.

  • Les applications vont remplacer les chaînes, les télécommandes disparaîtront et les écrans vont proliférer.

  • Ce mouvement est mondial et tiré par des acteurs comme Netflix, HBO, ESPN ou la BBC.

Les principaux points :

« La TV en mode linéaire est mûre pour être remplacée »

C’est vrai, dit Netflix, les gens continuent de regarder la TV et d’aimer cela. Mais « ils n’aiment plus cette expérience où des chaînes présentent des programmes à des heures particulières sur des écrans fixes en utilisant des télécommandes compliquées (…) Trouver de bonnes choses à voir n’est ni facile, ni marrant ».

« La migration vers une TV connectée avec des applis a déjà débuté »

Il n’y pas que Netflix qui propose de bonnes choses. L’appli WatchESPN, disponible sur de nombreuses plateformes, propose du sport et va encore s’améliorer pour lutter contre des applis très performantes, comme celle de la ligue de Baseball (MLB.tv)

L’appli HBO Go ou l’iPlayer de la BBC montrent aussi comment la télévision sort du téléviseur pour être consommée de plus en plus à la demande. D’ailleurs la BBC commence à développer des programmes pour son « player » avant de les montrer à l’antenne.

Les 10 raisons de croire dans l’essor inévitable de la TV par Internet

 (même si la vidéo en ligne ne représente pour l’instant qu’un faible pourcentage de la consommation d’images animées)

  1. L’Internet va aller encore plus vite, sera plus fiable et mieux disponible.
  2. Les Smart TV vont se développer et au bout du compte chaque poste sera équipée de wifi et d’applications.
  3. Les adaptateurs pour rendre votre TV Smart (Apple TV, Roku..) vont être meilleurs et moins chers.
  4. Le visionnage par tablettes et smart phones va progresser.
  5. Les tablettes et les smart phones vont être utilisés comme des interfaces pour accéder à la TV Internet.
  6. Poussées par la concurrence et de fréquentes réactualisations, les applis de la TV Internet vont s’améliorer.
  7. La diffusion 4K arrivera bien plus vite en streaming que par la TV linéaire.
  8. La pub sur les vidéos en ligne sera personnalisée et pertinente.
  9. Les grands networks vont réussir leur transition en douceur vers la « TV partout » pour atténuer le mouvement de « cord cutting ».
  10. Les nouveaux arrivants, come Netflix, innovent rapidement. 

Les consommateurs qui payaient jusqu’ici pour un bouquet vont aussi réclamer, en plus, des applications.

Les networks qui ne parviendront pas à développer des applis de qualité vont perdre de l’audience et des revenus.

La concurrence pour la TV Internet ne fait que commencer, notamment avec les fournisseurs de bouquets par câble et satellite.  

Les applis de TV connectée vont s’améliorer comme pour les smart phones

Il y a 20 ans les téléphones portables étaient de gros objets chers limités à la conversation. Aujourd’hui ils sont au centre de la vie de milliards de gens. « Nous voyons un parallèle dans l’amélioration croissante à venir des applis de TV connectée, du très haut débit et des terminaux dans les 20 ans à venir ».

L’arrivée des nouveaux entrants pur-Internet OTT

La TV connectée va créer des opportunités pour les networks et favoriser l’arrivée sur l’écran d’applis comme Netflix, YouTube, MLB.tv, ou iTunes capable d’offrir de vastes services indépendants directement au consommateur, sans passer par les offres groupées des telcos.

C’est vrai, Netflix est en concurrence pour le temps dédié aux loisirs avec les TV classiques, mais ce temps reste important. Et le temps passé à surfer sur Internet ou à jouer aux jeux vidéo n’a pas entamé ces 20 dernières années le temps consacré à la télévision. De même quand une chaîne propose des grandes séries, ce n’est pas au dépend d’autres chaînes qui diffusent aussi de grandes séries.

Le cas Netflix

Netflix précise que son offre de SVOD est limitée au cinéma et aux séries TV. Pas d’infos, de sports, de téléréalité, de vidéos musicales ou de vidéos du public. Mais,

  • un budget marketing de 450 millions de $ par an pour gagner « les moments de vérité » quand le public souhaite regarder de la vidéo, que ce soit le jeudi à 19h15 ou le mardi à 2h40 du matin.
  • un budget de 350 millions de $ pour améliorer le service proposé avec le pari de la recommandation : en analysant chaque clic du télénaute, Netflix pense être en mesure de proposer des contenus pertinents, très personnalisés et donc adaptés au goût de ses clients. L’objectif est d’améliorer l’algorithme en permanence.  (Netflix fait travailler plus de 900 développeurs pour améliorer sans cesse son principal atout : la pertinence de ses recommandations)
  • Plus de 2 milliards $ investis dans les contenus (achetés ou produits)

Ses achats de licence de contenus sont limités dans le temps et réexaminés en fonction des performances. Dans la plupart des cas, Netflix cherche des contenus exclusifs pour la SVOD.

Sa capacité à estimer le succès de tel film ou série, à partir des données de nos utilisateurs, lui permet non seulement d’éviter de surpayer les contenus en licence, mais aussi de mieux choisir que les TV linéaires les bons projets à produire, souvent via un de ses partenaires comme Lionsgate ou 21st Century Fox.

Netflix pense aussi avoir un avantage sur ses concurrents linéaires dans le lancement des séries : il dit disposer du temps et de l’espace en pouvant s’engager pour une saison sans se limiter à un pilote sur un créneau horaire limité ! Et dit avoir une plateforme plus flexible pour adapter ses propres modes de narration et de promotion.

Même plusieurs mois après son lancement, la série House of Cards bénéficie chaque semaine d’une multitude de nouveaux internautes qui débutent son visionnage.

Pour 2013 et les prochaines années, Netflix évalue son investissement en production originales à moins de 10% de ses dépenses en contenus, en raison notamment de son effort parallèle de développement sur les marchés internationaux.  

A l’international

Dans chaque marché, son but est d’acquérir un vaste catalogue et d’avoir une croissance rapide du nombre d’abonnés pour devenir le leader (20 à 30 % de part de marché).

Concurrence

Netflix distingue 2 sortes de concurrents :

  1. Les concurrents pour le temps passé : les jeux vidéos, les vidéos de sports et le piratage.
  2. Les concurrents pour les contenus : ceux qui cherchent les mêmes contenus, comme HBO (qui vient de passer des accord exclusifs avec Universal et Fox), Amazon/Lovefilm/Prime, Hulu, Now TV, et beaucoup d’autres chaînes du câble ou des networks.

Mais Netflix estime pouvoir être à rapidement deux à trois fois plus gros que HBO aux Etats-Unis pour atteindre entre 60 et 90 millions d’abonnés. D’autant que la prochaine rupture technologique (l’après streaming) n’est pas visible.

Relations avec les fournisseurs d’accès Internet

Le très haut débit étant très profitable pour les fournisseurs d’accès (car ils n’achètent pas de contenus), plus Netflix aura de succès, plus Netflix pense être incontournable pour les abonnés des FAI. Plus la nécessité pour ces deux acteurs de travailler mieux ensemble s’imposera.

En même temps que Netflix grandissait à 30 millions d’abonnés aux Etats-Unis, le nombre d’abonnés au câble est resté stable autour de 100 millions. Les deux services sont donc complémentaires, estime Netflix, et peu concurrents tant que les câblos développent parallèlement des offres sur Internet.

Conclusion

En matière d’accès aux loisirs dans les prochaines décennies, Netflix voit un paysage très différent  d’aujourd’hui et donc arriver :

  • Une extraordinaire qualité vidéo
  • Une prolifération d’écrans
  • Des interfaces naturelles qui restent à inventer
  • Un incroyable choix de contenus et d’œuvres.

Quant à celui qui regarde l’écran : ce sera plutôt le même, conclut Reed Hastings ! Quelqu’un qui cherche un moment d’évasion et de plaisir dans une histoire irrésistible à partager en famille ou entre amis !

Nous voilà prévenus !