Par Barbara Chazelle, directions stratégie et prospective, France Télévisions
La tendance la plus marquante de 2012 fut bien l’explosion des réseaux sociaux (rachat d’Instagram, Facebook et son milliard d’utilisateurs, arrivée fulgurante de Pinterest) portée par l’adoption massive de terminaux connectés et mobiles. Aujourd'hui ces deux tendances ne sont plus que de simples outils. En 2013, l’innovation numérique est désormais plus complexe : elle n’est plus simplement sociale ou technologique. Elle vise, de manière plus concrète et subtile, à mêler le réel au virtuel et inversement.
L’agence Nurun vient de présenter une lecture des tendances numériques pour 2013 sous le prisme People-Techno-Business, qui l’illustre bien. En voici des exemples…
PEOPLE (les gens)
Les applications sociales ne se limitent plus à Twitter et Facebook. Une innovation originale peut séduire vite et massivement le public.
- Vine, qui figure dans le top des applications téléchargées sur l’App store américain et avait été racheté par Twitter fin 2012, atteint 50.000 vidéos (de 6 secondes max) par jour.
- SnapChat qui permet d’envoyer des messages qui s’autodétruisent 10 secondes maximum après avoir été consultés, comptabilise 60 millions de snaps envoyés chaque jour.
- Summly se propose de simplifier l’accès à l’info en générant de courts résumés d’articles. L’application, développée par un jeune américain de 15 ans, n’a pas eu le temps de se faire connaître du public qu’elle était rachetée par Yahoo pour 30 millions de dollars. « Difficile de voir de nouveaux géants du web apparaître lorsque les gros avalent leurs concurrents potentiels à la source », estime Jean-Pascal Matthieu, Directeur de l’innovation de Nurun Lab.
L’info personnalisée semble être la nouvelle mine d’or vers laquelle se ruent les plus grands acteurs du web. En avril, Google a acquis pour 30 millions de dollars Wavii, une application qui offre à son utilisateur un news feed des sujets qu’il veut suivre de manière résumée et simplifiée ; Linkedin a quant à lui racheté pour 90 millions de dollars Pulse, un agrégateur de flux RSS qui revendiquait plus de 30 millions d’utilisateurs.
TECHNOLOGIE
- Le tactile est (bientôt) mort : place à la navigation par le mouvement.
Bien plus précis que le système Kinnect de Microsoft, on attend le mois de juillet pour voir arriver LeapMotion , un petit boitier qui permet de contrôler son ordinateur par des gestes de la main.
The Eye Tribe, présenté au CES 2013, permet quant à lui de commander sa tablette uniquement par le regard.
Interagir en mouvement avec un environnement à distance est désormais possible avec des robots à roulettes tels que Double Robotics : surmonté d’un iPad relié par visioconférence à son utilisateur, il permet à celui-ci d’être représenté (c’est le principe d’une web cam) mais aussi de voir ce qui se passe autour de l’écran en réglant si besoin la hauteur de celui-ci.
- Ce n’est plus en écrans qu’il faut compter mais en interfaces ! N’importe quel objet peut en devenir une. Pour Jean-Pascal Matthieu, « la meilleure interface est l’absence interface », à l’instar de cette voiture Ford dont le coffre peut s’ouvrir par un simple mouvement du conducteur ayant la clé de la voiture sur lui.
- Enfin, si l’on en croit les récentes annonces de HP, des hologrammes 3D ne sont pas loin de sortir de nos mobiles.
PEOPLE + TECHNOLOGIE
- L’impression 3D reste pour le moment très expérimentale (et couteuse) mais laisse rêveur quand on apprend que les premières maisons imprimées l’ont été en moins d’une journée ! Le film prospectif ci-dessous ouvre quant à lui de belles perspectives de business…
- Les cours en ligne se professionnalisent ; Coursera par exemple, fondé par Andrew Ng, propose à près de 3,3 millions d'étudiants des cours de 62 universités dans le monde dont quelques unes accordent des crédits pour certains cours suivis sur le site.
PEOPLE + BUSINESS
La disparition des intermédiaires, à cause de l’explosion du e-commerce entre autres, est annoncée depuis un moment mais semblait se limiter à un nombre d’activités restreint (comme les agences de voyage).
Aujourd’hui, ce sont de nouveaux types marchés qui sont touchés, comme la location de voitures ou de chambres à coucher, possibles sur Get Around ou Airbnb qui ouvrent le peer to peer aux biens matériels via le numérique.
TECHNOLOGIE + BUSINESS
- Les objets connectés se multiplient et sont de plus en plus proches du corps : Google Glasses, textile connecté… semble attiser la curiosité du public qui n’hésite pas à généreusement financer ce type de projet, comme la montre connectée Pebble synchronisable à un smartphone, qui a levé plus de 10 millions de dollars sur Kickstarter. Cette semaine, HAPIfork, la fourchette qui lutte contre la prise de poids en vous aidant à manger plus lentement a récolté plus de 100 000 euros en 15 jours sur cette même plateforme.
- Le e-wallet met du temps à arriver, mais sera probablement bien plus important que ce que l’on peut imaginer aujourd’hui, comme le laisse à penser le succès du wallet de Starbucks aux US qui comptabilise 25 millions de rechargements de sa carte par mois.
Autre tendance à surveiller : le mariage du jeu et du e-commerce, à l’instar de Mall We Go qui propose une expérience hybride entre réseau social, jeu (proche des Sims) et achats (virtuels et réels) en ligne.
- Enfin, sans l’ombre d’un doute, big data is very big business to come ! Cet « or noir » reste à exploiter… en espérant que cette exploitation soit respectueuse de nos données personnelles !
SWEET SPOTS : PEOPLE + TECHNO + BUSINESS
Les “sweet spots” sont les initiatives les plus abouties, celles ayant réussi à intégrer les 3 dimensions people-techno-business.
- le mobile est maintenant un produit mûr, que le public plébiscite et que les géants du web ont désormais bien intégré dans leur stratégie de business. Pour illustrer ce propos, on retiendra que 1/3 des requêtes Google sont faites depuis un mobile et qu’Expédia réalise 20% de ses transactions sur ce type de terminal.
- Après une période de transformation des stores en show room, notamment pour le secteur de l’high tech, on constate l’apparition d’une nouvelle tendance : le « r-commerce », pour réel ou retail, qui tâche d’intégrer les éléments du numérique dans les magasins. L’expérience la plus aboutie est certainement celle que l’on peut vivre dans les boutiques Apple dont certaines sont désormais en libre service (pour une petite sélection de produits pour le moment). Grâce à l’application Easy Pay, le client scan lui-même son produit et est facturé directement sur son compte Apple.
- La livraison le jour même reste la chasse gardée des distributeurs physiques mais peut être plus pour très longtemps ; c’est en tout cas l’objectif affiché d’Amazon, entre autre, qui multiplie les centres de distribution dans tous les Etats-Unis afin de se rapprocher du client final.
- La multiplication des objets connectés entraîne la création de « hubs de choses ». Si l’on en croit de succès de Smart Things qui a levé plus d’1,2 million de dollars sur Kickstarter, ces outils ont un bel avenir devant eux. Pour Alex Hawkinson, le CEO de la start up, les objets connectés « ne sont pas uniquement télécommandables ; le monde réel devient programmable grâce aux softwares et aux applications. »[1]
- la e-santé est elle aussi en plein essor. A l’initiative de la NASA, Scanadu n’a que son nom pour nous faire penser qu’il s’agit de science-fiction. Le premier appareil qui a été présenté en janvier au CES de Las Vegas est une sorte de scanner corporel qui permet à tout à chacun d’établir des diagnostics médicaux.
L’internet des objets est en plein expansion et la frontière avec l’internet des corps se rapproche.
Pour ceux qui ne l'auraient pas vu dans un précédent article de Méta-Média, une courte fiction d'anticipation réalisée par des étudiants de la Bezaleal Academy of Arts de Jerusalem, qui illustre les technologies de réalité augmentée.
RISQUE DE TECHNO PANIC
L’adoption rapide de nombreux outils numériques a fait évoluer les comportements des consommateurs vis-à-vis des produits. L’adoption des services numériques innovants se heurtait jusqu’à présent principalement à l’âge de l’utilisateur et à sa capacité à avoir accès à un terminal connecté. Aujourd’hui, on entrevoit une nouvelle scission se créer au sein de la communauté connectée, une scission émotionnelle voire idéologique. En effet, la tendance à l’hyper connexion du monde réel amène une partie du grand public à se méfier voire à rejeter certaines technologies, en essayant de poser une limite au périmètre de la connectivité.
Ces comportements et usages n’étant encore ni normés ni installés sont très peu maîtrisés des entreprises ; ce sera l’un des enjeux majeurs des marques que de comprendre, pour la clientèle qu’elles ont fidélisée ou qu’elles voudraient séduire, quels sont ces changements mais surtout quelles sont les limites à ne pas franchir en termes d’innovation pour ne pas les perdre totalement.
Barbara Chazelle.
[1] Mashable, This Product Will Make Your Home Smarter, décembre 2012