TV, cinéma, Internet : hold-up sur Hollywood !

Résumé :

  • Industries de l’image : une nouvelle génération, sous nos yeux, en deux ans.
  • Sous les attaques frontales de la Silicon Valley, Hollywood est touché.
  • TV et cinéma ont du mal à répondre aux nouveaux besoins du public connecté.
  • Dans le web audiovisuel mondial, tous travaillent aux nouveaux modes de financement, de distribution et de recommandation des œuvres vidéo.
  • Nous ne sommes qu’au début de l’ère multi-écrans des médias de précision !    

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   Le web a 20 ans, Google 15, iTunes 10, Facebook 9 et YouTube 8 ! En moins d’une génération, que de changements dans nos habitudes de lecture, d’écoute et de visionnage !

   Moins de deux décennies d’Internet et de numérique auront donc suffi pour révolutionner les trois piliers des industries des médias et du divertissement :

  • les modes de création et de production des contenus et des œuvres,
  • leurs modes de distribution,
  • et bien sûr, les supports pour en profiter.

Inévitable donc, après la musique, la photo et l’écrit, de voir Internet redistribuer les cartes dans l’image animée, chamboulée aujourd’hui par les nouvelles habitudes d’un public heureux d’imposer désormais ses règles.

Déjà pris dans « la lessiveuse », le monde de la télévision bascule dans une nouvelle époque, où les barrières entre web et TV s’effondrent : 2013 est bien l’année où la télé par Internet devient grand public.

A son tour - et avec effarement -- l’industrie du cinéma commence à voir les geeks et les jeunes barbares de la Silicon Valley remettre en cause sa manière – souvent luxueuse, parfois dépassée - de travailler.

L’image est devenue prédominante sur le langage, l’écran sur l’écrit, mais les modèles d’affaires des vieilles industries de l’image --télévision comme cinéma-- sont cassés. La fin du bon vieux temps est là : depuis deux ans, la nouvelle génération de médias vidéo se construit sous nos yeux sur une plateforme interactive et immersive.

Evidemment, comme il y a 10 ans dans la musique, la tentation régressive est grande : celle d’ignorer les nouvelles exigences du public (tout, tout de suite), voire de se retourner contre lui. En gros de tout faire pour éviter de perdre le contrôle, alors que l’urgence est de s’adapter à la réalité numérique et de se réinventer. 

En dehors des salles de projection, la bataille se joue désormais sur quatre écrans (smart phone, tablette, ordinateur et TV). Et dans cette guerre pour l’attention, où règnent les forces de la distraction et de l’interruption, c’est bien le consommateur qui commande ! A l’âge du tout accès, la Génération YouTube choisit moments et lieux du divertissement et de l’info numériques qu’elle entend consommer instantanément.

Elle force Hollywood, la géants du web, les grands networks à New York, les fabricants en Corée et en Chine, ou les telcos partout dans le monde, à tous travailler – le plus souvent les uns contre les autres -- sur les prochaines manières de créer, financer et distribuer les contenus pour des écrans qui prolifèrent.   

Hollywood démystifié

 Grâce à des coûts de production et de distribution techniques devenus quasi-nuls, la Silicon Valley est donc partie à l’attaque d’Hollywood : elle a noyé le marché sous un déluge inédit de vidéos, parfois de bonne facture, a proposé de nouveaux modes d’accès pratiques vers les contenus professionnels et s’est emparée d’une bonne partie du temps disponible du public.

 Hollywood, qui dominait depuis des décennies de ses talents et de son argent les industries mondiales du cinéma, de la télévision et de la musique, se retrouve d’un coup démystifié ! Et comme toujours avec Internet, c’est le public, grand amateur de ce nouveau web audiovisuel, plus professionnel, qui en profite le plus.

Le système traditionnel de préfinancement des œuvres et de taxes fonctionne moins bien. La fréquentation des salles baisse en Amérique, leur public vieillit, les séries sont mieux en phase avec le public et avec ces nouveaux moyens de diffusion. Hollywood a du mal à s’adapter aux nouveaux besoins du public, satisfaits par les nouveaux venus plus agiles.

Ces nouveaux diffuseurs, Netflix, Amazon, Hulu, YouTube, n’hésitent pas à produire eux-mêmes les oeuvres, montent leurs propres studios, font tourner les plus grands réalisateurs et les meilleurs acteurs (Gwyneth Paltrow chez AOL, Kevin Spacey chez Netflix ou Ed Helms chez Yahoo) et deviennent de puissants programmateurs. Loin d’être des producteurs au rabais, et désormais plus accessibles que les majors, ce sont eux qui attirent aujourd’hui de plus en plus de talents. 

TV / Internet : la grande bascule. Mais pour le public, une seule nouvelle expérience dans l’ère multi-écrans

Les temps ont changé, les foules l’ont compris. Aujourd’hui, le numérique c’est comme l’air qu’on respire, comme une extension de nous-mêmes. Une technologie qui transforme radicalement l’industrie des loisirs et notre relation au divertissement et à l’information. Où que nous soyons, de multiples possibilités d’accès et de partage, liées à notre style de vie, sont offertes.

Au moment où Newsweek n’est plus imprimé, où les journaux américains les plus respectés sont à vendre (Boston Globe, Los Angeles Times, Chicago Tribune) et valent dix fois moins qu’il y a dix ans, où même acheter un journal est aussi désuet que se promener dans la rue avec une canne, nous passons aujourd’hui plus de temps avec nos smart phones qu’avec les gens !

Notre nouvelle manière de nous informer et de nous divertir se situe désormais à l’exacte intersection des contenus, des formes d’accès pour les trouver et des écrans pour en profiter dans un monde nouveau, où tous se battent pour notre attention. Chaque page du web, application ou vidéo en ligne est aussi vite accessible qu’une autre !

Pourtant même accro aux médias sociaux chronophages, jamais le public n’a consommé autant de contenus. Mais le monde de la télévision, qui sait bien que l’essentiel de la croissance aura lieu sur les nouveaux terminaux, a du mal à arrimer ses contenus aux nouvelles technologies, aux nouveaux moyens de diffusion, à l’éclatement des écrans. 

Le public se moque bien de savoir si c’est de la TV ou de l’Internet, se fiche des modèles d’affaires des uns et des autres. Pour lui, il n’y plus qu’une seule et unique expérience dans un monde multi-écrans hyper-connecté, nouvelle norme d’Internet.  

Mobile first, méga tendance : la vie nomade de la TV !

D’abord via l’extraordinaire essor des terminaux mobiles, au coeur de l’actuelle révolution des usages (un milliard de smart phones vendus cette année, 120 millions de tablettes iPad en 3 ans), où Internet est sur soi tout au long de la journée, et demain sera embarqué, sur des objets portables connectés (lunettes, montres …) à des réseaux de télécommunications de plus en plus rapide (3G+ → 4G / LTE) qui se développent en Asie, aux Etats Unis ou en Europe. Et bientôt 5G.

Les « phablets » sont devenus les principales consoles de jeu, les vidéos sont partagées d’un écran à l’autre, d’une pièce à l’autre, d’un pays à l’autre. La multi-activité devant plusieurs écrans devient courante et le second écran devant la TV pourrait bien devenir le premier !  

L’assaut contre la TV

L’assaut d’Internet sur la TV pour son marché publicitaire de 200 milliards de dollars est en cours. Et pour le patron de Google, Eric Schmidt, la bataille est même déjà gagnée !

En tout cas, celle, cruciale de la programmation face à une « TV de rendez-vous » dépassée, semble acquise. La vidéo en ligne et Internet progressent vite dans les pratiques du public, lassé de se voir imposer horaires et contenus. La télévision est en train de connaître « son moment iPhone », et YouTube, interactif et mondial, est au cœur de la nouvelle expérience. D’autant plus difficile à ignorer qu’elle occupe déjà près du quart de la bande passante en Europe !

En quelques années, Internet a pris le pas sur la TV comme première source d’informations. Elle reste dominante pour le divertissement. Mais pour combien de temps ?

Pas beaucoup, si elle continue à proposer les shows vieillissants de la téléréalité ou ceux, en solde, de la « scripted reality », pendant que, petit à petit, les ayant droits deviennent directement des diffuseurs. Même si le public cherche à être diverti par des émissions légères, drôles et surprenantes, notamment en multi-activité, des sauts qualitatifs sont à accomplir, comme le travail sur la découverte des programmes par l’audience et les coûts pour la produire.

La télévision admet mal qu’elle se dilue aujourd’hui dans les distractions offertes par les autres écrans (Internet, réseaux sociaux, jeux vidéo…) et les nouvelles machines de guerre de la diffusion qui ciblent le temps disponible du public et l’argent des annonceurs. Habituée à produire des contenus, à les distribuer, à en être l’unique porte d’accès, les grands networks et les chaînes sont en train de perdre une partie de leur contrôle. Programmer dans un monde aussi fragmenté pour une audience aussi dispersée devient de plus en plus complexe.  

Dégroupage des offres de bouquet et « cord cutting »

Sur la forme aussi ! Séduits par 10 ans d’iTunes, les gens ne veulent plus payer pour des contenus qu’ils ne consomment pas. Quatre millions de foyers américains ont résilié leur abonnement au câble et aux bouquets depuis 2008. Un phénomène qui va s’accélérer tandis qu’augmente aux Etats-Unis le nombre de foyers sans aucune TV : les « cord-never » ! Le Congrès américain réfléchit d’ailleurs à permettre la consommation des chaînes à la carte, impossible jusqu’ici.

Hacker la télé ! De la Social TV à la TV participative

 Les groupes de TV tentent de résister à ce début de désaffection mécanique de l’audience. Comme la BBC, ils commencent à produire des contenus originaux pour les plates-formes numériques ou le web, avant même le passage à l’antenne. Ils testent de nouvelles formules narratives multimédias, multi-écrans, mieux adaptées à l’époque et aux jeunes audiences, et profitent des leviers participatifs.    

Après avoir adopté de la Social TV --ces conversations en direct via les réseaux sociaux qui rajeunissent les programmes--, la télévision devient plus participative et va favoriser les co-productions, où dans un réseau plus distribué, le consommateur devient créateur et vice versa.

Et si le public apprécie l’innovation et la qualité, il a aussi besoin de filtres de confiance pour faire face à la surcharge informationnelle, à la cacophonie de bruits numériques d’un univers qui double de taille tous les deux ans. La télévision doit pouvoir devenir un facilitateur, un agrégateur, un compositeur de … programmes. Les siens et ceux des autres. Elle reste le lieu privilégié du temps long, du divertissement recherché et souvent de la culture, en ce début de 21ème siècle compliqué.

De bien meilleure qualité depuis l’apparition des séries, la télé surclasse souvent le cinéma, par sa souplesse, sa vitesse, ses rémunérations, le contrôle créatif qu’elle offre aux scénaristes. Demain aussi par la qualité de son image avec l’arrivée de l’Ultra-Haute Définition (4K et plus), qui favorise l’immersion, démarre plus tôt que prévu au Japon et pourrait bien arriver via… la vidéo en ligne avant même la TV !

Pour séduire la « génération écrans », la télévision peut aussi compter sur les grands événements fédérateurs du direct : sports, infos et les grands shows. Elle sécurise en ce moment des droits de retransmission, même si côté sport l’inflation est galopante et l’appétit des autres acteurs féroce. Certains parient aussi beaucoup sur la convergence de la TV et des jeux vidéo en ligne.

Hollywood : « tech is the new cool, geeks are the new rockstars ! »

Mais l’offensive est rude. Car après avoir passé des années à imaginer les meilleures manières de pousser les gens à cliquer sur des publicités, les startups et les géants du Net cherchent aujourd’hui à voir comment encourager les gens à regarder des vidéos en ligne sur un web où l’espace publicitaire est partout.

Dans ce monde d’abondance de vidéos, Hollywood commence à réaliser qu’Internet et le numérique ne sont pas réservés aux geeks et autres programmeurs, que les studios ne pourront longtemps supporter les vieux coûts d’antan !

Cette révolution des industries de l’image a lieu, en plus, à domicile, à Los Angeles, où les galopins n’ont plus de complexes vis-à-vis des nababs, où les rockstars d’aujourd’hui sont … des entrepreneurs ! Les grands réseaux de chaînes thématiques YouTube montés ces deux dernières années, Maker, Machinima, Zefr, FullScreen, BigFrame se sont installés tout autour d’Hollywood, y créant au passage des centaines d’emplois.  

Mais, avec leurs manières complètement différentes de faire des choses extraordinaires,  Hollywood et la Silicon Valley ont du mal à travailler ensemble : les studios aiment moins la prise de risque. Aujourd’hui, innovation et créativité sont souvent remplacées par la course aux dollars les plus garantis. Ce sont de vieilles grosses machines peu agiles, peu aptes au sur-mesure, ni pour les réalisateurs, ni pour les spectateurs, qui goûtent peu les joies du capitalisme numérique : énormes volumes, marges faibles, salaires peu élevés ! Y compris pour les acteurs !

Et surtout, comme tant d’autres avant eux, ils ont tendance à prendre de haut les nouveaux arrivants sur l’air de : « Internet n’est qu’un tuyau, nous, nous créons du rêve ! » avec de grandes histoires et des stars ! Sans admettre que la nouvelle expérience voulue par le public combine désormais contenus et contexte. Sans vouloir – ou savoir—profiter des possibilités d’adapter leur création, de savoir qui la regarde. Sans toujours reconnaître qu’aujourd’hui, les scénaristes de séries ont remporté l’adhésion du public.

Ainsi, Netflix, devenu un acteur majeur d’Hollywood et désormais plus gros que HBO, capte chaque jour plus d’attention du public que n’importe quelle chaîne du câble US et utilise le tiers de la bande passante nord-américaine. Avec d’autres nouveaux venus, comme Amazon, YouTube, Hulu, Yahoo, DailyMotion et quelques uns plus anciens, comme Microsoft et Apple, elle s’est mise avec succès à financer des œuvres sans passer par le cinéma ou la télévision. 

Tous producteurs !

Pour lutter, Hollywood se met donc à recourir de plus en plus aux outils numériques pour abaisser ses coûts faramineux : le cloud, le marketing viral des réseaux sociaux, la captation numérique. Et organise même des hackathons ! HBO et sa fameuse série « Game of Thrones » fait tout aujourd’hui pour séduire la Silicon Valley. Les studios vont jusqu’à transformer de grosses productions en vastes événements, pour rapprocher le public des personnages et lui permettre d’intégrer la narration.

Et puis, les studios comptent aussi toujours sur les barrières à l’entrée qui restent élevées pour se faire connaître, même à l’heure des réseaux sociaux. L’essentiel de la distribution des films continue, pour l’instant et depuis près d’un siècle, de passer par l’étroit passage d’une demi-douzaine de grands studios.

Leur défi principal reste le même : raconter des histoires irrésistibles. Mais le faire moins cher et avec les nouveaux moyens technologiques. Dans cette course aux contenus de qualité, les films indépendants, savent qu’ils ont une belle carte à jouer, avec l’aide du numérique, d’Internet et d’un fort état d’esprit entrepreneurial. Plus vifs, ils n’hésitent pas à solliciter directement le public pour leur financement via Kickstarter ou Indiegogo, qui nous transforment en banquiers ou en producteurs ! 

Ce qui était réservé depuis des décennies aux studios et à la télévision, est en train d’être démocratisé. Tout le monde peut prendre une caméra, même si tout le monde n’est pas Fellini, Spielberg ou Lucas !

Pour le consommateur, avoir accès à la meilleure expérience possible est désormais facile techniquement, mais reste juridiquement compliqué en raison des fenêtres des droits, censées permettre le bon financement des œuvres. Gare toutefois à l’absence persistante d’offres légales face à ces nouveaux besoins plus sophistiqués, notamment pour satisfaire la boulimie de séries – certains parlent d’orgies- ! Le piratage est le meilleur ami de la désuète chronologie des médias.

Manque de diversification, d’investissement agressif dans le numérique, déclin et vieillissement des audiences, les maux se retrouvent d’une industrie des médias à l’autre. Pourtant la mutation est possible : la musique connaît sa première année de profits depuis 1999 et le premier groupe de presse européen Springer génère désormais plus de revenus sur le web qu’avec ses journaux. 

Verra-t-on demain un prix des films en fonction de la taille de l’écran ? Il faudra être inventif et les nouvelles technologies, mêmes disruptives, vont aider.

Médias de précision : les terminaux vous reconnaissent, les contenus vous trouvent

Le basculement en cours de la TV vers l’Internet, transforme ainsi le mass media en média de précision, offrant des contenus contextuels et personnalisés. Après une diffusion large visant un plus petit dénominateur commun, nous arrivons au « sur-mesure de masse ».

Ce nouveau ciblage, permis par les technologies numériques et l’exploitation des données des utilisateurs, fait l’affaire des annonceurs qui espèrent toujours la vérité sur l’impact de leurs campagnes et préfèrent des consommateurs engagés à des utilisateurs passifs. Même si pour l’instant le monde publicitaire reste divisé : d’un côté la vidéo en ligne, de l’autre la TV où les dépenses sont toujours 20 fois plus élevées.  

Il rencontre aussi l’adhésion du public, satisfait de se voir proposer des contenus plus pertinents et de pouvoir mieux contrôler sa nouvelle expérience TV. 

Narrowcasting vs. broadcasting, faillite du marketing

Tous les grands acteurs du secteur (fabricants, géants du net, Hollywood, groupes de TV, startups vidéo …) travaillent à ces nouveaux outils proactifs de la précision via les fameux algorithmes qui, ingurgitant et traitant les données par millions, deviennent, après des années de collecte et de nombreuses heures de vol, de plus en plus pertinents.

 Des dizaines de milliers de développeurs affinent ces techniques d’anticipation pour permettent aux nouvelles firmes du divertissement de proposer contenus et oeuvres individualisés, un peu comme le tri contextualisé de Flipboard pour les magazines ou celui de Google Now pour vos infos personnelles. La prédiction remplace le search.

Permettant de connaître très finement l’audience, elle optimisent les manières de présenter les contenus, et les génèrent de manière dynamique pour leur permettre d’être au bon endroit, au bon moment. Ces contenus et publicités « adressables » vont aussi réagir en même temps qu’ils seront consommés au sein d’un nouveau marketing (des données) en temps réel à inventer. Petit à petit, ils intégreront d’autres facteurs par des capteurs, par les réseaux sociaux, par des informations contextuelles et géo-localisées qui favoriseront de nouveaux modèles prédictifs du comportement des consommateurs.

Au bout du compte, ces nouveaux médias en sauront peut-être plus sur vous que vous-mêmes ! Même le téléviseur saura avant vous ce que vous voulez voir ! D’ici là, ils seront équipés comme les autres écrans connectés des systèmes d’exploitation des smart phones et tablettes. 

Tout le défi des groupes de TV traditionnels sera de bien valoriser une couche éditoriale et humaine à ces briques technologiques, pour aider le public dans la surabondance. Des médias pour guider, des médias qui font gagner du temps, qui en redonnent, au lieu d’en faire perdre. Découvrir un bon programme va devenir une activité prisée dans les foyers ! 

Changement d’échelle ! Médias sans frontières

 Aujourd’hui la programmation Internet, immergée dans un temps continu, est complexe : multiplateformes, multi-écrans et mondiale !

 Facilité par le très haut débit fixe (fibre) et mobile (4G), la victoire en cours de l’OTT (l’Internet public) où la qualité de visionnage, grâce au très haut débit, est désormais quasi-parfaite, débouche sur des audiences planétaires.

 Le web grandit vite : le club des plus de 100 millions d’utilisateurs par service s’étend.  Facebook comme YouTube ont tous deux chaque mois plus d’un milliard d’utilisateurs, et 50 milliards d’applications ont été téléchargées sur l’App Store d’Apple. Autant sur Google Play.

 Les près de deux milliards de visionnages de Gangnam Style ne sont que le début d’un mouvement continu qui touche un tiers de notre espèce et s’affranchit des frontières et des horaires fixes. Il sera difficile de maintenir les barrières géographiques à la diffusion dans ce nouveau monde. Des barrières encore plus choquantes en Europe, zone de libre circulation des biens et services.

Demain, d’autres écrans, smart body & smart world !

Un nouveau monde où déjà d’autres écrans arrivent : dans les  technologies embarquées des voitures, sur nos poignets et, dans quelques mois, dans les fameuses lunettes connectées (Google Glass et bientôt Microsoft, Samsung…).  

Après demain, nos vêtements seront truffés de capteurs donnant des informations sur notre santé et notre environnement immédiat. Alors que nous pouvons déjà imprimer des objets du quotidien, le corps humain devrait être la prochaine interface technologique, avant de voir arriver l’interaction directe du cerveau sur les écrans. Un peu plus tard --qui sait ? -- ce sera le tour de la nature et de la vie …

D’ici là, la nouvelle vague du numérique commence à balayer le secteur de l’éducation, avec les déjà fameux MOOCs (cours en ligne ouverts en ligne) dont profitent plus de cinq  millions de personnes dans le monde. Là encore, le transfert de pouvoir d’un enseignement de précision, personnalisé, se fait au profit de l’étudiant, qui peut davantage choisir, tandis que les professeurs deviennent, un peu comme les journalistes, des assembleurs de savoir et des éclaireurs.

L’éducation plus spécifique au numérique (nouveau langage), à son écriture et sa grammaire, passera par un apprentissage du code de plus en plus indispensable pour  permettre aux citoyens de devenir coéditeurs et éviter qu’une classe de nouveaux scribes ne détourne ce savoir à son profit. L’écriture cursive y survivra-t-elle ?

L’utilisation des données et du numérique continuera de changer le langage et les modes narratifs, davantage inspirés des jeux vidéo et du web que du cinéma muet ! 

« Winner takes all ? »

On le voit, ces données sont bien la nouvelle monnaie de ce nouvel âge de l’algorithme. Et, avec elles, l’acceptation d’un profilage qui laisse derrière nous un casier numérique, comme un tatouage indélébile!

Cette traçabilité et cette marge rétrécie de notre libre arbitre devront être surveillées de près alors qu’une poignée de nouveaux géants de l’économie de la connexion, dont les algorithmes dominent le monde et contrôlent le cloud (donc toutes les données), gagnent beaucoup d’argent sur les rares secteurs en croissance, avec nous et … sans nous ! De vrais sujets de liberté individuelle comme de souverainetés nationale et européenne !

La vigilance est d’autant plus cruciale que, dans cette phase de transition numérique, le web se verticalise, se cloisonne dangereusement, que la guerre d'écosystèmes exclusifs s'intensifie avec le renforcement inquiétant des forteresses des écrans du web (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Samsung) qui intègrent, tous ou presque, matériel et logiciel, « hard » et « soft » ; mais aussi de quelques autres (eBay, Yahoo, LinkedIn, Twitter, WordPress…) qui captent presque tout l’oxygène et surtout le temps passé en ligne. Tandis que, côté tuyaux, les opérateurs de télécommunications tentent, au nom des investissements en très haut débit -- mais aussi souvent au nom de l'emploi--, de contester la neutralité des réseaux et l'Internet ouvert. 

Le risque est donc grand de voir croître les applications non inter-opérables, qui remplacent les chaînes, « ferment » le web, et augmentent cloisonnement et fragmentation ; de nous voir alors tous surfer entre des dizaines de plateformes et terminaux différents pour trouver le bon contenu, la bonne œuvre. A condition, bien sûr, qu’ils soient alors disponibles, trouvables et regardables !

Mais le plus grand péril n’est pas technique, il est aujourd’hui culturel – et logiquement de plus en plus politique – entre des générations nées dans des mondes qui n’existent plus, entre des usagers omnivores et des professionnels conservateurs, entre des citoyens et des dirigeants qui ne parlent plus le même langage et ont du mal à dessiner ensemble celui de demain.

Eric Scherer

(Introduction au Cahier de Tendances MétaMédia N°5, Printemps - Eté 2013)