Fiscalité / numérique : "On a identifié le problème, pas la solution !"

Par Barbara Chazelle, Directions Stratégie et Prospective, France Télévisions

Le Ministère de l’Economie et des Finances organisait mercredi un séminaire sur les nouveaux enjeux de la fiscalité à l’heure du numérique qui s'est organisé autour de 3 tables rondes. De nombreux experts, administratifs, politiques ou acteurs du privé ont participé aux débats. Retour en citations.

« Il ne s'agit pas de faire un régime d'exception pour le numérique mais d'adapter la fiscalité à une économie qui devient numérique » (Fleur Pellerin)

Dès l’introduction, le ton était donné. Tous les intervenants ont reconnu que la question dépassait le numérique et que la problématique portait en réalité sur la révision des règles fiscales internationales. « L'inadaptation des règles fiscales n'est pas propre au numérique mais est exacerbée dans l'économie numérique » selon Pierre Collin, conseiller d’Etat.

D’ailleurs, qu’est ce que le numérique ? Pour Nicolas Colin, inspecteur des finances, « toute l’économie est numérique, mais les entreprises sont plus ou moins rentrées dans le numérique. » Et Robert Stack, du Trésor Américain, de préciser qu’il serait difficile, voire vain, de définir le secteur numérique car « au moment où l'on va finir par le définir, il va changer. […] Et on aura des spécialistes qui vont trouver comment ne pas être une entreprise numérique» pour échapper aux règles fiscales du secteur.

« Tout cela est arrivé notamment par les arrangements entre les Etats et leurs communautés intérieures. Le problème est réglementaire ; il faut arrêter le business bashing. » (Pascal de Saint-Amans, Directeur du centre politique et d’administration fiscales de l’OCDE).

La question qui se pose, c’est à quel niveau faut-il intervenir ?

Au niveau national ? Selon Philippe Marini, « le pauvre parlementaire national ne peut pas grand chose à part lancer le débat ».

Au niveau Européen ? Philippe Marini n’est pas plus optimiste : « on ne pourra jamais aboutir à quoi que ce soit en Europe » car la législation fiscale nécessiterait l’unanimité, ce qu’il sera difficile à obtenir de l’Irlande, de Chypre ou du Luxembourg.

Au niveau international ? Robert Stack, qui estime que « l'UE est faible pour combattre la concurrence fiscale au sein de l'Europe", n’est pas plus rassurant : « Je ne sais pas si on va avoir un consensus au niveau de l’OCDE, si ici en Europe on n'arrive pas à se mettre d'accord ». Karine Uzan-Mercie, du BIAC, a précisé qu’il « faut aussi se préoccuper de la question des pays en voie de développement et les intégrer dans la conversation »

Pour Pierre Saint-Amans « il nous faut un moteur politique. C’est pourquoi on s’est appuyé sur le G20 » dont les membres se sont saisis du plan des 15 actions du BEPS à St Petersbourg. L’objectif est d’arriver à une convention multilatérale d’ici 2 ans « qui permettra d’éviter de passer 100 ans à transformer les 3000 conventions bilatérales ».

Afin de peser dans les négociations internationales, Algirdas Semeta, Commissaire Européen  a annoncé la création d’un groupe de réflexion européen sur la fiscalité du numérique, qui réunira experts et académiques. Parallèlement à ces réflexions, le CNNum et  le Commissariat général à la stratégie et la prospective, ont lancé un projet d'étude ayant pour but de faire travailler des experts français et internationaux sur les impacts des nouveaux modèles économiques créés par le numérique.

« La réponse n'est pas la fiscalité spécifique. On a aujourd'hui 140 taxes affectées. Il faut de la stabilité, de la prévisibilité, de la lisibilité, et enfin de l’équité entre acteurs économiques » (Geoffroy Roux de Bezieux, Vice Président du MEDEF)

De l’équité. C’est bien ça que tout le monde réclame, surtout au vue de certains chiffres (re)donnés lors du séminaire, comme par exemple, les 22 milliards d'euros de profits réalisés par Apple hors USA  vs 10 millions d'euros d'impôts finalement payés par l’entreprise ou encore les 2000 milliards de dollars de profits qui ont trouvés refuge dans les paradis fiscaux sans avoir été taxés à la source. Selon Pierre Louette d’Orange, « si les entreprises du numérique étaient normalement fiscalisées, elles donneraient 65 millions à la culture en France ».

Quant à la question de la taxe sectorielle, Pierre Moscovici a annoncé qu’il n’y aurait aucune taxe numérique en 2014.

« On a identifié le problème, pas la solution » (Robert Stack)

C’est effectivement ce qui résume le mieux ce séminaire !

Néanmoins, certains ont proposé quelques pistes :

« L'économie numérique a pour spécificité les effets de réseaux. On pourrait taxer ces effets sans créer de distorsion économique » (Jacques Cremer, Professeur d’économie)

« Les données sont le carburant de l’économie numérique. Faut-il adopter une économie de rendement ou comportemental ? » (Pierre Collin)

« Il faut lutter contre les comportements non-collaboratifs de certains paradis fiscaux. En résumé, il faut éliminer tous les nouveaux cas de double non-imposition. » (Pascal Saint-Amans)

« On peut caractériser un établissement stable si des salariés peuvent engager juridiquement l'entreprise » (Alexandre Garnette, chef du contrôle fiscal en France)

« Plus de transparence, plus d'open data, pourquoi pas une agence de notation et une forme de labellisation » (Benoit Thieulin, Président du CNNum)

« Les chiffres d'affaires réalisés par les régies publicitaires à l'étranger doivent être déclarés » (Philipe Marini)

 « La portabilité des données peut faire l'objet d'une fiscalité incitative qui frappe les prédateurs » (Nicolas Colin) Notons d’ailleurs que les anglais préparent une loi sur la portabilité des données.

« Il faut créer ou renforcer des fonds européens de capital développement » (Pierre Moscovici)

D’autres intervenants avaient souligné l’importance d’un cadre favorable à l’innovation. Alors que Robert Stack se demandait « pourquoi la France n'est pas leader sur l'internet alors qu'elle avait le minitel ? », Caroline Silberztein s’interrogeait sur la volonté de la France à développer « un cadre favorable à l’innovation technologique et entrepreneuriale » avec entre autre « la capacité à accueillir ou garder la propriété intellectuelle sur son territoire ».

En conclusion du séminaire, Pierre Moscovici a lui aussi insisté sur la nécessité de soutenir le secteur du numérique : « les mesures fiscales ne sont pas là pour réguler internet, mais pour garantir la neutralité du net. »

C'est encore mieux quand c'est dit !

Pour revoir le séminaire, cliquez ici