Par Barbara Chazelle, Directions Stratégie et Prospective, France Télévisions
Cela a été dit et redit durant les 3 jours de conférence LeWeb : tout s’accélère et « nous sous estimons grandement ce qui est réellement en train de se passer en ce moment », selon Gary Vaynerchuck, entrepreneur et auteur américain. Nous ne percevons que l’ombre des choses à venir.
Après le règne des écrans, nous entrons dans l’ère des interfaces et de l'internet des objets, durant laquelle notre environnement urbain et ménager sera de plus en plus interconnecté. Parmi ces objets, ceux que nous portons sur nous -les "wearables" à l'instar de montres, lunettes, vêtements...- vont gagner en "intelligence".
Parallèlement, nous verrons apparaître de plus en plus de drones et de robots qui nous seconderont, voire nous remplaceront dans des tâches de la vie quotidienne mais aussi dans les écoles, les hôpitaux, l'armée.
L'ultime interface, c'est le corps humain : selon Ramez Naam, scientifique informatique, auteur et futuriste, qui mène déjà des expériences en la matière, il faudra attendre 20 à 30 ans pour entrer dans l'ère de "l'homme augmenté".
Les robots humanoïdes, à notre service
Bruno Maisonnier, le PDG et fondateur d'Aldebaran Robotics, en est certain : la robotique est la nouvelle « technologie de rupture ».
Le robot humanoïde est « l’interface ultime entre les robots et les machines », même s’il admet qu’aujourd’hui « nous en sommes au même point que dans les années 90 avec les téléphones mobiles ».
Selon lui, nous serons très bientôt secondés par des robots « bienveillants » dans nos maisons, nos écoles et universités, nos commerces… Ils nous aideront dans nos tâches quotidiennes, sauront nous divertir en chantant, dansant, en jouant à des jeux de sociétés ou même nous remonter le moral en nous racontant des blagues.
La start up a développé plusieurs robots, dont le plus célèbre Nao, était présent sur la scène de LeWeb : 60 cm de concentré de technologie, complètement articulé et interactif. Grâce à une caméra intégrée, Nao reconnaît le visage de son interlocuteur mais aussi potentiellement son environnement et d’autres objets, sait lire un journal en ligne, et mène une conversation.
Bruno Maisonnier estime que ces humanoïdes seront particulièrement utiles aux personnes ayant un handicap, mais aussi très appréciés des enfants qui trouveront en eux de sympathiques compagnons de jeux et une motivation pour apprendre et faire leur devoir. Certains y verront une piste vers un enseignement à carte, adapté à chaque individu, d'autres un frein à l'éveil, la créativité, l'imagination, l'apprentissage de savoir-faire.
Seuls 700 robots NOA sont d’ores et déjà utilisés dans 30 pays différents, mais le carnet de pré-commandes se remplit rapidement. Pour Maisonnier, les humanoïdes « ça arrive, c’est maintenant et c’est prêt ».
Et ce n'est pas Google qui viendra le contredire ; le géant vient tout juste de racheter Boston Dynamics, qui devient ainsi la huitième société spécialisée dans la robotique acquise en l'espace de six mois par Google.
Tout reste à créer en termes d’application : avis donc aux développeurs qui cherchent de nouveaux terrains à explorer !
L’humain augmenté
« Voir le monde à travers les yeux des autres, sans métaphore » sera possible selon Ramez Naam d’ici 20 à 30 ans.
Dans le vaste domaine de l’internet des objets, « la chose qui nous préoccupe le plus, c’est nous-mêmes ! » ; c’est la raison pour laquelle l’internet du corps et la santé en règle générale, ont un vrai avenir. Après les interfaces connectées « portables » dont des détecteurs analyseront notre environnement, les réactions de nos corps… et pourront même réaliser des diagnostics médicaux, les circuits électroniques imprimés sur nos peaux sont présentés par certains scientifiques comme une option certes plus intrusive mais confortable.
Aujourd’hui déjà, certaines de ces technologies dites de "communication avancée" sont utilisées dans le secteur médical.
Par exemple, le processeur des implants Cochlear capte les sons et les convertit en signaux numériques puis transmet le son codé via l’antenne à un implant situé sous la peau. 200.000 personnes sourdes ou malentendantes ont retrouvé l'ouïe grâce à ce procédé. Ci-dessous, une courte vidéo d'un bébé de 8 mois entendant pour la première fois :
Des non-voyants ont pu retrouver une vision limitée, grâce à des caméras fixées à leur lunette, reliées à un implant dans leur cerveau, des tétraplégiques arrivent à commander par la pensée le curseur d'un ordinateur pour taper un texte ou encore le bras d'un robot. Des implants placés dans l'hippocampe pourraient aussi servir à renforcer notre mémoire, voire à augmenter nos connaissances sans effort, comme on téléchargerait un logiciel sur nos ordinateurs.
Ces expériences (qui ne sont plus faites sur des singes mais bien sur des hommes) semblent même ouvrir le champ à la télépathie numérique : les deux hommes ci-dessous bien qu'à quelques kilomètres de distance, ont joué à un jeu vidéo alors que l'un ne voyait que l'écran et l'action du jeu, et l'autre n'avait que le clavier. Le premier était au sens propre le cerveau, le second, l’extension de son bras !
A partir du moment où on arrive à traduire notre contexte/environnement en données numériques, ces dernières peuvent être transformées en signaux électriques, signaux interprétables par nos cerveaux humains. Ces données transmissibles au cerveau seront d'ailleurs sans frontière, au même titre que des contenus que l'on trouve sur internet.
A l'heure actuelle, nous produisons de grandes quantités de données (que l'on appelle Big Data) à chacune de nos connections. L'enjeu pour beaucoup d'acteurs aujourd'hui est d'apprendre à les trier, les analyser, à leur donner de la pertinence: (après) demain, ce seront nos pensées qui pourraient passer au crible des algorithmes prédictifs !
Quelques pistes de réflexions
Morale et vie privée: bien sûr, il est facile de s'enthousiasmer pour de telles avancées scientifiques pour les personnes infirmes. Mais des questions/limites subsistent. Personne n'a (pour le moment ?) envie de donner accès à son cerveau (via une opération chirurgicale), et encore moins à ses pensées, qui restent aujourd’hui peut-être, le dernier rempart de notre intimité individuelle.
Economie: la "destruction créative" engendrée par le numérique ne produit pas assez d'emplois. Selon Michel Volle qui est intervenu cette semaine lors des Entretiens du Nouveau Monde Industriel 2013 à Beaubourg, sur les 5 dernières années aux États-Unis, 7,5 millions d'emplois ont été perdus (dont 50% d'emplois intermédiaires) pour 3,5 millions créés. 69% des emplois créés correspondent à des postes dont les niveaux de salaires sont très bas (inférieur à 38K dollars). Pour l'économiste, les politiques doivent se préparer un à monde "où les gens auront des revenus mais pas d'emploi".
Les secteurs porteurs seraient (sans surprise) dans les domaines des transports et de la santé.
On comprend mieux pourquoi Google après avoir financé pendant plusieurs années la Singularity University, dont les recherches portent sur la fusion homme/machine, a débauché le directeur de cette université, Ray Kurzweil, aussi appelé « pape ou gourou du transhumanisme », pour en faire son directeur de l’ingénierie.
Société : d'autres s’inquiètent de la prolifération de technologies favorisant une "humanité à deux vitesses" où les plus riches seraient aussi les plus forts et les plus performants.
Durant LeWeb, beaucoup d'intervenants semblaient penser que la technologie nous rendrait meilleurs, que la présence de drones et de caméras limiterait les vols ou les kidnapping, que nos connaissances potentiellement illimitées, nous permettrait de faire les bons choix...
Permettons-nous toutefois de rappeler que toutes ces avancées technologiques se bornent à améliorer les performances du corps et de l'intellect. Pas encore celles du cœur et de l'esprit, propres à chacun, qui seules permettent d'apprécier la véritable valeur de l'Humain.