Les médias, nouveaux incubateurs de start-ups ?

Par Cécile Blanchard, journaliste pigiste invitée

France Télévisions entourée de start-ups françaises prometteuses au Web 13, Canal Plus qui lance Canalstart, son incubateur de start-ups innovantes dans l’audiovisuel : les groupes français marchent sur les traces du New York Times et de la BBC qui ont développé leurs propres incubateurs de start-up. L’occasion de dresser un panorama, non exhaustif, des initiatives à travers le monde et de comprendre cette nouvelle tendance.

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Des incubateurs, sources d’innovations… et d’inspiration

Dans un univers médiatique en pleine mutation, bouleversé par les nouveaux usages, les médias à travers le monde se tournent vers les entrepreneurs innovants, potentiellement créateurs des technologies de demain. Un moyen d’être aux premières loges des innovations, voire de les anticiper, de devancer les attentes du public et d’être en mesure d’y répondre, en temps et en heure.

Une nouvelle tendance qui fait écho aux propos tenus par Gary Vaynerchuk, l’un des plus influents blogueurs américains lors du Web 13 : « les groupes de télévision ne s'en sortiront qu'en créant, en leur sein, des unités spéciales, dotées de nouvelles compétences. »  Et si les incubateurs ne sont pas encore ces « unités spéciales » ils permettent toutefois d’approcher de nouvelles compétences, de nouveaux produits et services, et mieux encore, de nouvelles idées.

En effet, en dehors d’un accès immédiat aux innovations développées par les start-ups incubées, les groupes médias qui ouvrent leurs portes aux entrepreneurs dans le cadre de ces programmes d’incubation, cherchent aussi autre chose, autrement plus important : de nouvelles inspirations !

Dans un entretien à Pando Daily, Aron Pilhofer, directeur de la newsroom de l’incubateur TimeSpace du New York Times, a déclaré que « la plupart des meilleures idées mises en place, notamment dans les différentes manières de raconter les histoires, les nouvelles approches, [leur] ont été inspirées en dehors du monde du journalisme ! ».

Ces incubateurs, hébergés au sein même des médias, participent donc à la réflexion sur la réinvention nécessaire du journalisme et de ses formats. Un bon moyen pour les médias dits « traditionnels » de s’adapter, continuellement, aux nouvelles technologies et aux nouveaux usages, et d’être en mesure d’innover au quotidien.

Canal Plus lance Canal Start (décembre 2013)

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Qu’est ce que c’est ? CanalStart est une structure créée par le groupe Canal + destinée à « aider, encourager, et accompagner des talents porteurs d’idées et de projets entrepreneuriaux », indique le site dédié à l’incubateur.

A qui s’adresse-t-il ? A des « start-ups de toutes nationalités, tournées vers le secteur des médias et particulièrement sensibles à l’environnement du tout-connecté, de la vidéo, du big data, des réseaux sociaux et applications mobiles. » Fabienne Fourquet, directrice des nouveaux contenus chez Canal + a indiqué dans une interview à 20 Minutes que quatre à cinq start-up par an seront sélectionnées et que 50.000 à 150.000 euros seront investis par le groupe pour chaque projet. Le partenariat peut également être commercial (échange de services, contrat de licence, etc.)

Pourquoi ? L’objectif est de permettre au groupe Canal + de « continuer à être à l’avant-garde de l’innovation dans le secteur de l’audiovisuel. » Plus concrètement, le groupe pourrait ainsi être au courant des dernières innovations dans les domaines cités (big data, vidéo, mobile, gamification, réseaux sociaux, HTMPL5) et s’assurer des partenariats privilégiés avec leurs créateurs.

Le groupe Express Roularta a lancé L’Express Ventures (septembre 2012)

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Qu’est ce que c’est ? Plus qu’un incubateur de start-ups, l’Express Ventures  est un fonds de « Média for Equity », un système qui propose des espaces publicitaires à des start-ups en échange d’une prise de participation. Première initiative de ce type lancée par un média français, l’Express Ventures est géré par quatre entrepreneurs de la net-économie : Stéphane Boukris (Going To Digital), Eric Bennephtali (Mediastay), Simon Istolainen (My Major Company), Laurent Schwartz (Gold.fr). Corinne Denis, DGA en charge du numérique du groupe se charge de la sélection des dossiers. Outre cet échange d’espaces publicitaires, l’Express Ventures accompagne les start-ups sélectionnées dans le développement de leur projet. "Nous n’avons pas vocation à mettre de l’argent dans les sociétés. Nous proposons des apports en nature, en expertise, des accompagnements », explique Corinne Denis dans une vidéo de présentation du fonds d’investissement.

A qui s’adresse-t-il ? Il ne s’adresse pas spécialement à des start-ups orientéEs vers les médias, mais aux entreprises d’au moins deux personnes, ayant déjà un chiffre d’affaire et une trésorerie, « autour du web, de l’innovation, voire de l’e-commerce ».

Pourquoi ? « Pour le groupe, L’Express Ventures c’est du sourcing passionnant d’innovation, d’expertise, et un pari sur l’avenir. » Le but est de dénicher les nouveaux talents du Net.

Quelles sont les start-ups ayant déjà bénéficié du programme ? Kitchen Trotter, la cuisine du monde livrée à domicile, ImmoInverse, le site de l’immobilier inversé, et Morning Croissant, site de location meublée entre particuliers.

Media Corp a lancé The Mediapreneur (juin 2013)

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Qu’est ce que c’est ? The Mediapreneur est l’incubateur de start-ups lancé par Media Corp, groupe média de Singapour (8 chaÎnes TV, 14 stations de radio, 14 magazines, 6 sites Internet…). Durant 6 mois, les start-ups sélectionnées sont invitées à tester et à développer leurs projets ou leurs produits et sont accompagnées par des « mentors » En plus de son programme d’incubation, il aide également les start-ups dans la recherche de capitaux (jusqu’à 30.000 $ par équipe).

A qui s’adresse-t-il ? A des entrepreneurs qui débutent comme à des équipes déjà lancées. The Mediapreneur cherche avant tout des projets dans le domaine des médias numériques, susceptibles de renforcer la position (et le business) de Media Corp.

Quelles sont les start-ups ayant déjà bénéficié du programme ? La première session était annoncée pour septembre 2013. 19 start-ups ont été auditionnées en août : elles avaient chacune 10 minutes pour convaincre. Les « vainqueurs » n’ont pas été dévoilés

Le New York Times a lancé TimeSpace (janvier 2013)

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Qu’est-ce que c’est ? TimeSpace est l’incubateur de start-ups du New York Times. Il propose aux entrepreneurs sélectionnés de passer quatre mois dans les locaux du NYT pour faire évoluer leur projet, en faire la démonstration, et de confronter leurs projets aux équipes du NYT, et de rencontrer d’autres entrepreneurs dans les domaines des médias, du numérique, de la technologie.

A qui s’adresse-t-il ?  Trois à cinq sociétés sont sélectionnées, qui repensent le futur des medias, dans le secteur du mobile, des medias sociaux, de la vidéo, de la publicité. Le site a déjà « incubé » trois start-ups et va ouvrir une nouvelle session pour laquelle les souscriptions sont déjà closes.

Pourquoi ? Pour « faire face aux mutations et aux bouleversements que subissent les médias », le New York Times cherche à trouver le meilleur moyen de créer, collecter et délivrer une information de très grande qualité. Pour y parvenir, il utilise des ressources internes et, faute de pouvoir tout développer en interne, recherche également des porteurs d’innovation externes.

Quelles sont les start-ups ayant déjà rejoint TimeSpace ? Delve, véritable « concierge » de l’information, qui propose un service personnalisé pour rechercher et partager les actualités avec son réseau. Seen propose de retrouver les résumés des grands événements en direct à travers le monde, en compilant leur couverture sur les réseaux sociaux. OpBandit maximise l’engagement du public en optimisant la manière dont sont distribués les contenus.

La BBC a lancé BBC Worldwide Labs (juin 2012)

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Qu’est-ce que c’est ? BBC Worldwide Labs est un programme d’une durée de 6 mois qui permet à 5 start-ups sélectionnées de travailler directement avec les équipes dédiées sur le marketing, la vente, mais aussi les aspects légaux qui peuvent entourer leurs produits. Il met également en relation les start-ups avec des « mentors », c’est-à-dire des experts internes ou externes qui les accompagnent et les conseillent. Selon la BBC le Labs n’est pas un incubateur mais plutôt un « accélérateur d’affaire ».

A qui s’adresse-t-il ? A des start-ups développant des technologies innovantes (web ou logicielles).

Pourquoi ? Pour promouvoir et faire la démonstration de médias numériques émergents et des sociétés technologiques britanniques. Le Labs a aussi pour objectif de développer des partenariats commerciaux entre ces start-ups et la BBC.

Quelles sont les start-ups ayant déjà bénéficié du programme ? En 2012 : WireWax, un outil pour tagger les vidéos; Minimonos, un monde virtuel éthique pour les enfants de 6 à 11 ans; Yakatak, développeur d’application cloud sur le sport ; Foovedune plateforme éducative en ligne ; Ko-Su, une plateforme éducative interactive en ligne ; Foodity, une boite à outils qui permet d’acheter automatiquement tous les ingrédients d’une recette. En 2013 : The Backscratchers met en contact les talents ; Animal Vegetable Mineral développe et produit des formats vidéos innovants dans le domaine du divertissement pour la télévision, le web, le mobile ; FutureAdLabs propose une nouvelle manière d’aborder la publicité en ligne; Oddizzi est une plateforme d’apprentissage pour les enfants; Peekabu connecte et interagit avec les objets du quotidien ; Social Spree est un outil de communication de contenu sur les médias sociaux.

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Turner a lancé Turner Media Camp (juin 2012)

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Qu’est-ce que c’est ? Turner Media Camp est un programme éducatif, accélérateur d’affaires, lancé par Turner Broadcasting (CNN, Cartoon Network, TMC, etc.). Pendant trois mois, les start-ups sélectionnées bénéficient de présentations sur les dernières tendances technologiques et sur les médias, participent à des groupes de travail, et sont accompagnés par des experts, qui peuvent les emmener dans des grands événements mais aussi partager leurs savoirs ou encore investir directement dans leur entreprise. Chaque session de « cours » est adaptée aux start-ups participantes et à leurs activités selon trois grandes thématiques : le business des médias, les technologies des médias, et le futur des médias.

A qui s’adresse-t-il ? Aux start-ups et aux entrepreneurs développant des technologies dans le secteur des médias.

Pourquoi ? Turner a déclaré au lancement de son accélérateur vouloir créer un lien entre les entreprises de la Silicon Valley et l’industrie des médias, notamment pour permettre une meilleure compréhension du fonctionnement des médias. De plus, il n’existait pas alors d’accélérateur 100% dédié, fondé et mené par une entreprise média (A peu près au même moment, BBC Worldwide lançait BBC Labs)

Quelles sont les start-ups ayant déjà bénéficié du programme ? 16 start-ups ont déjà bénéficié du programme MediaCamp Academy : Channel Meter, SwitchCam , Tomorrowish, SocialSamba , Skit !, Showbucks, Socialize (rachetée par Share This), ReelHouse, Plumzi, Meograph, Matcha (rachetée par Apple), Dealflicks, Kumbuya, CinemaKraft, Cinecore, Chute.

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Philadelphia Media Network, groupe de presse basé à Philadelphie a également pris part à un incubateur de start-ups, baptisé Project Liberty, fondé par The Knight Foundation, qui soutient les projets en faveur d’un journalisme de qualité et de l’innovation dans les médias, et par Ben Franklin, un fonds d’investissement pour les entreprises innovantes. Le groupe de presse accueille dans ses bureaux les start-ups sélectionnées, leur fait profiter de ses infrastructures, et leur offre également la possibilité de promouvoir les produits sur philly.com. La première session a eu lieu en septembre 2012.

Cécile Blanchard @CBlanchardfr