Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Directions Stratégie et Prospective
Spotify et Netflix ont ouvert la voie aux offres de biens culturels numériques par abonnement ; les plateformes dédiées aux livres se multiplient elles aussi depuis quelques mois. Parmi les plus connues, Oyster, Entitle, Scribd aux Etats-Unis, YouBoox , Izneo et Storyplay’r en France, Skoobe en Allemagne, 24Symbols et Nubico en Espagne, suscitent autant de grands espoirs que du scepticisme dans le monde de l’édition.
Ce marché, encore a ses balbutiements, a-t-il une chance de percer ?
Le taux d’équipement en terminaux mobiles désormais suffisant
Selon le CSA, une personne sur deux possédait un smartphone et 1 foyer sur 5 une tablette au 1er semestre 2013. Et, si l’on en croit les prédictions 2014 de Deloitte, nous entrons dans « la décennie du contenu, des services et des logiciels ». Le taux d’équipement des cinq terminaux principaux ayant atteint un niveau presque optimal, l’investissement des foyers va désormais se porter sur des biens et services qui vont enrichir l’expérience possible sur ces terminaux.
Ces équipements et l’abondance de contenus gratuits que l’on trouve sur internet ont créé un nouvel usage de la lecture. Selon Hélène Mérillon, co-fondatrice de Youboox, « les gens et les jeunes lisent plus ; ils ne paient plus des livres mais pour un service. »
Marché encore homogène: les opportunités pour se démarquer sont nombreuses.
Et c’est précisément sur le concept de service que les acteurs du marché du livre par abonnement misent tous. Les offres sont actuellement relativement proches et proposent dans la majeur partie des cas un abonnement à moins de 10 euros pour accéder à un catalogue de livres que l’on peut lire tant que l’on est abonné.
YouBoox propose une version gratuite, accessible que si l’on est connecté, financée par la publicité. Même chose pour 24Symbols qui a en plus opté pour une version premium avec plusieurs prix en fonction du nombre de mois auquel on choisit de s’abonner. La start-up espagnole se démarque par ailleurs par son accord avec Zed, une plateforme de services mobiles, qui va lui permettre de proposer son offre d’abonnement via quelques 200 partenaires télécom dans le monde.
Pour se différencier, certaines plateformes de livres par abonnement investissent dans un moteur de recommandation dont l’élaboration est le plus souvent externalisée.
L’expérience sociale est elle aussi importante. Le but pour Justo Hidalgo, c’est que « le lecteur devienne un curateur, un eLibraire ». Glose, plateforme d'annotations partagées, aujourd'hui en bêta test privée, se présente comme un réseau social de lecteurs qui pourront échanger idées, connaissances et citations des livres qui les inspirent.
Les offres pour la jeunesse sont particulièrement inventives. La plateforme Epic! a mis en place un système de récompenses pour motiver ses jeunes lecteurs, qui peuvent aussi noter ce qu’ils viennent de lire. Cela vient affiner les recommandations qui leur sont faites en plus de la prise en compte de leur âge.
Mention spéciale pour Storyplay’r qui permet aux proches de l’enfant d’enregistrer leurs voix et devenir ainsi des eLecteurs afin que leur bambin ait toujours quelqu’un pour lui faire la lecture ! Selon Thomas Salomon, son fondateur, « le modèle par abonnement est particulièrement adapté à la jeunesse : c’est un catalogue identifié et quand les enfants grandissent, on n’est pas encombré par les livres. »
Quelques idées intéressantes aussi pour améliorer l'expérience utilisateur : permettre au lecteur de savoir où il en est dans le livre via une jauge ou prendre en compte la luminosité de l'endroit où il est en train de lire, comme ci-dessous dans l'application YouBoox.
En termes de diversification, certaines de ces plateformes envisagent de proposer des titres de presse.
Si vous cherchez à vous lancer, sachez qu’il y a probablement des places à prendre sur l’exploitation des catalogues scolaire et universitaire. Google s’est lancé dans la course en septembre dernier, poursuivant ainsi sa conquête du eLearning. Les utilisateurs peuvent louer ou acheter via l’application Google Play Books des manuels scolaires ; le surlignage et la prise de note sont possibles sur les pages scannées. Avec le lancement de l’iOS 7, Apple avait aussi réaffirmé sa volonté de mettre un pied dans les écoles.
Les maisons d’édition pourraient apprendre de leurs lecteurs
Selon Justo Hidalgo, « des datas segmentées sur les lecteurs sont bien plus utiles que des datas relatives à la seule lecture ». Chez 24Symbols, on fournit ainsi aux éditeurs partenaires des informations qui leur permettent de mieux connaitre leurs publics.
Les problématiques liées à la récupération des données utilisateurs n'épargneront aucun secteur ! On ne peut qu'espérer que les plateformes de livres informent leurs abonnés sur la nature de ces données et leur permettent de les récupérer. A bon entendeur...
Une bonne alternative aux eBooks qui peinent à trouver leurs lecteurs.
Si le marché du eBook ne décolle pas, c’est selon Hélène Mérillon « parce ce que ça coûte cher ! [Ce type d’offre] peut éventuellement convenir à des lecteurs occasionnels. Le modèle par abonnement permet de contourner le prix unique. »
Les investisseurs répondent présents
Quelques exemples de bonnes pioches récentes : Oyster vient de lever 14 millions de dollars, après une première levée en 2012 de 3 millions. Youboox a aussi réalisée une levée de fond de 1,1 millions d’euros en septembre 2013, qui viennent s’ajouter aux 530 000 d’euros du mois de juillet 2013. Et Epic! 1,4 millions de dollars.
Des concurrents féroces ?
Evidemment, il y a Amazon et Apple avec leurs imposants catalogues de respectivement 2 millions et 1,8 million de livres.
Mais le concurrent de 24Symbols « c’est Angry Birds et tout ce qui capte du temps d’attention ». Quant à la co-fondatrice de YouBoox, elle déplore que « le problème pour le moment, ce ne sont pas les concurrents mais l’absence de marché. »
Les maisons d’édition restent à convaincre
Pour ces plateformes, l’enjeu est de proposer un catalogue le plus étoffé possible pour que chaque lecteur y trouve son compte. Les plateformes de streaming de musique devaient convaincre les quatre majors et quelques grosses maisons de disques indépendantes pour pouvoir distribuer plus de 90% du catalogue. Pour le livre, le marché est plus éclaté et les négociations plus longues à aboutir.
Les maisons d'éditions, beaucoup moins touchées par le piratage (mais pour combien de temps ?), se demandent quels profits elles vont bien pouvoir tirer de ce nouveau marché. Aux 0,007€ générés par stream, Spotify brandit ses 29 millions d'abonnés dans le monde fin 2013. Youboox qui compte plus de 230 000 lecteurs, reverse entre 1 et 3 € aux maisons d’éditions pour 1000 pages lues via le modèle premium. C’est effectivement modeste, surtout si l’on garde en tête que contrairement à la musique qui nécessite un terminal pour l’écouter, le livre a toujours été ATAWAD tout en étant moins international à cause de la langue.
En France, comme aux Etats-Unis, ce sont surtout les maisons d’éditions indépendantes qui tentent l’aventure et cèdent leurs droits d’exploitation.
Seul Entitle a réussi à convaincre deux des grandes maisons d’éditions américaines : Happer Collins (qui s’est aussi jointe aux autres plateformes par abonnement) et Simon & Schuster. Mais Entitle ne permet pas la lecture en streaming ; l’abonnement permet d’acheter pour un prix fixe deux, trois ou quatre livres à télécharger. Bryan Batten, son fondateur reconnait qu’« [ils sont] davantage semblable à Netflix durant sa période DVD qu’à Netflix durant son âge du streaming. » Mais pour le moment, il semble que ce modèle soit plus rassurant pour acteurs historiques.
Trouver l’équilibre entre abonnés de grands lecteurs et lecteurs occasionnels
Le paradoxe pour ces plateformes par abonnement, c’est que plus l’abonné est un grand lecteur, plus la marge sur le prix de l’abonnement s’étiole. A cela, Justo Hidalgo répond que « les gens paient pour lire des livres mais aussi pour un service de lecture… qu’ils n’utilisent pas complètement ! Comme leur abonnement à la salle de gym. »
Il faut en effet espérer que le public voit dans ce service un réel intérêt à payer car le Digital Book World qui estime le prix moyen d’un ebook aux Etats-Unis à 6,33 dollars, un abonné devrait lire 20 livres par an pour rentabiliser son abonnement. D’après le Pew Research Center, cela ne concerne que 14% des américains.
Une piste pourrait être d’adresser le « binge reading » qui répond à l’impatience des lecteurs de connaître la suite d’un livre. Selon Sean McDonald, éditeur chez Farrar, Straus & Giroux, interviewé par le New York Times « vous pouvez vous retrouver avec des fans en colère ou perplexe. Je pense que les gens sont désormais habitués à une narration de série et il y a désormais ce sens de l’impatience ou peut-être une peur de la frustration. Nous voulons être sûrs que les gens auront des réponses à leurs questions ». Susan Wasson, une libraire indépendante à Albuquerque fait valoir dans ce même article « qu’avec la vitesse à laquelle va la vie aujourd’hui, les gens ne veulent plus attendre pour avoir la suite. […] Quand j’aime un livre, je ne veux pas attendre un an pour la suite. »
C’est ainsi que certaines maisons d’édition commencent à raccourcir les délais de parution des livres d’une même série. En France, Albin Michel tente l’expérience avec la nouvelle trilogie de Katherine Pancol ; le premier épisode, Muchachas, paru le 12 février, sera suivi des deux tomes suivants en avril et en juin.
Un abonnement de trop ?
La question c’est à combien d’abonnement le public est-il prêt à souscrire ?
Un pour la musique, un autre pour de la vidéo, un troisième pour une carte de musée ou de cinéma, un quatrième pour les livres … ?
A quand donc la plateforme à tout faire ?