Même datant du 19ème siècle, sans mur payant en ligne, diffusé en entier gratuitement sur le web, et sans lol cat, le magazine américain The Atlantic est parvenu à multiplier par deux la taille de sa rédaction depuis 2009 et à gagner de l’argent depuis 2010. En cinq ans, son trafic en ligne a fait un bond de 80% pour atteindre 25 millions de visiteurs uniques par mois sans compromis sur la qualité.
Et le mensuel reste le plus influent des Etats-Unis !
A South by Southwest, devant une salle comble, son président, Scott Havens, a livré en 5 points la recette d'un journalisme de qualité rentable et durable à l’heure numérique.
1 Assembler une équipe de niveau mondial
Ceci signifie mettre la barre très haut pour les recrutements, exiger vraiment beaucoup du staff (tout en restant patient), recruter des gens plus intelligents que vous, secouer la hiérarchie en donnant la parole aux jeunes, préférer les talents bruts à l'expérience, et surtout mettre l'accent quotidiennement sur une culture forte d'entreprise pour garder les gens motivés (partage des infos, bureaux ouverts, faciliter les idées, etc.). Attention cette bataille pour les talents s'intensifie avec les nouveaux médias.
2 Gérer le média comme une start-up
C'est-à-dire être malin sur les coûts, investir seulement dans les secteurs en croissance, récuser le statu quo, faire porter les efforts sur la vitesse et l'efficacité, ignorer la plupart du temps les modèles pré-établis, tuer vite les projets ratés, sur-jouer la confiance et se durcir le cuir.
3 Se différencier par la marque
D'abord passer du statut de magazine à celui de plateforme qui ne diffuse non plus 10 fois par an mais chaque jour. Bien connaître son audience, redéfinir sa mission et bien affiner sa position sur le marché pour enfin produire un produit qui va relier parfaitement les contenus à leurs publics. Etaler ces contenus sur le plus grand nombre possible de plateformes nouvelles, sans le casser ni le diluer. Les renforcer avec un design et des messages soignés et consistants.
4 Penser "digital first", voire "mobile first"
Pas facile pour l'équipe d'imaginer que tout va passer en numérique. Mais il faut l'accepter et le faire accepter car le futur sera bien digital. Pour cela, il faut désormais se servir des données, les partager quotidiennement et les intégrer données dans les prises de décision, changer de braquet en matière de rapidité et de rythme de travail, mettre en place une stratégie d'ensemble pour faire croître l'audience incluant tous les médias possible (texte, audio, vidéo, photos ...). Mais aussi décentraliser et se spécialiser en créant des équipes différentes pour chaque plateformes et en créant un sentiment d'urgence pour les nouveaux produits. Ne pas hésiter à nouer des partenariats avec les pure-players.
5 Diversifier les sources de revenus
Aller au delà de la diffusion (70% des exemplaires des kiosques sont jetés) et de la pub. La création d'événements (plus de 120 par an) représente déjà 20% du business de The Atlantic. Lancer des sous-marques (comme Quartz ou The Wire qui attire déjà 5 à 6 millions de v.u). Aller sur les autres plateformes, notamment les mobiles (40 à 45% du trafic aujourd'hui) et aller là où est l'argent c'est-à-dire la vidéo (tout les grands y vont). Développer des solutions marketing innovantes et natives (sans implication des équipes éditoriales). Explorer des secteurs adjacents comme l'éducation et la formation des adultes.
Et maintenir un journalisme de qualité rentable passe aussi par des convictions, estime Scott Havens.
Il a cité une liste incomplète de 10 valeurs fortes qui l'animent:
Les magazines ne sont pas morts
Le public a besoin de faire confiance à des sources fiables pour faire le tri dans le bruit actuel. Que ce soit fait par des hommes ou des algorithmes. Les magazines restent les plateformes les plus puissantes pour mettre en valeur les sujets importants. Et même si tout le contenu est disponible gratuitement sur le site, les abonnements au magazine imprimé continuent de croître en raison de la qualité des contenus.
La culture de l'entreprise d'abord, la stratégie ensuite
Ne surtout plus perdre 6 mois à concocter une stratégie qui sera dépassée par les événements du secteur. Chaque vendredi, comme chez les géants du web (Google, Facebook...) le patron fait une conférence et un débat.
Le contenu de qualité EST roi
Au bout du compte, tout le monde veut pouvoir avoir accès à des contenus de qualité. C'est un cercle vertueux: ils suscitent un engagement fort de l'audience, l'intérêt des annonceurs et l'acceptation de payer, donc des revenus et des profits qui financeront ce journalisme de qualité ! The Atlantic a ainsi pu doubler la taille de sa rédaction en 5 ans: environ 80 à) 100 journalistes pour un staff de 500 personnes sur plusieurs titres.
La diversification est cruciale
The Atlantic a aussi monté un département de conseil numérique pour les marques ("Atlantic Media Strategies"), en pleine expansion, notamment pour le storytelling.
Les marques comptent
Le public veut pouvoir compter sur des marques de confiance.
La prochaine étape est la télévision
Internet a mis les silos en morceaux et permis toutes les formes narratives. The Atlantic vient de doubler son équipe vidéo. On peut imaginer qu'il sera un jour dans l'offre de Netflix aux côtés du New York Times.
Le prime time, c'est tout le temps
Sur toutes les plateformes et avec des contenus différents. Le trafic du magazine Formes a ainsi quadruplé le week end en quelques années.
Le web social est un outil majeur de découverte des contenus
Les réseaux sociaux sont devenus beaucoup plus importants que le search comme sources de trafic. Adapter donc ses ressources.
Mobile, Mobile, Mobile !
Même pour une marque qui est dans la valeur ajoutée et l'analyse.
Le monde est plat
30% de l'audience de The Atlantic est désormais hors des Etats-Unis.