"Nous pensions que chacun allait pouvoir produire de l'information dans un système ouvert qui bénéficierait à tous en vue d'une société plus égalitaire (...) Mais nous nous sommes trompés de bonne foi dans la manière d'organiser les nouveaux réseaux numériques (...) L'erreur que nous avons commise était de croire que puisque tous les hommes sont nés égaux, il en allait être de même pour les ordinateurs. Or il y a des ordinateurs meilleurs que d'autres, et surtout des ordinateurs capables de procurer des avantages".
Voici l'étrange aveu fait il y a quelques jours par Jaron Lanier, informaticien, musicien et surtout grand pionnier de l'Internet, au micro de Charlie Rose sur la chaîne publique américains PBS.
Son essai "A qui appartient l'avenir ?" , dont je vous déjà parlé ici, fut l'un des plus commentés de 2013 aux Etats-Unis.
Et à cette question, il répond aujourd'hui sans hésiter : "à ceux qui possèdent les plus gros ordinateurs". "Dans le temps, l'avenir appartenait à ceux qui possédaient des champs pétroliers ou des lignes maritimes, aujourd'hui ce sont les réseaux numériques".
Lanier évoque "un renversement stratégique" qui se répète désormais secteur après secteur, et même au niveau de l'Etat.
"Au début l'informatique donne l'impression de tout pouvoir réaliser, de fournir d'infinies richesses, alors qu'en fin de compte, le phénomène se renverse et échoue (...) Quand vous avez les plus gros ordinateurs du monde qui vous aident en collectant des données pour vous donner un avantage, c'est si puissant que vous vous précipitez. Mais finalement, ce n'est qu'une illusion".
Il donne ainsi l'exemple de l'évolution de la couverture par les assurances : jusqu'ici pour être plus rentables, elles devaient assurer le plus de gens possibles. Aujourd'hui, puisqu'elles sont en mesure de relier les gens aux données, le meilleur moyen de faire de l'argent est d'assurer le moins de gens possible, en fait ceux qui en ont le moins besoin.
"Nous étions si sûrs de savoir comment créer au début des réseaux numériques que nous ne regardions pas les résultats empiriques dans le monde réel".
Lanier, pionnier aussi de la réalité virtuelle, regrette d'avoir été plus idéologue qu'ingénieur. Il affirme qu'une bonne partie des travaux en matière d'intelligence artificielle ont été obtenus grâce à des anonymes qui n'ont pas été payés. Notamment pour les services automatiques de traduction réalisés à partir de la collecte de traductions réalisées par des millions d'individus.
"Nous avons donc toujours besoin d'interprètes et pourtant ils ne valent plus rien (...). C'est un bel exemple de fausse automatisation". Pour lui, une des solutions passe par le micro-paiement de micro-sommes aux individus pour leur apport au sein d'un vaste système de redistribution.
Lanier met enfin en garde contre le principe de réalité contre lequel se heurte toujours la statistique. Son livre met surtout en garde contre l’impact destructeur et déflationniste d’Internet sur les classes moyennes, pronostique la disparition des usines et des banques, et dénonce l’enrichissement faramineux d’une poignée de géants du web qui contrôlent désormais les plus gros ordinateurs.
Lisez-le !