Près d’un an après le début des révélations du Guardian et du Washington Post sur la surveillance Internet des citoyens par les gouvernements et les géants du web, le Festival International du Journalisme de Pérouse a tiré les principales leçons pour les journalistes :
1 Journalistes, chiffrez vos emails ! Asap
« Si les journalistes ne chiffrent pas leur email aujourd’hui c’est qu’ils n’ont toujours rien appris. Ce n’est pas une garantie totale de protection, mais cela rend plus difficile la surveillance », a expliqué jeudi en Italie, James Ball, un des éditeurs du Guardian en charge du dossier Snowden/NSA.
« Au journal, il y a un an, personne ne connaissait l’encryptage. Aujourd’hui, pour protéger leurs sources et leurs échanges, tous les rédacteurs en chef et la plupart des journalistes du Guardian utilisent des clés de chiffrement PGP ».
Chez First Look Media, le nouveau média de Pierre Omidyar, la première chose demandée à tous les nouveaux arrivants est d’installer PGP », confirme Andy Carvin, en charge des médias sociaux. « Puis nous ajoutons encore d’autres couches de sécurité ».
« C'est vrai, cela reste peu facile à installer », rappelle Dan Gillmor, professeur à la Cronkite J-School. « Car les gouvernements et les géants du web ne veulent pas que nous les installions ».
2 La censure grandit. Pour la contourner, partagez. Même avec vos concurrents !
« Le Guardian a fait l’objet de pressions et d’intimidations très importantes du gouvernement et des services spéciaux britanniques. Nous avons du détruire beaucoup d’ordinateurs et de disques durs dans nos sous-sols ! (…) Ce qui nous a aidé c’est d’avoir partagé avec des médias concurrents au delà des frontières, comme le New York Times et ProPublica ».
« Il y a non seulement une autocensure croissante sur les sujets délicats, mais aussi des craintes liées aux associations et connexions, via les métadonnées, avec des activistes », déplore Jillian York, de l’Electronic Frontier Foundation.
3 Travaillez avec des organisations non-médias
Pour le journaliste du Guardian, « il ne faut pas rester dans sa tour d’ivoire. Il faut travailler avec les nouvelles formes de journalisme, notamment les activistes, qui constituent une nouvelle forme de journalisme. Ils sont souvent choisis comme destinataires d’infos importantes ».
4 Les grands médias comptent toujours
« Notamment pour les révélations risquées et importantes qui demandent des ressources légales, logistiques et financières importantes".
Le Guardian a ainsi dédié pendant neuf mois une équipe, qui a aussi beaucoup voyagé entre les USA et le Royaume Uni car toute communication téléphonique et en ligne était impossible.
5 Droit de suite : les médias ne lâchent plus un gros sujet
« Normalement, quand un média sort un gros scoop, les autres regardent ailleurs et font autre chose. Aux USA, les médias ont continué de creuser le sujet. C’est l’un des meilleurs effets de l’affaire Snowden », estime Gillmor, un des pionniers américains du journalisme numérique.
« Cela a aussi provoqué une vraie prise de conscience de la surveillance de masse. Mais il faut développer de meilleurs outils de protection, de meilleures lois, et éduquer davantage le public », estime York.
6 Les gouvernements, même démocratiques ne sont pas forcément des amis
« Les journalistes, notamment aux Etats-Unis, se sont rendus compte avec surprise que leur gouvernement sabotait délibérément la sécurité d’Internet (…) Ils peuvent donc être aussi des adversaires », souligne Gillmor.
7 Il faut re-décentraliser Internet
Tim Berners-Lee, l’inventeur du web, a récemment plaidé pour une re-décentralisation d’Internet, le réseau des réseaux, contre la volonté des gouvernements, des géants du web et des FAI qui veulent, au contraire, le contrôler.
« Il faut retrouver les promesses du début, lorsque l’innovation et le contrôle étaient situées essentiellement en lisière d’Internet », affirme encore Gillmor.
« Nous devons reprendre le contrôle d’Internet. Mais tant que le public ne se réveille pas et n’accepte pas de céder un peu de commodité pour récupérer du contrôle, je ne suis pas optimiste », conclut-il.