(réactualisé avec vidéo du discours)
L’allemand Wolfgang Blau, patron du numérique du groupe britannique Guardian, a mis les pieds dans le plat vendredi en Italie : allons-nous laisser les Américains et les Anglais raconter l’Europe au reste du monde ? Sommes-nous débiles ? Ne pouvons-nous pas créer enfin un média avec une voix pan-européenne ?
Son constat dressé fait lors d’une keynote très suivie du Festival international de journalisme de Pérouse est amer :
- « l’image de l’UE dans le monde, y compris en Europe, est aujourd’hui essentiellement véhiculée par The Economist, le Financial Times, le Wall Street Journal, Reuters, Bloomberg, et le Guardian. Il n’y a aucun média d’Europe continentale (…)
- Et sur les 25 plus grands médias en ligne mondiaux, on compte 11 américains, 11 chinois, 3 britanniques, 0 d’Europe continentale ».
Pire : « aujourd’hui ce sont les nouveaux médias nord américains qui s’installent dans quasi tous les pays européens, à l’image de BuzzFeed, du Huffington Post ou de Vice (…) Et si votre boss hausse les épaules à l’écoute de ces noms, c’est qu’il n’a pas bien compris la situation ». « Ces jeunes médias, qui font du bon journalisme, préviennent : on se fait l’Europe ! Et ici, chez nous, personne ne le fait ! ».
Il existe un besoin
« Les nord-américains sont les bienvenus, mais il y a la place pour une voix pan-européenne ! ».
C’est aussi la faute des journalistes européens eux-mêmes. « Les chiffres le montrent : il y a une audience pour des contenus européens, mais peut être pas ceux produits aujourd’hui par les médias sur-investis dans les sujets nationaux pour qui Europe = Euro et Union Européenne = Commission de Bruxelles ».
Or, il existe bel et bien un besoin, explique Blau.
« L’an dernier le Guardian a pu résister aux pressions du gouvernement britannique lors de l’affaire NSA/Snowden car les autres pays européens ont fait pression sur Londres. L’an dernier, c’était nous, l’an prochain ce sera quelqu’un d’autre ».
L’ère numérique exige aussi une taille critique supérieure aux marchés nationaux. « L’internationalisation fait partie aujourd’hui de la stratégie de tous les nouveaux médias ».
Comment y parvenir ?
« Probablement par les nouveaux médias qui s’associent, estime-t-il. Les médias historiques – malgré quelques alliances européennes de contenus -- sont trop concentrés sur leur propre marché, et les acteurs audiovisuels publics dépendent trop d’intérêts politiques ».
Probablement aussi par une plus forte internationalisation des rédactions, où même les journalistes bilingues sont rares.
Pour Blau, deux raisons résument son plaidoyer :
- Etre leader de son marché national est un plaisir qui ne dure pas.
- Les journalistes doivent avoir une puissance de levier plus importante qu’aujourd’hui pour faire pression sur les gouvernements et les lobbys.
« Si vous lisez la presse anglo-saxonne, l’Union Européenne est réduite à un projet économique, aujourd’hui à l’agonie, et à un euro déjà mort. Or l’Europe, est un rêve depuis des siècles, donc bien plus que cela ! ».
« Vous verrez, l’Europe sera aussi évidente que l’unité italienne aujourd’hui ! Les identités sont quelque chose de très fluides ».
Voici la vidéo du discours de Wolfgang Blau :