Netflix arrive dans 1 mois : à qui cela va-t-il profiter ?

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Directions Stratégie et Prospective

Le 15 septembre prochain, à 20h, Netflix débarque en France, la même semaine qu’en Belgique, en Suisse, au Luxembourg, en Allemagne et en Autriche.

Depuis des mois maintenant, la plateforme de vidéo en ligne aux 50 millions d’abonnés dans le monde, agite les acteurs traditionnels français de la TV et de la vidéo, mais aussi l'administration, jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat. Toute proportion gardée, si nous étions dans le secteur des télécoms, nous serions -- pour quelques semaines encore-- dans la période tranquille et stable précédant l'arrivée de Free dans les mobiles. 

Car dans un mois, en opérant depuis le Luxembourg (et via les Pays-bas l'an prochain), Netflix échappera à notre bon vieux système de financement de la création --décret SMAD[1] en tête de liste--, passera entre les gouttes du contrôle du CSA, et remettra en question la pertinence de la chronologie des médias, qui n’a toujours pas évolué malgré les changements des usages et des modes de consommation du public. Enfin, Netflix connu pour la puissance de son algorithme de recommandation, met les acteurs français en face d’une de leurs grandes lacunes : leur capacité à personnaliser leurs services.

Mais si beaucoup lèvent le poing de la résistance, n’oublions pas qu’un grand nombre d’entre eux ont aussi à y gagner, un peu et même beaucoup. A qui l'arrivée de Netflix va-t-il donc profiter ? 

Aux acteurs de la SVOD ?

Si l’on en croit Gregg Bywalski, Directeur Marketing et Digital du groupe AB, l'arrivée de Netflix sera « une opportunité, puisque Netflix, ou un autre acteur international, pourrait rapidement évangéliser sur la SVOD (vidéo à la demande par abonnement). Car nous avons un problème en France : les gens ne savent pas ce qu’est la SVOD. On estime qu’avec un budget marketing important, un opérateur comme Netflix mettra les moyens pour expliquer ce qu’est la SVOD. Il s’agira ensuite d’un marché concurrentiel et chacun tirera son épingle du jeu, en fonction des contenus qu’il proposera et en apportant sa valeur ajoutée. »

Si la proposition de modifications de la chronologie des médias d’Aurélie Filippetti est acceptée, rappelons que la fenêtre d'exploitation dédiée à la SVOD, aujourd’hui placée à 3 ans après la sortie en salles, passera à 2 ans, pour les acteurs "vertueux", c'est-à-dire ceux qui participent au financement de la création. Cela sera-t-il suffisant pour créer une offre véritablement attractive ? Disons que ce sera déjà ça à prendre pour les plateformes françaises de SVOD.

Mais, attention, d'autres grands acteurs étrangers de la SVOD sont aussi en embuscade. Nous pensons notamment à Amazon et à Wuaki (du japonais Rakuten).

Aux Fournisseurs d’Accès à Internet ?

Orange est le seul opérateur à avoir déclaré ne pas vouloir distribuer Netflix via sa box, « dans un premier temps, en France ». Il est vrai que lorsque l’on est désigné comme « le vaisseau amiral porteur de notre révolution numérique et souveraine » par Arnaud Montebourg, il ne serait pas bien vu de faire alliance immédiatement avec la puissante et disruptive plateforme américaine.

Quant aux autres, pas un mot. Est-ce que Free sera (comme souvent) le mouton noir de l’écosystème ? Du côté de Numéricâble/SFR, Patrick Drahi, a annoncé qu’il lancerait sa propre plateforme de séries en streaming sur la base du catalogue de Numéricâble. Quid de Bouygues ? Est-ce incompatible avec d'autres partenariats de distribution ?

Aux boutiques OTT ?

Il est fort probable que Netflix ait dû négocier sa place sur les boutiques OTT, celle de Google (dont Chomecast) et Apple, mais aussi sur les "stores" d'applications des constructeurs de TV Connectables et les box OTT qui commencent à fleurir, comme celles de TeVolution, VidéoFutur ou la récente Réglo TV proposée par E.Leclerc.

Aux médias qui vendront à Netflix des espaces publicitaires ?

Netflix ne va pas se contenter de quelques bannières égrenées sur le web pour se faire connaître à la France. En professionnel du marketing, Netflix va frapper fort et n’hésitera pas à acheter des espaces publicitaires qui iront chercher le grand public et particulièrement son cœur de cible, les 18-34 ans (aux Etats-Unis).

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Au monde de la création ?

Ne nous y trompons pas, si la plateforme est connue pour la richesse de son fond de catalogue, Netflix, devenu producteur reconnu, est aussi désormais un acteur clé d'Hollywood. Dans sa dernière lettre à ses actionnaires du mois de juillet, Reed Hastings a annoncé pas moins de 8 séries originales (dont les 3e saisons de Orange is the new black et House of Cards) actuellement en tournage au quatre coins du monde, ainsi que la création d’un talk-show présenté par Chelsea Handler, mais aussi la production de stand-up de grands comiques US.

Le patron de Netflix a d’ores et déjà parlé  -- sur le mode ironique-- de la production d’un « House of Versailles » spécifiquement créé pour le public français. Une série française serait déjà en tous cas sur les rails. 

House of Versailles

On peut tout à fait imaginer que Netflix puisse convaincre des producteurs de l'Hexagone à travailler avec/pour lui ; certains ont déjà, dans un passé récent, collaboré avec une autre plateforme américaine, YouTube qui lançait alors ses « original channels » en France. Et sauf erreur, Gaumont travaille déjà pas mal avec Netflix. Pourquoi pas un autre grand nom du cinéma français ?

En réalité, ce n’est pas le financement de la création qui est menacé par Netflix, car il est probable que l’entreprise mette la main au portefeuille (très bien fourni) pour en (faire) produire ; Netflix produira de la grande qualité grand public dans un objectif simple de rentabilité et de succès commercial. Le véritable risque, c’est la question de la diversité de cette production.

Aux chaînes TV ?

On lit souvent que les chaînes payantes vont être les grandes perdantes du raz de marrée Netflix. En réalité, c’est possiblement l’ensemble des chaînes qui sera impacté car une offre comme celle de Netflix, qui en plus de son catalogue, colle aux usages (à la demande, personnalisation, binge viewing…) concurrence de plein fouet le temps « télé » dans son ensemble.

Néanmoins, s’il est peu probable que les chaînes s’allient à Netflix pour la distribution de leurs contenus en France, du moins dans un premier temps, il ne serait pas impossible qu’elles nouent des partenariats de distribution à l’international, comme Canal Plus l’a fait avec les séries Engrenages et Borgia par exemple, et pourquoi pas signent des contrats de co-productions.

Au public ?

Pour toutes les raisons qui font le succès de Netflix à l’étranger : un catalogue riche, une offre personnalisée, à la demande, illimitée, très probablement vendus pour la somme modique de 7,99€ par mois pour un accès à Netflix sur un écran.

Tarification Netflix non officiel circulant sur Twitter

Tarification Netflix non officiel circulant sur Twitter

A Netflix ?

La vraie question reste le catalogue qui sera proposé : est-ce que le public français va y adhérer au même titre que les britanniques et les scandinaves l’on fait, assez massivement, ses derniers mois ? Netflix, qui mise gros sur l'extension de ses marchés internationaux encore peu rentables, espère sans doute un aussi bon démarrage qu'aux Pays-Bas ; lancée en septembre dernier, la plateforme y comptabilise 600.000 abonnés (sur une population de 16,8 millions d'habitants !). Rappelons aussi que les séries, qui assurent la majorité de ses visionnages, ne sont pas soumises à la fameuse chrono des médias. Les documentaires non plus.

Rendez-vous donc après Noël pour un premier bilan. Puis dans un an, pour savoir qui de l'Allemagne ou de la France aura enregistré --ou dépassé-- en premier le million d'abonnés.

 

[1] Depuis le 12 novembre 2010, le décret SMAD – pour Service de Médias Audiovisuels à la Demande – fixe les obligations des distributeurs quant à l’exposition et au financement de la création des œuvres françaises pour les opérateurs qui émettent depuis la France. Il prévoit que les services de VOD et de SVOD qui réalisent plus de 10 millions de chiffre d’affaires participent au financement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes et d’expression originale française