Par Robert Amlung, directeur de la stratégie numérique de la chaîne publique allemande ZDF
- 14 août : le directeur du Stern doit rendre les clés.
- 22 août : le directeur du Spiegel est dans le collimateur des propriétaires du journal. Il reste – en sursis.
- 26 août : le directeur du Focus est remplacé.
Ce mois d’août en Allemagne est frais et pluvieux. Mais dans les grands hebdomadaires, il est chaud, et surtout très orageux.
La classe médiatique allemande est stupéfaite : que se passe-t-il ?
A première vue, le recul des chiffres de la distribution est évoqué. Le Stern a perdu 11% de son tirage en trois ans, le Spiegel 8% et Focus 14%. La tendance est claire, et elle est négative. Et, comme partout en Europe, les recettes de la publicité reculent aussi, fortement. Les perspectives économiques sont perturbées dans les grands groupes de presse allemands.
Que faire ? Le reflexe, comme en France, est de remplacer le chef quand les temps deviennent difficiles. On attend donc le nouveau chef, ses projets, son style, ses méthodes.
Pure illusion ! Les problèmes de la presse, des médias, du journalisme dépassent de beaucoup une seule personne, fut-ce un grand boss ! C’est désormais évident.
Est-ce vraiment une crise ?
Regardez le Spiegel. La maison est divisée. D’un côté, les journalistes du journal papier, de l’autre, ceux du site web, Spiegel Online. Les uns copropriétaires de l’entreprise, les autres mal payés. Les uns gardiens d’une vénérable institution, les autres innovateurs insolites et provocants. Les deux parties, où règnent de forts égos, se détestent et ne veulent pas se comprendre.
C’est probablement là que se situe le cœur de la crise. Mais est-ce vraiment une crise ? Le mot vient du grec « krisis » qui signifie « décision ». Une crise c’est le moment décisif d’une maladie. On en est hélas bien loin. Aujourd’hui, la presse écrite est malade, c’est vrai. Mais la krisis, elle, n’est pas en vue. Pour le moment, c’est le blocage total.
Et pourtant, il y aurait tant à discuter, à échanger, ensemble.
Comment bien réagir, nous journalistes professionnels, à cette nouvelle concurrence du public (« qu’on appelait autrefois l’audience », selon Jay Rosen) ? Quel sera notre rôle demain ? Comment amener nos pratiques professionnelles en direction d’une plus grande conversation itérative, en temps réel, avec nos lecteurs, téléspectateurs et utilisateurs ? Dans quel esprit voulons-nous faire désormais du journalisme ? Et quels sont les événements qui méritent aujourd’hui notre couverture professionnelle ?
Cette discussion n’a pas lieu en Allemagne.
En France, pas beaucoup plus, semble-t-il, si on en croit le tweet réagissant à l’excellent documentaire d’ARTE « Presse sans papier » diffusé cette semaine :
#PresseSansPapier Dans les rédactions web, on n'a rien appris mais on espère que les copains du papier ont regardé. #arte
— Flavien Plouzennec (@FlavienP) 26 Août 2014
Hélas, dans cette époque de malaise et de dialogue de sourds qui dominent notre profession, ce sont malheureusement les chiffres qui règnent : diffusion du dernier numéro, parts d’audience, clicks, pages vues, nombre d’abonnés sur Twitter, etc.
Certes, c’est important. En plus, c’est simple. Mais les nécessaires et délicates prises de consciences sont délaissées, ajournées.
Suivre de près ses statistiques ne suffira pas. Il nous faudra avant tout produire du journalisme passionnant de qualité, communiquer avec le public, avoir le courage aussi de le confronter, débattre enfin !
Pour moi, passion et courage sont les deux clés du grand journalisme, d’aujourd’hui et de demain. Sans eux, il n’y aura pas de salut.
Discutons-en ! Ensemble.
Par @robertamlung