4K : tout le monde en veut, sauf les télés

Par Matthieu Parmentier, francetélévisions innovations&développements

La 4 K (ou Ultra H-D), aujourd'hui, en résumé : 

  • Effet waouh incontestable ! Cette fois, c'est l'Asie qui mène la danse ! Chine en tête 
  • Les fabricants d'écrans sont prêts. Hollywood, les grandes plates-formes de vidéo en ligne, et le public, aussi !   
  • Mais les TV, échaudées par la 3D, restent prudentes 

Sony a profité de l'édition 2014 du MIPCom cette semaine à Cannes pour faire le point, lors d'un cycle de conférences et de projections, d'une année riche en productions Ultra HD expérimentales sur tous les continents.

Auprès de Chris Forrester (à g.), animateur de ces conférences Sony, Simon Fell (UER), Maryline Clare-Charrier (4EVER), Michel Chabrol (Eutelsat), Will Law (Akamai) et Victor Lemos (Trator Films, Brésil)

Auprès de Chris Forrester (à g.), animateur de ces conférences Sony, Simon Fell (UER), Maryline Clare-Charrier (4EVER), Michel Chabrol (Eutelsat), Will Law (Akamai) et Victor Lemos (Trator Films, Brésil)

Où en est la demande du public ?

Pour Gary Davey (Sky Deutschland), toute la jeune génération menace l'équilibre de la production TV en consommant majoritairement les programmes à la demande sur tablette ou PC, mais, rassure-t-il, les chiffres tendent à confirmer qu'une fois entrés dans la vie active, ils achètent un bel écran plat et s'abonnent au câble ou au satellite. Ce qui reste à voir !

Sur ces grandes dalles TV certains contenus plaident pour la définition 4K, notamment les films, les documentaires de prestige et les spectacles dont la carrière en diffusion ne peut que s'en trouver rallongée.

En 2014, on peut estimer qu'une cinquantaine de programmes TV Ultra HD ont été finalisés et sont désormais disponibles à la vente. Il s'agit exclusivement de documentaires animaliers, historiques, géographiques ou de spectacles vivants : opéras, concerts de musique classique et grands concerts rock.

Côté public, aucune véritable étude de consommation ne cible l'Ultra HD et beaucoup d'éditeurs comptent sur d'hypothétiques chiffres de Netflix – qui fait payer un sur-abonnement pour l'Ultra HD – afin d'adapter leur stratégie. Comme de son côté Netflix parcourt le monde à la recherche de contenus, cela contribue à brouiller les cartes. Autre précision d'importance, il s'agit de la première révolution audiovisuelle entièrement impulsée par l'Asie où se fabriquent et se vendent les télévisions Ultra HD, ainsi la Chine représente de loin le premier marché mondial avec 80% des parts en 2014.

Prévision des ventes d'équipements Ultra HD dans le monde et sur le marché chinois (source digitimes)

Prévision des ventes d'équipements Ultra HD dans le monde et sur le marché chinois (source digitimes)

Doit-on produire dès aujourd'hui en 4K ?

Si Sony Pictures produit déjà ses longs-métrages en 4K, exploite aux US une boutique VoD de 70 films en 4K, et voit tout Hollywood lui emboîter le pas, blockbusters et séries à gros budgets inclus, les acheteurs TV avancent plus timidement. Echaudés par l'échec de la 3D stéréoscopique à la télévision, les départements R&D des plus gros networks progressent pas à pas et aucun n'annonce la création d'une chaîne Ultra HD de plein exercice avant 2 ans.

Ruth Sessions (Atlantic Production, UK) insiste sur la grammaire étendue que la haute définition a pu apporter aux créateurs de contenus il y a 10 ans.

Aujourd'hui l'Ultra HD redonne un élan aux potentiels d'immersion et d'émotion. Techniquement, concernant le marché des programmes TV, les producteurs s'accordent déjà sur l'essentiel : définition 4K, 50 images/seconde et la meilleure dynamique possible pour transformer son téléviseur en véritable fenêtre ouverte sur un monde réaliste. La définition 8K est d'ailleurs évoquée, mais pour offrir une carrière Imax aux plus beaux documentaires, réguliers débouchés commerciaux.

"Alive", programme emblématique d'Atlantic Production, combine tournage 3D en Ultra HD à 50 images/seconde et images de synthèses pour fait revivre le muséum d'histoire naturelle de Bristol (Pays de Galles)

"Alive", programme emblématique d'Atlantic Production, combine tournage 3D en Ultra HD à 50 images/seconde et images de synthèses pour fait revivre le muséum d'histoire naturelle de Bristol (Pays de Galles)

Du côté de Red Bull, la boisson énergisante toujours présente aux côtés des casse-cous du monde entier, son directeur des contenus Bernhard Hafenscher insiste sur cette impression de réalisme qui dope l'adrénaline des consommateurs d'Ultra HD.

Avant de se lancer dans la production de films, Red Bull s'investit beaucoup dans la couverture des sports extrêmes pour établir son savoir-faire, construire une esthétique et fidéliser son audience. Avec une stratégie intimement liée à celle de GoPro – le fabricant de caméras miniatures – Red Bull surfe avec talent sur ce qui pourrait s'avérer le modèle de production/diffusion de demain : des contenus rapides à produire, impressionnants pour émerger de la masse, réalistes puisque en partie tournés par les acteurs eux-mêmes, postés et viralisés sans coûteux plans de communication, éditorialisés puis revendus à des chaînes spécialisées…

658BB15F-161F-491E-BCDB-D56CCC6A6457

RedBull Media House s'investit sur tous les événements combinant adrénaline et impression visuelle.

RedBull Media House s'investit sur tous les événements combinant adrénaline et impression visuelle.

Eric Scherer (France TV) souligne ce double risque inédit qui pèse sur les diffuseurs/éditeurs classiques : celui d'être débordé à la fois par les nouveaux distributeurs de contenus (Netflix, Amazon, Apple) et par les nouveaux producteurs (Youtubers, GoPro, ViceNews etc.), grâce à des réseaux de distribution et des outils de production aux tarifs de plus en plus accessibles.

D'autre part, l'Ultra HD n'a rien de comparable avec la 3D en son temps, compliquée à mettre en œuvre et à démocratiser, au delà des téléviseurs grand format on trouve déjà des écrans Retina de tablettes et smartphones compatibles Ultra HD. La question n'est pas donc plus de savoir s'il faut y aller, mais quand ?

Une technologie perfectible, des recettes à réinventer…

Il reste encore beaucoup à explorer avant de produire tous les contenus TV en Ultra HD. 

Gary Davey relate les tests récemment menés par Sky Deutschland sur les captations de football et souligne la nécessité de repenser la mise en images. Pour l'instant, la nouvelle recette n'est pas trouvée et Sky se focalise particulièrement sur la largeur des cadres, la profondeur de champ minimum, le rythme de commutation entre caméras et donc le nombre de caméras idéal pour couvrir un stade. Avec un impact sur le coût de production : il semble compliqué d'entrevoir un même car-régie réaliser à la fois une réalisation Ultra HD et une réalisation HD à partir des mêmes caméras.

La captation Ultra HD en direct reste en chantier, Sony a beaucoup appris lors des 3 matchs de coupe du monde tournés au Brésil

La captation Ultra HD en direct reste en chantier, Sony a beaucoup appris lors des 3 matchs de coupe du monde tournés au Brésil

Maryline Clare, responsable du projet collaboratif 4EVER renchérit à propos de ces défis à relever : "en juillet 2014, le monde entier a découvert les images Ultra HD de la coupe du monde de football au Brésil, s'est extasié devant les textures de gazon, les gouttes de sueur des joueurs, la frénésie colorée des supporters, et pourtant il a fallu supporter le découpage du terrain en deux zones, l'une correctement exposée et l'autre dans l'ombre à cause de cette lumière caractéristique de fin d'après-midi.

Là où l'œil humain sait s'adapter, les téléviseurs échouent toujours à reproduire un tel contraste. Ce sont ces autres dimensions de l'Ultra HD : la haute dynamique, la colorimétrie étendue et la cadence image que nous étudions grâce aux caméras déjà compatibles, de sorte d'aboutir à une "télévision du futur" qui se différencie nettement de l'actuelle. Cette Ultra HD phase 2 est prévue pour 2018 par plusieurs organismes de normalisation, il faut poursuivre les expérimentations et toutes les qualités inférieures en bénéficieront."

D5190F9E-FCEE-43DF-975D-A7F955BEB9F0

Le consortium 4EVER insiste sur l'intérêt de combiner définition 4K, cadence image doublée (100/120 Hz) et dynamique étendue (HDR) pour renforcer la qualité perçue

Le consortium 4EVER insiste sur l'intérêt de combiner définition 4K, cadence image doublée (100/120 Hz) et dynamique étendue (HDR) pour renforcer la qualité perçue

L'italien DBW communication l'a bien compris en s'équipant le premier de 10 caméras Sony dernier cri, capables de fournir un signal Ultra HD ambitieux aux producteurs tentés d'innover. La société intervient dans toute l'Europe, de retransmissions sportives en opéras, en adjoignant une sorte de demi car-régie UHD à une infrastructure de production HD classique.

Plus rare, DBW possède aussi le premier drone capable de soulever la dizaine de kilos d'équipements indispensables pour fournir des images aériennes en réelle Ultra HD. Grâce aux mises à jour logicielles de ses investissements, DBW fait confiance aux capteurs Sony déjà dotés d'une large dynamique et d'une colorimétrie étendue pour devenir le premier prestataire à produire un multi-caméra Ultra HD phase 2.

Avec sa filiale Moviedrone, DBW embarque la première solution de prise de vue aérienne Ultra HD complète

Avec sa filiale Moviedrone, DBW embarque la première solution de prise de vue aérienne Ultra HD complète

L'Ultra HD, combien ça coûte, combien ça rapporte ?

L'épineuse question du surcoût de la production Ultra HD diffère énormément en fonction des contenus, puisqu'il peut doubler en cas de besoin d'un car-régie supplémentaire complet.

A noter les coûts de location et de mise en œuvre quasi identiques côté caméra, donc pour un programme scénarisé d'avance, le surcoût pourrait se résumer à la multiplication du stockage nécessaire.

Malgré tout Red Bull anticipe systématiquement une plus large enveloppe "d'imprévus" : la lumière, le maquillage, le temps de copie des médias et la qualité du monitoring de contrôle génèrent encore beaucoup de retard sur les tournages. Mais avec l'expérience, Bernhard Hafenscher pense aussi qu'à terme seule la problématique de "poids des données" différenciera la production Ultra HD de la production HD.

Au registre indispensable du "retour sur investissement", les producteurs de documentaires s'y retrouvent en premier, suivis par les producteurs de spectacle.

L'Ultra HD dope les ventes à destination de l'Asie grâce au souffle de la nouveauté, puis vient l'argument principal : la valeur des programmes de stock dépend de leur durée d'exploitation, et l'Ultra HD offre des perspectives de diffusion pour les 20 prochaines années minimum, ce qui a motivé l'unité "natural documentaries" de la BBC à mettre 8 programmes en chantier dans ce format dès 2013.

La BBC a mis en chantier 8 documentaires de prestige en Ultra HD dès 2013

La BBC a mis en chantier 8 documentaires de prestige en Ultra HD dès 2013

A quand donc une véritable offre de contenus ?

De l'avis des éditeurs "historiques", le démarrage de chaînes Ultra HD et la généralisation des productions majeures dans ce format se feront certainement à la faveur de grands événements couverts en direct. Les Jeux Olympiques de 2016 et 2020 et la coupe du monde de football 2018 sont régulièrement cités pour jouer ce rôle.

Face aux menaces (YouTube, Amazon, Netflix), Gary Davey (Sky Deutschland) ironise sur leur capacité à délivrer de l'Ultra HD par Internet (Netflix le promet pour 3€ supplémentaires par mois). Selon lui, ni les fournisseurs d'accès Internet, ni Netflix ne savent garantir aujourd'hui la qualité de service nécessaire. Le patron des contenus de Netflix, Ted Sarandos, a pourtant indiqué au MIPCom qu'il tournait désormais toutes ses productions originales en 4K, une qualité qui, selon lui, "va révolutionner les usages vidéo sur Internet".

C'est aussi l'avis de Simon Fell – directeur de l'innovation et des technologies de l'Union Européenne de Radio-Télévision -  pour qui la finalisation de la transition HD occupe encore trop les pays producteurs de contenus. Si les réseaux IP sont déjà prêt à accueillir les programmes Ultra HD à la demande, leur infrastructure ne permet pas de supporter l'audience massive de grands événements Ultra HD en direct tels que l'Eurovision, les jeux olympiques ou un match de coupe de monde.

Will Law, chief architect d'Akamai Media Division, ne contredit presque pas : "la bande passante disponible dans les foyers reste encore trop modeste pour délivrer des contenus Ultra HD, mais les infrastructures évoluent très vite jusqu'à augmenter le débit moyen de 100% par an en Europe, à ce rythme on atteindra une éligibilité suffisante pour des millions de téléspectateurs d'ici 2 ans" !

Dans le camp des optimistes, outre Akamai on retrouve aussi les opérateurs satellites. Dans les prochains mois, Michel Chabrol (Eutelsat) annonce le lancement de "chaines événementielles" par satellite dans le nord et l'est de l'Europe pour assurer la distribution de contenus Ultra HD vers un large panel d'écrans compatibles et de récepteurs "nouvelle génération", et ainsi satisfaire les "early adopters" en contenus. Eutelsat espère aussi le démarrage de séances en direct dans les salles de cinéma dès 2015.

Pour le pragmatique Simon Fell (UER), le train de l'Ultra HD démarre à peine et aucun producteurs de contenus ne l'a encore raté. Certes 7% des téléviseurs acquis en 2014 appellent ce nouveau format, mais ce ne sont pas les 4 titres de Netflix produits en 4K à 24 images/secondes qui vont durablement concurrencer les 60.000 nouveaux contenus HD disponibles par ailleurs.

Maryline Clare (4Ever) insiste aussi sur l'échec de la 3D dont l'industrie avait réclamé une rapide mise en œuvre des productions pour un résultat finalement décevant : trouver les bons leviers pour renouveler l'expérience des consommateurs s'avère crucial, et demande encore un peu de temps. 

Aurons-nous ce temps ?