La smart city doit être plus qu’une ville intelligente

Par Etienne Cointe et Mathias Virilli, Direction de la Prospective, France Télévisions

La smart city  n’est pas un concept nouveau : les villes ont toujours essayé d’aménager l’espace urbain de manière intelligente. Dans les années 70, le maire de la ville brésilienne Curitiba, Jaime Lerner, adoptait déjà une méthode que Francis Pisani qualifie “d’acupuncture urbaine” : à l’instar de l’approche médicale, cette démarche consiste à revitaliser une zone “malade” en traitant un point-clé du système, censé déclencher des réactions positives en chaîne. Une forme de smart city parmi d'autres !

La smart city est bien un concept protéiforme, qui s’adapte à la ville, dont il est question. Jean-Louis Missika aime à rappeler que  “la ville intelligente, c’est un poumon qui vit au rythme de ses habitants”. Et Carlos Moreno, professeur spécialisé dans la ville intelligente, prévient que la smart city n’est "pas un logiciel" mais doit être une méthode qui vise à faire de la ville un lieu de vie et de rencontre.

Les problématiques offertes par ce concept de smart city revêtent d’autant plus d’importance qu’on assiste à une urbanisation croissante de la planète : si en 2007, la population mondiale devenait majoritairement urbaine, 70% des habitants vivront en ville en 2040.

A l'occasion du première Forum Smart City organisé cette semaine à l'Hôtel de Ville de Paris, la maire Anne Hidalgo notait d’ailleurs 3 tendances des villes-monde, qui expliquent le développement de cette urbanisation :

  • un facteur d’attraction pour les populations
  • un espace de création où on invente des solutions : solutions de débrouille ou innovations
  • un espace où les entreprises tentent leurs innovation et voient si ces dernières répondent aux besoins des citoyens

Aujourd’hui, quelles dimensions recouvre la “smart city” ? Tentative de définition.

Une ville numérique et connectée

Le Smart Cities Council, composé de grandes entreprises parmi lesquelles GE, EdF, Microsoft, Qualcomm, Cisco ou encore IBM, parle de « ville intelligente » lorsque les technologies digitales sont intégrées dans toutes les fonctions de la ville : régulation dynamique des réseaux entre eux (transport, énergie, eau…), boutiques virtuelles, éclairage intelligent, etc. Antoine Frérot, Président Directeur Général de Veolia Environnement ajoute d’ailleurs : « une smart city doit recueillir, transmettre et traiter un grand nombre de données en temps réel récupérées sur les infrastructures, les équipements et les consommateurs de ces services ». Cette ville connectée doit servir à optimiser le fonctionnement de ces installations complexes, et permettre d’inventer de nouveaux services avec les usagers, davantage interactifs.

Une ville durable plus participative

Pourtant, les dispositifs smart city mis en place par des villes comme Songdu en Chine interrogent la place de la technologie : elle ne doit pas être « un lieu froid fait de capteurs » (Carlos Moreno). Si l’innovation est au cœur de la ville intelligente, cette dernière n’est pas fondamentalement technologique. La technologie doit être conçue comme un accélérateur porteur d’interactivité et de connectivité : elle est bénéfique si elle trouve un usage social derrière, en répondant à un besoin exprimé ou révélé. Anne Hidalgo souligne d’ailleurs ce point en affirmant: “l’usage est la clé du développement de la smart city".

Cette définition, axée sur le numérique, se doit donc d’être complétée par l’inclusion des habitants dans le processus de construction de la ville intelligente, ainsi que par l’enjeu de soutenabilité environnementale des solutions urbaines proposées.

Crédit : Bonnefrite

Crédit : Bonnefrite

Pour Boyd Cohen, le développement durable doit ainsi être mis en avant : « une smart city est une ville qui exploite la technologie et l’innovation afin de rendre plus efficace l’utilisation des ressources et réduire la taille de l’emprunte écologique ». L’exposition « Matière Grise » au Pavillon soulignait cet enjeu avec son credo : « consommer plus de matière grise pour consommer moins de matières premières », en convoquant l’intelligence collective pour reconsidérer les matériaux qui servent à la construction de nos infrastructures. Carlos Moreno évoque quant à lui la prise en compte de la vulnérabilité socio-territoriale dans la smart city.

L’instauration de smart grids, dont le premier exemple français IssyGrid est basé à Issy-les-Moulineaux, préfigure la gestion de l’énergie dans des quartiers intelligents : par exemple, si une maison équipée de panneaux photovoltaïques n’emploie pas toute l’énergie qu’elle a stockée, cette énergie inutilisée pourrait être transmise à d’autres infrastructures.

ISSY GRID ST FR from VLSTUDIO on Vimeo.

Ainsi, la smart city doit organiser l’intelligence collective selon Jean-Louis Missika, ce qui implique un changement dans le mode de décision des gouvernants afin de partir des habitants. Ce transfert de pouvoir vise à rétablir une relation égalitaire et de dialogue entre gouvernants et citoyens, et éviter que la ville ne dispose d’un poste de contrôle unique. La mairie de Paris a ainsi proposé à ses habitants d’échanger sur un budget participatif : une façon d’exercer son droit démocratique à travers un processus collaboratif. La ville intelligente est ainsi « responsive » pour Virginie Calmels, adjointe à la mairie de Bordeaux en charge de la croissance durable, dans le sens où elle doit être un projet de co-construction avec ses habitants afin de répondre au mieux à leurs attentes. Selon Carlos Moreno, l’esprit technocratique a laissé la place à un éco-système ouvert qui permet la co-création citoyenne.

C’est en ce sens que le numérique trouve sa place. Parce qu’il sont porteurs d’échanges et de partages, les outils dématérialisés permettent à la ville d’engager les citoyens à travers de nouveaux usages en ligne. Des consultations électroniques permettent par exemple de consulter l’avis de ses habitants au quotidien de façon plus pratique pour eux qu’auparavant, où le conseil municipal était le seul lieu de délibération régulier. Nathalie Leboucher, directrice du programme stratégie Smart Cities d’Orange, évoquait quant à elle une application mobile d’assistance personnelle personnalisée et contextualisée pour les habitants de Bordeaux ; tandis que Jean-Charles Decaux parlait de “mobilier urbain intelligent”, déjà implanté à Sao Paulo, qui diffuse in situ et en temps réel le fil d’actualité Twitter de la ville.

Cette articulation entre outils numériques et gouvernance participative doit se faire dans un climat de confiance qui passe par une éducation des citoyens aux enjeux de la data. Les mairies doivent ainsi faire preuve d'exemplarité en matière de politique des données (avec par exemple des politiques d'open data mises en place à Paris ou à Toulouse) ; tandis que l'enjeu pour les habitants est de percevoir la collecte d'informations non pas comme une violation de leur vie privée, mais plutôt comme une opportunité d'améliorer la gestion de la collectivité.

 La smart city : plus qu’une ville intelligente

La smart city n’est ainsi pas nécessairement une ville high tech, comme l’a prouvé Anibal Gaviria, maire de Medellin. Connue pour son taux de criminalité le plus élevé au monde en 1991, la ville colombienne a cette année été nommé ville la plus innovante en 2012 par le Wall Street Journal pour ses technologies d’innovation incrémentales qui ont su répondre frontalement et à bas coût aux problèmes de ses habitants. D'ores et déjà intronisé cas d’étude, Medellin montre que la low tech peut rendre une ville smart et questionne la pertinence de la traduction française du concept. En effet, il s’agit bien plus d’une ville ingénieuse, maline, élégante, et parfois même bricolée qui ressort de l’exemple de Medellin, et non pas une ville à la pointe de la technologie.

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