Par Etienne Cointe, France Télévisions, Direction de la Prospective
Si les exemples de mise en œuvre de l’intelligence collective sont nombreux dans le milieu animal (notamment chez les abeilles ou les fourmis), son instauration semble plus compliquée chez l’espèce humaine. Aujourd’hui pourtant, les reproches qui visent les hauts responsables politiques ou les dirigeants d’entreprise, accusés de ne pas prendre en compte les avis des citoyens ou de leurs salariés, remettent en question les anciens processus décisionnels et tendent vers la mise en place d’une telle organisation.
Pour Olivier Zara, consultant en management et médias sociaux, des pays comme la France, qu’il oppose aux pays anglo-saxons, sont moins enclins à de tels bouleversements dans leurs entreprises. Il décrit « une hiérarchie française très fermée, centrée sur le statut » et qui l’a d’ailleurs convaincu de déménager au Canada au début des années 2000. Il a néanmoins l’impression que des éléments perturbateurs, tels que la crise de 2008, commencent à dérider ce système. Sous la contrainte, la France commence à agir.
Qu’est-ce que l’intelligence collective ?
Olivier Zara décrit l’intelligence collective comme « la somme des intelligences de la situation conjuguées à des savoirs. » A travers le terme « intelligence de la situation », il sous-entend une bonne compréhension du contexte et des enjeux du problème posé. L’intelligence collective n’est donc pas la somme des quotients intellectuels des individus engagés dans la réflexion, critère trop souvent mis en avant lors de la sélection des personnes pouvant prendre part au processus de décision.
Cette intelligence collective, ou intelligence en essaim, n’est cependant pas assimilable à une décision collective. Elle s’inscrit davantage dans une réflexion collective qui repose sur le principe de subsidiarité. La décision sera uniquement prise par le manager afin de ne pas le déresponsabiliser, avec une règle clé : « On discute, je décide. »
Quand l’utiliser ?
L’intelligence collective doit être utilisée afin de résoudre des problèmes complexes, à ne pas confondre avec les problèmes compliqués. Ces derniers désignent les problèmes qu’il nous est possible de résoudre avec du temps et de l’expertise parce qu’ils ne concernent que des éléments d’une même structure (ex : une voiture, un avion).
Les problèmes complexes, en revanche, ne sont pas facilement appréhendés par l’homme car ils recoupent des éléments de structures différentes dont il est difficile de comprendre le fonctionnement, les interactions et donc d’anticiper les résultats (ex : le cerveau, une entreprise). Afin de procéder à leur résolution, il convient donc d’adopter une approche holistique et systémique.
Pour Olivier Zara, les problèmes complexes des entreprises s’articulent autour de l’un des 4 thèmes suivants:
- Développement de performance / Stratégies
- Problème technique complexe / Gestion des risques / Sécurité au travail
- Gouvernance / Modes de travail
- Innovation
A ces thèmes correspondent plusieurs dimensions parmi une vingtaine existantes (organisation, marketing, finance, stabilité, stratégie, etc.) dont il va falloir concevoir les différentes interactions dans l’espoir de cerner le problème complexe posé.
L’intelligence collective sert ainsi d’outil de gestion de la complexité pour les managers et les leaders. Elle permet de sécuriser le processus de prise de décision en offrant une vision globale et partagée, une mesure des interactions, un choix élargi de décisions et une mesure des consensus.
Mise en œuvre de l’intelligence collective
- La matrice AXIO
Le management de l’intelligence collective est un processus séquencé en 6 étapes pour chacune desquelles le manager doit déterminer le nombre de personnes à impliquer. L’idée est d’éviter à tout prix le cheminement habituel du manager qui effectue les 5 premières étapes seul avant d’exposer, lors de la 6e étape, la décision aux collaborateurs. Il utilise pour cela le M.I.G (Management Incantatoire et Gesticulatoire) afin de les convaincre, ce qui ne fait que servir l’abrutissement collectif.
Avec la matrice AXIO, le manager décide seul mais est éclairé par l’intelligence collective: en intégrant ses collaborateurs au processus de décision, il en fait des « collabor-acteurs ».
- Le management paradoxal
Si l’ordre et les institutions, à travers l’organisation pyramidale, sont les meilleurs systèmes pour exécuter les décisions, ils se révèlent être les pires quand il s’agit de la prise de décision. Le management de l’intelligence collective repose sur une combinaison d’éléments du monde 1.0 (hiérarchie, organisation en silos, contrôle, discipline…) et d’éléments du monde 2.0 (co-création, intelligence collective, communauté …). Il s’inscrit dans un management qualifié de « paradoxal » par Olivier Zara car il se base aussi bien sur l’ordre et la nécessité de contrôle que sur une certaine logique de chaos, à convertir en chaos-agile (qu’il oppose au chaos-désordre) à travers la transversalité, la liberté, les sens et les savoirs.
Si les bienfaits d’un tel management peuvent être nombreux, notamment auprès des salariés, le temps que les managers doivent consacrer à l’intelligence collective reste marginal (environ 5%). Enfin, le véritable livrable de ces réunions, dont le but est d'envisager des solutions à un problème complexe, n’en reste pas moins obscur : « c’est de l’intuition pour le manager ».
Les images de cet article sont issues de "L'intelligence collective au service de l'agilité et du leadership dans la complexité" d'Olivier Zara, disponible sur slideshare.