Patrick Modiano recevait ce dimanche à Stockholm son prix Nobel de Littérature. S'il a admis, dans son discours, que "le seul air que respire un écrivain est l'air du temps", il a aussi émis des craintes sur la capacité des écrivains de demain à faire face à l'accélération du temps dans la vie connectée:
Au 19ème siècle, au temps des grands romanciers, "le temps s'écoulait d'une manière plus lente qu'aujourd'hui. Cette lenteur profitait au travail du romancier, car il pouvait mieux concentrer son énergie et son attention. Depuis le temps s'est accéléré, et avance par saccades, ce qui explique la différence entre les grands massifs romanesques du passé, aux architectures de cathédrales, et les oeuvres discontinues et morcelées d'aujourd'hui.
Dans cette perspective, j'appartiens à une génération intermédiaire. Et je serai curieux de savoir comment les générations suivantes qui sont nées avec l'Internet, le portable, les mails et les ... tweets, exprimeront par la littérature ce monde auquel chacun est connecté en permanence, et où les réseaux sociaux entament la part d'intimité et de secret qui était encore notre bien jusqu'à une époque récente. Le secret qui donnait de la profondeur aux personnes et pouvait être un grand thème romanesque.
Mais je veux rester optimiste concernant l'avenir de la littérature et je suis persuadé que les écrivains du futur assureront la relève comme l'a fait chaque génération depuis Homère.
(Le passage évoqué ci-dessus se trouve vers la 30ème minute de la vidéo).
Modiano a aussi reconnu n'avoir pas voulu écrire une oeuvre. Il s'agit en fait "d'une fuite en avant", avec "les mêmes fragments mélodiques d'un livre à l'autre". Exprimant "le regret de n'avoir pas été un pur musicien", il évoque "les motifs d'une tapisserie qu'on aurait tapissé dans un demi sommeil" où "la lumière voilée du Paris de l'occupation a baigné (mes) livres".
(...) "C'est sans doute la vocation du romancier devant cette grande page blanche de l'oubli de faire resurgir quelques mots à moitié effacés comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l'océan", a-t-il conclu.
Avant son discours, il avait donné une conférence de presse Patrick Modiano était revenu sur sa manière d'écrire.
Il y a évoqué une "rêverie" qui précède l'écriture et affirmé que "se mettre au travail est toujours un peu désagréable parce que c'est comme si vous plongiez dans l'eau froide". "Il faut matérialiser cette espèce de rêverie, qui est très agréable, que vous faites quelques fois pendant des jours et des jours avant de commencer un roman."