Par Jérôme Derozard, consultant pour France TV Editions Numériques, et entrepreneur
Le festival du film indépendant de Sundance, qui vient de s'achever, a mis en exergue les dernières technos de réalité virtuelle qui, via l'immersion, devient un nouvel outil important pour l'info, le sport, le documentaire et le direct, en mariant des technos d'horizons divers.
C'est via l’exposition « New Frontier » que Sundance avait inauguré le genre dès 2012, avec le documentaire 3D Hunger in Los Angeles de Nonny de la Peña assistée du fondateur d’Oculus VR, Palmer Luckey, à l’époque simple stagiaire! Cette année, New Frontier a donc proposé de multiples nouvelles « œuvres de réalité virtuelle », à commencer par Birdly, une simulation ludique permettant au spectateur de « voler » au-dessus d’un San Francisco recrée en 3D.
Le documentaire immersif pour faciliter l’empathie
Mais l’exposition proposait également de multiples expériences narratives plus proches du format documentaire. Beaucoup de participants ont été marqués par le documentaire de Chris Milk Clouds Over Sidra, décrivant le quotidien d’une fillette de 12 ans dans un camp de réfugiés syriens en Jordanie.
Ce documentaire filmé à 360°, également présenté à Davos et parrainé par les Nations Unies, démontre l’intérêt du format dans le domaine de l’humanitaire : immerger le spectateur dans une autre réalité et faciliter son empathie avec les populations filmées.
Chris Milk présentait également le documentaire VR Millions March en partenariat avec Spike Jonze et Vice News. Il permet de revivre une manifestation contre les brutalités policières qui s’est déroulée le 13 Décembre dernier à New-York, en filmant les manifestants à 360° au cœur de l’évènement et est présenté comme le premier reportage en réalité virtuelle présenté à Sundance.
C’est le premier d’une série de projets journalistiques qui seront produits par la société VRSE de Chris Milk, en partenariat avec Vice News, et distribués via une application dédiée « Vice News VR ».
Un docu-fiction était également présentée à Sundance : Perspective : Chapter I : The Party par Rose Troche et Morris May, relatant une agression sexuelle au cours d’une fête étudiante. Le spectateur est ici immergé dans l’évènement et le vit depuis deux points de vue opposés: celui de l’un des agresseurs et celui de la victime.
Nonny de la Peña revenait quant à elle cette année avec sa dernière œuvre immersive Project Syria utilisant le même format que Hunger in Los Angeles. Ici l’évènement n’est pas filmé mais recrée en 3D, permettant une plus grande interactivité mais en réduisant le réalisme de la scène, sans réduire son impact émotionnel toutefois. Les personnages rencontrés et lieux explorés ont été créés à partir de photos de lieux et personnes réelles pour plus d’authenticité.
Le format 3D est également utilisé par le documentaire historique Assent de l’artiste Oscar Raby. Ayant pour sujet la « caravane de la mort » lors du coup d’état au Chili en 1973, il met le spectateur dans la peau du père de l’artiste, militaire à l’époque.
Les possibilités sont nombreuses pour les réalisateurs de documentaires pour « immerger » le spectateur dans un évènement ou un lieu, contemporain ou historique : depuis la vidéo filmée à 360°, permettant une interactivité limitée mais un niveau de réalisme maximal, à la modélisation en 3D et explorable à l’infini.
Le casque de réalité virtuelle transporte le spectateur dans le temps ou l’espace et devient une « machine à empathie » permettant à l’audience de développer un lien beaucoup plus fort avec le sujet du documentaire. Compte tenu des réactions des premiers spectateurs cette « machine » sera à manier toutefois avec précaution, le public n’étant pas forcément préparé à une telle implication émotionnelle pour des sujets déjà très durs.
Le divertissement, du film à 360° à l’animation explorable
D’autres expériences proposées à Sundance étaient heureusement plus légères. Comme le court métrage « Wild » basé sur le film du même nom, mettant en scène Reese Witherspoon et Laura Dern dans une scène du long métrage explorable à 360°. Conçu comme un outil de promotion du film, le court métrage démontre l’intérêt – y compris financier – des grands studios pour ce nouveau média.
Le film Kaiju Fury, fruit d’une collaboration entre New Deal Studios, Jaunt VR (qui développe des équipements et logiciels de production VR) et l’école Stan Winston, met en scène des cousins de Godzilla en train de s’affronter au milieu d’un paysage urbain, en utilisant uniquement des prises de vue sans animations.
De son côté le film d’animation Lost met en scène une main géante au sein de la forêt, à la recherche du reste de son corps robotique. Il s’agit de la première réalisation des Oculus Story Studios, des anciens collaborateurs de Pixar recrutés par la filiale de Facebook pour produire des contenus pour lunettes VR ( 4 autres films sont prévus cette année) mais aussi pour développer un « écosystème » qui facilitera le travail des futurs réalisateurs de films VR.
De nombreux ressorts dramatiques et outils techniques à développer pour assurer le succès de ce nouveau support.
C’est encore plus vrai pour les films d’animations "explorables" en 3D, qui se situent à la frontière du jeu vidéo en permettant au spectateur de se déplacer au sein du film. La liberté accordée aux spectateurs étant pratiquement totale, ceux-ci peuvent se « perdre » dans le décor et rater l’action principale. De nombreuses techniques sont mises au point, reposant notamment sur la division de la scène en plusieurs zones ; si le spectateur s’écarte de la zone principale l’action est mise en pause le temps jusqu’à ce que le spectateur est terminé son exploration. Des logiciels d’édition vidéos spécifiques apparaissent pour faciliter le travail des V-Réalisateurs, comme celui proposé par Visionary VR.
Trop tôt pour parler d’un nouveau média de masse
Les documentaires et films présentés à Sundance étaient tous des courts-métrages ; les premiers équipements grand public compatibles commencent tout juste à être commercialisés ; l’appétence du public pour la technologie et le média est encore inconnue.
Pourtant la réalité virtuelle constitue un formidable terrain d’expérimentation pour les médias, également dans le domaine du sport, de la transmission en direct ou bien sûr du divertissement adulte. Elle leur demandera également d’être capables de marier des talents et compétences provenant de différents horizons, jeu vidéo, cinéma, logiciel, télévision… Nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet dans un prochain article.
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