Par Alicia Tang et Diane Touré, Direction de la Prospective, France Télévisions
Un mois à peine après son lancement, Meerkat est déjà valorisée à 40 millions de dollars et compterait plus de 200.000 utilisateurs dans le monde. Y compris Madonna !
Créée par l’entreprise israélienne “Life on Air”, elle doit son succès à son énorme simplicité d'usage: après avoir autorisé l'accès de Meerkat à son compte Twitter, l'utilisateur peut nommer sa captation, puis la diffuser en temps réel ou la programmer. Un lien est automatiquement posté sur le compte Twitter de celui qui filme, permettant ainsi à tous ses followers de partager son expérience. Live !
1Meerkat : le broadcast, en mieux ?
Certes, le live-stream existe depuis un moment (Livestream, Ustream, JustinTV ....), mais ce qui change avec Meerkat c'est la simplicité d'expérience :
- mobile first,
- en temps réel,
- un direct illustré d'interactions sociales, elles-aussi en direct, et sur la même interface.
Tout en un !
Et depuis quelques jours, le "replay" est même disponible sur YouTube. Il suffit d’ajouter le hashtag “#katch” à la description de sa captation vidéo, et 5 minutes plus tard, un commentaire sous ce post et une notification personnelle vous indiquent, ainsi qu’à l’ensemble de la Twittosphère, le lien Youtube de votre stream, supposé éphémère.
Sur Youtube, sobrement intitulée “@nomdutilisateur - REPLAY” sur le compte de la chaîne de Katch Kats, cette vidéo n'est pas "publique" et donc visible uniquement si vous y accédez via l’URL.
Cette pratique ne manquera pas de faire sursauter les défenseurs des données personnelles. S'il est possible de supprimer le commentaire de Katch de son fil d’actualité Twitter pour ne pas diffuser le lien Youtube de ses streams personnels, quid de ce qu'il advient de la captation ?
Car plus de lien URL, plus d'accès à la vidéo, mais celle-ci reste très certainement stockée quelque part sur YouTube. Elle ne vous appartient tout simplement plus, et demander de la retirer semble difficile si le contenu ne répond pas à un des critères de signalement de Youtube (contenu à caractère sexuel, violent ou abject, offensant ou haineux…).
Meerkat ou d'autres petits malins du web ne manqueront pas de se saisir de la formidable opportunité de la captation multicam. Le public devient l'équipe de production ; les meilleurs angles et vidéos n’auront alors plus qu’à être agrégés sur des plates-formes en ligne ou application qui proposeront une expérience au plus près du spectateur. Les droits Tv sportifs n'ont plus qu'à bien se tenir ! Quant aux concerts live....
2Un nouvel outil crucial de l'UGC
Les journalistes eux-mêmes semblent avoir très vite adopté le petit nouveau.
“Comme Facebook en 2008 et Twitter en 2012, [...] Meerkat va changer l'élection de 2016, pour les journalistes comme pour les électeurs”, affirme ainsi Dan Pfeiffer, l'ancien conseiller d'Obama.
Meerkat devient le nouveau diffuseur d’actualité “chaude”, le support privilégié du direct, et cela sans passer par un quelconque intermédiaire. L'application donne la possibilité à n’importe quel twittos de partager ces “news” au plus grand nombre et remet au goût du jour la notion de reporter-citoyen.
Meerkat pourrait donc s'avérer aussi être une belle opportunité pour les journalistes qui, sur le terrain, commenceraient à streamer directement depuis leur smartphone en un simple clic. Ceux de la BBC ont déjà commencé à l'utiliser.
L'application ne permet, semble-t-il, pas encore le multi stream via un seul compte. Dans le cas d'événements simultanés à couvrir, les journalistes devront donc capter les images en leur nom et non sous la marque média.
3Un écosystème déjà foisonnant
Ce qui est très frappant avec le phénomène Meerkat, c'est l'engouement de la communauté en ligne qui invente tous les jours de nouveaux services autour de l'application de streaming pour en améliorer l'expérience. Une page sur Product Hunt est dédiée à l'écosystème Meerkat.
En plus de KatchKats, dont nous avons déjà parlé, on vous recommande Meerkat Streams qui répertorie et agrège les flux diffusés sur Meerkat (live, à venir, récent et classement des meilleurs streamers), WatchMeerkat qui permet de regarder de manière anonyme (sans passer par Twitter) les streams les plus populaires et MeerkatRoulette qui, comme son nom l'indique, est une version dérivée de Chatroulette, pour le meilleur ou pour le pire donc.
4 Meerkat, plus fragile qu'il n'en a l'air ?
Les points forts de Meerkat sont le caractère instantané de la diffusion, l’aspect convivial et la simplicité d’inscription et d’utilisation. En se greffant au réseau social Twitter, le petit suricate a réussi à s’infiltrer dans le monde des grands et ce, même si Twitter lui a mis quelques bâtons dans les roues en lui coupant l'accès à ses API, pour protéger sa nouvelle acquisition : Periscope, dont la promesse est "d'explorer le monde à travers les yeux de quelqu'un d'autre". L'application vient tout juste de sortir sur l'Apple Store, et aurait coûté entre 50 et 100 millions de dollars à Twitter.
Certains diront que cette dépendance à Twitter est le point faible de Meerkat : faut-il envisager que Twitter ne dégrade l'expérience Meerkat après la sortie de Periscope ? Rappelons que la guerre entre réseaux sociaux est particulièrement virulente : Twitter ne fait rien pour valoriser les partages de photo Instagram, et Facebook n'est pas un grand fan de Vine !
Si Meerkat se tournait vers Facebook (plutôt que Twitter), l'expérience du direct aurait de grandes chances d'être fortement dégradée : rappelons que sur Facebook, en moyenne seul 1 utilisateur sur 8 parvient à voir le post d’un ami dans les 24 heures.
Un second point faible de Meerkat concerne le respect du droit à l'image et la protection de la vie privée. Comme pour une photographie faite dans l'espace publique, d'un point de vue de la loi, cette pratique n'est pas illégale, alors que l'échelle de diffusion est bien mondiale avec Twitter et Youtube ! Les personnes filmées n’ont donc plus aucun contrôle sur leur image et ne disposent plus de leurs droits.
Klieman, analyste juridique de CBS souligne : "Si quelqu'un veut vous filmer en direct en train de vous gratter les oreilles ou de renifler, et bien c'est tant pis pour vous. Ce type d'application doit nous alarmer parce que même dans un lieu public, ou personne déjà n'est supposé vous observer, même si c'était le cas, il ne faut pas que l’on puisse vous enregistrer et encore moins vous diffuser.”
Les termes “lieu public” et “lieu privé” rendent donc les conditions d’utilisation et de diffusion obscures.
Notons que s’il n’est pas illégal de diffuser ce genre de contenu, essayer de le monétiser l’est. Sachez que si un site internet utilise une vidéo provenant de Meerkat où vous figurez, vous pouvez demander au site de la retirer.
Enfin, même si les financements arrivent de toutes parts, la question du business model de Meerkat reste entière. Un accord avec Twitter, pour repérer les vidéos live les plus populaires et les faire sponsoriser par des marques pourrait être une première hypothèse de monétisation. La création d’un système d’abonnement pourrait également être envisagée.