Journalisme sur mobile : simple outil ou techno de rupture ?

Par Jean-Marc Dubois, Directeur du développement réseau France 3, Président de Circom Regional

Techno de rupture bien sûr ! Déjà expérimentée et prometteuse ! Le Mojocon, la 1ère conférence internationale entièrement consacrée au Mojo, le journalisme sur mobile, vient d’en faire une belle démonstration à Dublin !

Organisée sous l'égide de la RTE, la télévision publique irlandaise, une quarantaine d’intervenants ont planché il y a quelques jours devant 400 délégués venus des 5 continents pour échanger sur les nouvelles pratiques liées au développement des smart phones en matière d’écriture, de journalisme, de cinéma et de fiction.

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Dès l'ouverture, un postulat a bien été tenté par tous : le mobile, n'est qu'un outil. Un simple outil. Et chacun de répéter comme une sorte de mantra que le principal, ce qui compte, c’est bien évidemment le contenu, le « story telling ».

Sauf que dès les premières interventions il fallut se rendre à l'évidence, l'outil mobile régnait en maître dans la salle. A tel point que le « futuriste » (c'est ainsi qu'il se définit) Gerd Leonhard, s’est adressé brutalement aux participants : « I say, stop looking at your phone. Don't take a picture, look around you and just enjoy the f... moment. » Sans succès : pas un seul des 400 participants ne lâchera son portable. Ni des mains, ni des yeux.

Car à l'évidence pour tout le monde le mobile, le portable, le smartphone (au choix) est bien plus qu'un simple outil ou un gadget. C'est une vraie technologie de rupture, « disruptive » comme disent les Américains.

Ce qui signifie à la fois perturbante et révolutionnaire.

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Les TV ont donc du souci à se faire

Pour Richard Sambrook, directeur de l'école de journalisme de Cardiff et ex-BBC, « le mobile c'est un univers qui va révolutionner nos pratiques » en matière d’information. « Présent sur toute la chaîne de production, depuis le tournage d'images jusqu'à la diffusion, notamment sur les réseaux sociaux, en passant par l'édition, le mobile est auto-suffisant ». Et si les télévisions traditionnelles sont encore la principale plate-forme d’écoute, « cela va changer et elles ont du souci à se faire ».

Pour Sambrook l'accroissement de la production d'informations sur mobile va obliger les journalistes à changer leurs pratiques. Des sujets plus courts, plus efficaces et pertinents. « Aujourd'hui les images arrivent avant les faits. Où est la plus-value journalistique ? »

Cela va même plus loin pour Michael Rosenblum, l'un des pères du vidéo journalisme : « Avec 3 milliards de mobiles sur terre, il y a potentiellement 3 milliards de journalistes qui produisent des sons, des images, des histoires à tout instant. » Rosenblum pense donc que le rôle des journalistes risque de devenir dans les cinq années qui viennent la simple mise en forme des contenus des autres. « La technologie nous dicte ce que nous devons faire. Agréger la voix de milliards d'utilisateurs de portable ».

Et comme grâce, ou à cause, du développement des algorithmes, des robots commencent à remplacer les journalistes en produisant automatiquement des contenus originaux, l'avenir de la profession de journaliste pourrait s'annoncer sombre, prévient Michael Rosenblum.

Mais justement, pour Gerd Leonhard les journalistes doivent dépasser la technologie et inventer ce qu’il appelle l’« humarithme ». Selon lui, face aux machines et aux algorithmes qui produiront des histoires « banales », les journalistes doivent aller plus loin dans l'écriture et la recherche d'informations. Ils seront alors les seuls à pouvoir offrir de « grandes histoires », des histoires « humaines ».

Les journalistes, nombreux dans la salle, qui se voyaient devenir de simples « agrégateurs de contenus produits par d'autres » purent souffler ! L'heure de leur disparition n'est peut-être pas encore arrivée.

Le Mojo a déjà débuté dans les télés

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Pour Marc Settle, du Collège de journalisme de la BBC, le journalisme mobile progresse. A la BBC 800 journalistes ont été formés. 3.000 portables ont été distribués, et pas seulement à des journalistes, mais moins de 1.000 personnes sont des contributeurs réguliers. A 95% pour des sonores, 5% pour des vidéos et 5% pour des photos. Ce qui est plutôt un bon début, facilité selon Settle par la création d'une application maison de la BBC, la PNG (portable news gathering). Une appli « sûre, rapide et fiable », qui permet aux utilisateurs d’avoir un accès direct.

Pour la RTE, la télévision publique irlandaise, le journalisme sur mobile est au cœur d'une réelle politique de l'entreprise. Il ne s'agit pas d'utiliser le mobile seulement comme un complément des tournages classiques, mais de produire des sujets entièrement tournés avec un mobile.

Avec un objectif pour Philip Bromwell, en charge de former les journalistes : que personne ne puisse voir la différence avec un tournage caméra.

Aujourd'hui 50 sujets ont été ainsi réalisés entièrement avec des mobiles, des iPhones, et diffusés à l'antenne comme ce reportage sur la fabrication des cornemuses. Sans que personne n'y trouve à redire.

L'ambition de la RTE est ainsi d'imposer un standard de qualité et de prouver que le mobile est un outil réellement adapté pour des professionnels. C'est ce qu'est venue expliquer, et montrer Patricia O'Callaghan journaliste à la RTE au travers de quelques reportages diffusés aux participants. Un exemple plutôt probant.

Pour terrains difficiles

De même Shadi Rahimi une journaliste qui a travaillé pour la chaîne Al Jazeera, propose une séquence de ses différents tournages réalisés avec un mobile dans des conditions difficiles, voire dangereuses, comme les événements au Caire, lors du printemps arabe ou les manifestions à Ferguson. A chaque fois, seul le mobile lui a permis d’aller au cœur de l’action, de l’événement. Parce qu’il est petit, qu’il est léger et peut-être aussi qu’il y en a tellement aujourd’hui que le journaliste ne se distingue pas de l’utilisateur lambda… Un avantage quand la caméra, elle, révèle le journaliste.

Une journaliste de la chaîne Sky News Harriet Hadfield, a aussi montré comment un kit de diffusion en direct avec un simple portable lui avait permis d'être la première à diffuser des images en direct lors d'une prise d'otage sur l'aéroport de Genève. Matériel simple à transporter, facile à utiliser, et assez fiable pour prendre le risque de diffuser en direct.

« The best camera is the camera you have with you »

Et même si, aujourd'hui, les écoles de journalisme semblent assez frileuses à inclure cette nouvelle technique dans leur cursus, la pratique du journalisme sur mobile va obligatoirement se développer. Car, comme l'a expliqué Neill Barham, fondateur et Pdg de FilmicPro à ceux qui n’auraient pas compris: « the best camera is the camera you have with you » (sic).

Et c'est bien la force inégalable du mobile. Tout le monde l'a en permanence avec soi. Comme un prolongement de soi, dans un rapport magnétique, voire affectif.

D’autant que son usage en devient chaque jour plus simple du fait de l'augmentation du nombre d'applications proposées sur le marché. Qu'il s'agisse d'applications pour le tournage, le montage, la diffusion, la production (petit échantillon proposé par Glen Mulcahy). Ou encore pour créer des effets, pour échanger, pour inventer. Preuve en fut donnée par la diffusion de la bande annonce d'un long-métrage entièrement réalisé sur iPhone 5, "Uneasy lies the mind".

Sans parler des innombrables nouvelles possibilités de diffusion via les réseaux sociaux, comme la dernière application de live streaming de Twitter, Periscope, qui semblait fort impressionner les participants du Mojocon, lui promettant un bel avenir.

Notons qu’au Mojocon quasiment tout le monde était Apple ! Dans le monde du journalisme sur mobile, l’iPhone règne en maître. Un constat fait par tous les participants, sans qu'ils s'en réjouissent pour autant. C'est bien l'un des seuls domaines où la concurrence semble encore absente.

Cette 1ère édition du Mojocon fut donc réussie. Même si le journalisme sur mobile n’est pas encore abouti, le mouvement semble lancé. Rendez-vous dans un an, toujours à Dublin. D'ici là, l’organisateur de la conférence, Glen Mulcahy, responsable de l'innovation de la RTE, infatigable promoteur de l'utilisation du mobile par les journalistes, pourra peaufiner sa pratique : il est en charge de la formation Mojo pour la Circom, l’association qui regroupe l'ensemble des télévisions régionales publiques en Europe, et dont France Télévisions fait partie.