Est-ce la fin de l’âge d’or des réseaux sociaux planétaires et anonymes ?

Par Clara Schmelck, journaliste médias à Intégrales Mag, billet invité

Aux Etats-Unis, les réseaux sociaux se voient en plate-formes locales. La tendance est au social network de proximité. Une réaction paradoxale à l’exploitation des données personnelles par les GAFA.

A la faveur du développement des systèmes de géolocalisation et des initiatives de cartographie collaboratives, les plates-formes sociales locales sont en train de se multiplier. A l’instar de Peuplades, à Paris, elles proposent des bons plans, des bonnes adresses et permettent de créer et d'entretenir des liens entre des gens qui habitent à côté sans se connaître pour autant.

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Aux Etats-Unis, ce nouveau genre de réseaux sociaux est à la pointe de la "Hype", au point où certains hipsters de Brooklyn se vantent d’avoir déserté Facebook pour une plate-forme « terroir », selon l’expression consacrée.

Surfant sur cette communication de l’authenticité appliquée au monde virtuel de l’internet, une start-up basée à Portland, dans l’Oregon, va lancer une application pour smartphones et tablettes qui établit de manière aléatoire des conversations vidéo en direct avec des personnes répertoriées sur des listes d’amis. Baptisée Village, la plate-forme sociale devrait être lancée aux Etats-Unis en version iOS et Android ce mois-ci.

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Particularité de ce réseau social ? C’est un algorithme qui décide, en fonction du degré de proximité avec vos différents amis et de vos habitudes de vie, avec qui vous allez conduire des conversations impromptues pendant trois minutes au maximum.

Solidarités horizontales, civilité, care  

Aux Etats-Unis, Village apparait comme une version en ligne du neighborhood house, ces « maisons de voisinage » qui créent une intimité collective entre habitants d’un même quartier, et où sont organisés des événements à petite échelle: fêtes, aides scolaires, jobs datings... Village pourrait d’ailleurs créer des groupes clos, rassemblant par exemple les membres d’un club de sport ou d’une paroisse.

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Il est significatif que la civilité, qui définit les rapports sociaux dans la vie réelle, est entrain de devenir une préoccupation sur les réseaux en ligne. Village vous permet de dialoguer avec des parents, des amis ou des vagues copains, sans être obligé de prendre l’initiative de les appeler – donc sans prendre le risque d’importuner. D’ailleurs, l’application prévoit aussi de d’entamer petit à petit une relation suivie avec une nouvelle connaissance, pour ne pas brusquer les choses. Si votre liste compte plus de dix noms, le système ne vous mettra pas en contact avec la même personne plus d’une fois par semaine.

Aussi, ce type d’application de proximité revendique une sociabilité plus solidaire que Facebook ou Twitter, dans la mesure où ce sont des plate-formes qui misent sur une plus grande réciprocité entre individus. L’idée n’est pas de gagner toujours plus en visibilité, mais de ne pas se perdre de vue, pour s’apporter au besoin de l’aide mutuelle. Reste à savoir si ce concept très américain du care, cette sorte de solidarité horizontale si typique de la vie en collectivité outre-atlantique, traversera l’Atlantique, et si Village, commercialisé sur les Apple Store européens en septembre, rencontrera un succès.

Anonyme, le réseau social est un non sens

Signe que le vieil adage « Sur internet, personne ne sait que vous êtes un chien », est plus que jamais entrain de disparaître.

Les gens étant de plus en plus sensibilisés à l’exploitation de leurs données personnelles par les GAFA, on aurait pu s’attendre au succès des d’applications qui garantissent un anonymat complet. Et pourtant, une application aussi récente que Secret, malgré ses 15 millions d’utilisateurs revendiqués, a rapidement fermé. Anonymiser les utilisateurs au point de les désincarner générait des échanges verbaux automatisés et sporadiques. Sur ces plate-formes, impossible de tisser des dialogues animés et suivis, car raconter et argumenter implique nécessairement de se dévoiler. Le réseau social anonyme est un non sens.

Pis, les sites anonymes, où chacun ne se sent plus vraiment responsable de soi-même (puisqu’il ne parle pas en son nom propre), s’avèrent propices au harcèlement en ligne. Whisper, en dépit de ses 10 millions d’utilisateurs revendiqués à travers le monde, est confronté à de tels cas. After School, qui vise les adolescents, a dû restreindre ses conditions d’utilisation pour le même motif.

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Paradoxalement, les réseaux sociaux locaux pourraient même concilier partage de la vie privée et maitrise des données personnelles. Tout simplement, un suivi à la trace n’est pas vraiment nécessaire aux annonceurs - comme cela le serait pour les utilisateurs de Google ou de Facebook. Dans une communauté très restreinte et définie, les investissements publicitaires se porteront sur des services sur lesquels le ciblage est aisé, cela même sans que les utilisateurs ne s’en aperçoivent.

Dans un village, tout le monde se connait…

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par @ClaraSchmelck