Par Alicia Tang, Direction de la Prospective, France Télévisions
Le développement d’Internet et la numérisation ont engendré une révolution au sein des industries culturelles, en permettant à l’ensemble des internautes de participer à la création et au partage de biens et de services, en créant une rencontre entre producteurs et consommateurs, et en développant des nouveaux modes de création de valeur. Cette nouvelle approche des pratiques culturelles, fondée en grande partie sur le partage et l’essor des pratiques amateurs, fait toutefois disparaître les frontières, permet l’émergence de nouveaux acteurs et met fin de la domination économiques de vieux acteurs, faisant ainsi croire que cette numérisation tue les industries culturelles. Un rapport intitulé « The digital future of creative Europe », conduit par PwC Strategy& et réalisé en partenariat avec Google vient contredire ces suppositions.
Le numérique fait même du bien à la culture !
Non, le numérique ne tue pas les industries créatives et culturelles en Europe
L'intégralité de la croissance des industries créatives et culturelles est imputable au numérique. Les revenus du secteur ont augmenté de plus de 22 milliards d'euros entre 2003 et 2013. Alors que les revenus imputables à la composante non-numérique enregistrent une baisse de plus de 14 milliards d'euros sur cette période (à 142,70 milliards d'euros), la perte est compensée par une augmentation de 36,7 milliards d'euros pour la composante numérique (qui atteint 59,3 milliards d'euros).
Olaf Acker, partenaire chez Strategy& et co-auteur du rapport souligne ainsi que « selon les segments, on observe une stagnation, voire une diminution, de la composante non-numérique de l'activité malgré une forte croissance des revenus. Nous sommes convaincus que le numérique va demeurer crucial pour la croissance des industries de la création, ne serait-ce que parce que le consommateur en a décidé ainsi ».
Avec une croissance des revenus de 12 % par an, le secteur des jeux numériques dépasse aujourd'hui tous les autres segments d'activité. Le secteur du film et de la télévision enregistre une croissance stable de 3 %, tandis que le livre affiche un taux de 1 %, soit la moyenne constatée pour l'ensemble du secteur. Les périodiques tout comme l'industrie musicale enregistrent quant à eux une baisse moyenne de 2 %. Cette tendance semble devoir se poursuivre pour les périodiques, tandis que l'industrie musicale retrouve lentement le chemin de la croissance, avec des revenus désormais légèrement supérieurs au point le plus bas enregistré en 2010.
L’équipement de masse doublé d’un usage de plus en plus fort d’internet a permis de révolutionner les industries créatives, même si les plus gros changements sont à venir.
Un équipement européen croissant qui favorise l’émergence de pratiques numériques culturelles
Un des points clés de cette transformation numérique, c’est la prolifération de nouveaux outils et l’augmentation du temps passé en ligne, qui a plus que triplé depuis 2003.
A partir de 2010, de plus en plus d’internautes européens se rendent sur internet via d’autres plateformes que leur ordinateur, notamment via des smartphones et tablettes. Selon un rapport de IAB Europe publié en 2013, 12% y accèdent via leur tablette, avec un taux record pour la Grande-Bretagne (25%) et l’Italie (19%). Les propriétaires de smartphone ont augmenté de 42% ces trois dernières années, conduisant à une forte croissance du temps passé sur internet via des devices mobiles.
Ce phénomène n’est pas prêt de s’arrêter et l’Agenda Numérique européen entend notamment promouvoir cette transformation. Un de ses objectifs clés est la couverture à 100% de la population à hauteur de 30 Mbps+ d’ici à 2020. Enfin, selon une étude d’Ericsson, en 2020, 95% des européens auront un abonnement smartphone.
Plus de contenus, plus de choix pour le consommateur
Désormais, les consommateurs s’attendent à trouver des contenus médiatiques et de divertissement sur internet, ou encore à recevoir leurs produits en ligne en format numérique, comme un téléchargement de film, un logiciel, un enregistrement audio ou un jeu.
Grâce à l’accès aux contenus plus large, plus diversifié et plus adapté, le consommateur est incontestablement un bénéficiaire notoire de cette numérisation des industries créatives. Dans l’étude réalisée, il apparaît donc de manière très clair que les internautes consomment plus de contenus créatifs qu’avant et qu’ils jugent les contenus auxquels ils ont accès bien plus pertinents : augmentation du nombre de chaînes de télévision, accès à une immense catalogue de musique en ligne à travers les plateformes de streaming ou de téléchargement, ouverture à des fournisseurs d’information à travers le monde, recommandations de la part d’amis ou d’influenceurs, et encore bien d’autres.
La numérisation, qui réduit le coût de commercialisation des produits, permet enfin de découvrir et de diffuser un très grand nombre de produits. Aux Etats-Unis, entre 2000 et 2010, le flux annuel de circulation de musique a triplé. Ce nouvel environnement offre au consommateur un choix plus important, avec un grand nombre de canaux de diffusion, favorisant l’émergence de nouvelles pratiques culturelles comme la critique en ligne. La désintermédiation numérique permet d’expliquer l’augmentation de la qualité des biens qui circulent : plus il y a de sorties, plus il y a des chances de découvrir une bonne musique. Cela s’applique aussi bien dans le secteur musical que dans celui du livre par exemple.
Le « tout gratuit », un frein économique ?
De nombreuses idées reçues sur l’accès, le partage et la consommation de produits culturels en ligne tendent à indiquer que le « tout gratuit » conduirait à un ralentissement de la croissance, à une perte d’emplois dans le secteur créatif européen et à un appauvrissement de la qualité des biens.
La musique notamment, est souvent citée comme la première industrie créative victime de cette révolution. Cependant, l’étude menée par PwC démontre que la croissance du secteur créatif est essentiellement stimulée par les achats directs des consommateurs, qui ont augmenté de 22% entre 2003 et 2013, soulignant ainsi le fait que le grand public reste clairement disposé à payer pour accéder à des contenus créatifs. En effet, entre 2003 et 2013, les revenus de la publicité ont chuté de 1,5 % par an en moyenne et c’est bien les revenus issus du payants tels que les abonnements, les frais de streaming et les achats de contenus numériques qui ont compensés cette perte.
Globalement, les consommateurs dépensent plus pour des produits et services appartenant au secteur culturels qu’avant, et cette entrée d’argent va continuer à constituer la meilleure opportunité de croissance dans le secteur. Par exemple, les recettes payantes par heure d’utilisation ont augmenté de 25% pour les films et la télévision et de plus de 160% pour les produits et services liés à Internet comme les éditions numériques de journaux ou encore les jeux en ligne.
De plus, Olaf Acker de chez Partner chez Strategy& et coauteur du rapport, précise qu’« au-delà de la croissance alimentée par les achats directs, nous constatons également une évolution positive en matière d’emploi dans un secteur qui est globalement resté stable au cours des 10 dernières années avec 1,2 million de postes, que cela soit en dépit de ou, plus vraisemblablement, grâce à la numérisation ».
Il convient néanmoins de nuancer cette tendance, car les jeux vidéo, le cinéma et la télévision ont été créateurs d'emplois, tandis que tous les autres secteurs en ont détruits.
Notons enfin que les bénéfices du numérique ne sont pas restreints à un secteur unique. Une étude réalisée en 2015 par le Forum économique mondial, avec le concours du cabinet Strategy& a en effet démontré que le développement de la numérisation bénéficie aux consommateurs et à l'économie en général. Ce rapport, disposant de la dernière version de l'indice « Network Readiness » qui évalue les facteurs, les politiques et les institutions qui permettent aux pays de profiter des technologies de l'information et de la communication en vue d'améliorer la compétitivité économique et le bien-être de ses concitoyens, classe ainsi la France en 26e position.