Quels impacts des technologies de communication sur l'Homme qui vient ?

Par Alicia Tang, France Télévisions, Direction de la prospective

Notre société et notre monde sont en train de se transformer de manière irréversible du fait de la révolution numérique qui accélère notre capacité à communiquer et à échanger, affranchit les frontières spatiales et temporelles, et finalement fait évoluer la définition même de l’être humain. Alors que les altérations technologiques étaient autrefois réservées aux plateformes numériques, c’est désormais la matière et le corps humain qui deviennent sujets à expérimentations, modifications, notamment à travers l’assimilation de plus en plus poussée des objets connectés et leur capacité à créer de nouveaux langages.

Pierre Calmard, CEO d’iProspect France prédit dans son essai "L’Homme à venir, comment le numérique va nous transformer" que ces transformations irréversibles vont faire émerger un Homme nouveau, un mutant biotechnologique. Il y a donc urgence : arriverons nous à contrôler cette révolution ?

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Au commencement, l’évolution technologique appliquée à la communication

Nous connaissons actuellement une accélération et même une hyper accélération de notre capacité à communiquer et à échanger. Même si ces transformations ne sont pas visibles à l’échelle individuelle car il n’y a pas de rupture, mais bien une adaptation progressive et profonde, à l’échelle de la vie sur terre et de son évolution, les transformations de ces dernières années sont pharaoniques.

Toujours plus de vitesse, de contenus, de fluidité, d’interface intuitive et immédiate, de flexibilité, « le rythme actuel des nouveautés engendrées par les technologies changent la donne » et la technologie s’efface jusqu’à devenir invisible. Les frontières spatiales et temporelles sont affranchies et la notion de matière devient modulable, « la technologie numérique décuple le pouvoir ».

Pour Pierre Calmard, la dichotomie déjà dépassée entre réel et virtuel va disparaître, et les différences entre « traditionnel » et « numérique » vont se compléter, se juxtaposer et s’enrichir.

« L'humanité va assister à la fin du biologique, pour entrer dans l’ère biotechnologique [qui] pourra désormais remettre de la rapidité dans le processus [de l’évolution de l’homme] ». Cette évolution est rendue possible par le développement, l’assimilation et l’incorporation de plus en plus poussée de l’internet des objets et de l’intelligence artificielle, au niveau même du corps humain. L’intelligence artificielle pourrait dépasser l’intelligence humaine vers 2035 et la première fusion se fera vers 2050, ce qui permettra de démultiplier les capacités du cerveau. Le cloud permettra de créer des excroissances, accessibles partout en permanence, « le stockage de la données permettra à l’esprit de se concentrer sur autre chose […] L’être humain est en train de devenir multitâche ». Le numérique sera fondu dans la matière et l’on oubliera son existence, à l’instar du sucre dans un café. L’homme va devenir hybride, tout comme son environnement.

« Avec la biotechnologie, rien n’interdit la création de genres nouveaux, qui pourraient diversifier plus encore la palette des représentants de l’espèce, […] l’Homme à venir deviendrait ainsi plurisexuel ».

L’authentique, la nouvelle valeur refuge

L’Homme va donc développer de nombreuses craintes par rapport à l’avenir et cherchera un retour à l’authentique, « comme si les incertitudes concernant l’avenir à court terme provoquaient une appétence nouvelle pour le passé ».

A l’heure où la matière est recalculée, créée par l’Homme qui s’invente en démiurge de ses propres améliorations physiques et technologiques, cette « schizophrénie » deviendra un véritable enjeu de société. Pour les marques, il faudra innover sans sacrifier l’authenticité. Sinon, comme nous le voyons de plus en plus, les internautes puis les consommateurs sanctionneront. Les gouvernements devront faire face au même défi : tout est décortiqué, contrôlé, et le devoir de transparence va s’accentuer, afin de rétablir une certaine confiance avec les populations.

La prise de pouvoir des plateformes de communication

Avec l’arrivée des nouvelles interfaces et plateformes numériques, les médias traditionnels -- nous le savons-- doivent s'adapter car les premières « leur confisquent l’intermédiation entre eux et leurs consommateurs. Ce pouvoir immense permet à ces interfaces de capter une énorme partie de l’économie publicitaire à l’échelle mondiale ».

Cette prise de pouvoir s’effectue sur quatre aspects :

  • économique : Google ou Apple ont déjà gagné la bataille économique car ils ont réalisé en 2014 entre 14 et 16 milliards de dollars de bénéfice. Ainsi, le plus grand groupe de média au monde est 3 fois plus petit que n’importe laquelle de ces plateformes. Le premier groupe de média français est quant à lui 100 fois plus petit en termes de valorisation. Les géants du net ont donc aujourd’hui la possibilité de tout acheter, de la nanotechnologie à la recherche pour le traitement du cancer.
  • appropriation du légal : les policies de Facebook ou encore Google sont en train de prendre le pas sur les législations nationales. Les Etats ont de plus en plus de mal à faire respecter leurs propres lois étant donné que les plateformes réussissent à faire appliquer leurs règles. Le pouvoir est donc en train de changer de main.
  • appropriation du cerveau : celui-ci mute dans une logique d’intelligence artificielle
  • appropriation du corps dans son entièreté pour arriver à l’immortalité, comme le prouve l'embauche de Ray Kurzweil par Google par exemple.

Au delà des plateformes, ce sont les entreprises de software (Microsoft et tous ses descendants), les fabricants de terminaux, et les ingénieurs et les codeurs, ceux qui maîtrisent le numérique, inventent les interfaces numériques et les rendent ergonomiques, qui ont désormais le pouvoir.

Le futur de la communication

« A l’horizon, les plateformes numériques seront beaucoup mieux armées que les médias pour mettre en scène la mythologie des marques. Ici et maintenant, la communication commerciale, loin de disparaître, évolue dans sa forme avec la digitalisation des médias, floutant les frontières entre information et publicité ». Le numérique, « par sa souplesse, sa fluidité, le remodelage permanent des interfaces, les contenus se personnalisent et ont tendance à se fondre dans une joyeuse confusion ».

Face à cette atténuation des frontières, il devient de plus en plus difficile pour un annonceur de sortir de la masse de productions, et des nouvelles techniques se développent afin de toucher sa cible : complexification des « stratégies médias », invention de « plateformes de communication » et d’ « insights consommateurs », professionnalisation et complexification des métiers de conseil en communication, tant sur les idées créatives que sur l’activation des leviers, et enfin développement de nouvelles notions comme le brand content.
Enfin, l’arrivée de l’intelligence artificielle est une étape supplémentaire, « ce sont désormais les algorithmes qui travaillent seuls » et cela crée une dépendance aux plateformes technologiques.»

Quelle place pour les médias ?

Les médias font face à de nombreux défis : la perte de contrôle de leur propre diffusion, la diffusion dépendante d'une présence travaillée sur les plateforme numériques, et la difficulté de maîtriser les contenus.

Les journalistes de leur côté tentent de s'approprier ces nouveaux outils (blogs, réseaux sociaux, site web et mobile), et pose au passage la question de l’émetteur, « le dépositaire de l'autorité éditoriale ». Ce qui permet aujourd'hui à un média d'être légitime, pour Pierre Calmard, c'est sa réputation, sa capacité à fédérer et sa légitimé dans l'opinion, sa mythologie.

Concernant la monétisation, l'audience ne génère plus la même valeur qu'autrefois. Pour l'auteur, il faut donc transformer les « médias » en « marque média », afin d'étendre le territoire d'expression de sa mythologie, devenir un média raconté, qui délivre une parole. Cela passe par la mise en avant de valeurs, la nécessité d'affirmer et démontrer son intégrité, son objectivité ou sa subjectivité, sa compétence et son professionnalisme, et enfin générer de la confiance.

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« Les médias constituent désormais une proie facile pour les faucons du numérique » , qui eux sont à la recherche de contenus. Cependant on ne va pas vers une intégration des médias par les plateformes car deux faiblesses subsistent de leur côté : elles ont une ambition démesurée et essaient chacune d'imposer leur standard. « [Les plateformes] cherchent trop à s'éliminer pour être capable de structurer un monde parfaitement fluide pour l'individu ». Enfin, la neutralité est nécessaire, ce qui est en contradiction avec les médias « par essence subjectifs ». Cela deviendra donc très difficile pour elles d'assumer certains choix.

L’Humanité est condamnée

La révolution numérique de nos systèmes de communication est l’élément déclencheur de toutes les transformations à venir et de l’émergence d’un « être nouveau » selon l’auteur. Cependant, « elle sacrifiera des peuples entiers et laissera derrière elle l’immense majorité des hommes et des femmes de la planète ».

La naissance d’un homme fondamentalement différent restera donc l’apanage d’une minorité ce qui, selon l'étude Handy de la NASA (2014), conduira inexorablement notre civilisation à s’éteindre.

« La rareté des ressources provoquée par la pression exercée sur l’écologie et la stratification économique entre riches et pauvres ont toujours joué un rôle central dans le processus d’effondrement ». Ainsi « à l’horizon, la fin de l’être humain dans sa forme actuelle est programmée, son successeur éventuel sera un homme à venir mutant. Ici et maintenant, la communication est un facteur d’accélération de la fin de notre société. Les actions humaines d’aujourd’hui détermineront même d’un futur pour les descendants de l’espèce ».

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