Par Clara Schmelck, journaliste médias à Socialter, billet invité
Il arrive que le progrès technologique encourage le retour de vieux usages : loin d’envoyer la newsletter au musée des premières heures des médias en ligne, le basculement vers le mobile et la recommandation personnalisée algorithmique sont entrain de remettre au goût du jour le bon vieil e-mail périodique.
« Une newsletter ? Et pourquoi pas une page de nouvelles envoyée par un pigeon voyageur ? ». Voilà ce qu’on entendait encore en 2012 dans les newsrooms d’ Europe et des États-Unis, toutes occupées à concevoir un jeu de nouvelles applis pour leur média.
Il faut dire que la newsletter numérique est un format hérité du « courrier d’information », l’ancêtre du journal papier popularisé au XIXè siècle. Ni print, ni web, ni mobile, elle semblait condamnée à ne plus paraître nulle part. Depuis peu, la newsletter fait pourtant l’objet d’une campagne de revivification dans un nombre croissant de grandes rédactions, en presse écrite comme en radio et télévision.
Alors, comment expliquer ce revirement ? Les newsletters de 2015 sont-elles les mêmes qu’il y a cinq ans ?
Éditorialisation et personnalisation
En 2013, l’extinction de Google Reader redonnait aux titres de presse le pouvoir du « veilleur de l’info ».
Daily Brief de Quartz, Vox Sentences de Vox, First FT du "Financial Times", The Brief de « Time Magazine » ont pris ce nouveau boulevard, ce qui leur permettait d’assoir leur marque, tantôt pour se donner le sérieux d’un grand média, tantôt au contraire pour rajeunir leur image et tenter d’attirer la génération Y.
A la grande différence d’un digest à la Google, ou d’une criarde newsletter commerciale, les newsletters des journaux scénarisent de plus en plus les contenus de curation.
Alors que la newsletter 2.0 ressemblait en tous points à un sommaire augmenté d’un bouton de call-to-action qui visait à augmenter le trafic vers le site, la lettre nouvelle génération renferme, en un espace restreint, la quintessence du média dont elle porte le message. Elle reprend, outre ses thématiques et certains de ses contenus, son ton, sa charte graphique, ses obsessions, même. En un mot, éditorialiser une newsletter revient à donner à respirer le parfum d’un média.
Pour être signée, une newsletter se doit d’être soignée. Dans cette optique, la lettre hebdomadaire de Books, parsemée de surprises, propose des photographies de qualité, des citations mises en exergue et commentées, des inattendus recherchés.
La newsletter se situe en deçà de la logique du clic, car quel que soit le taux de conversion qu’elle génère, elle est un vecteur fiable de fidélisation : « Je ne me préoccupe pas de savoir si elle crée du trafic. », assure Ezra Klein, rédacteur en chef de vox.com, dont l'excellente newsletter quotidienne Vox Sentences s’appuie sur l’outil de personnalisation Sailthru.
La « personnalité » du journal, imprimée dans la newsletter, s’accorde d’ailleurs sans contradiction avec la personnalisation algorithmique : en conduisant régulièrement le lecteur vers des contenus en ligne susceptibles de l’intéresser, tout en lui offrant le luxe d’un supplément d’âme face à la surabondance d’information, la newsletter est le lieu de conciliation par excellence entre une marque média et sa cible.
A la recherche du temps perdu
Le lecteur, en effet, ne peut qu’apprécier qu’on lui ôte cette désagréable expérience de rater des événements, comme c’est le cas sur Twitter ou dans les méandres d’un site web.
En fait, la newsletter résout le paradoxe de Zénon d’Élée, repris par Bergson dans La pensée et le Mouvant : si la pluralité existe, elle doit être à la fois finie et infinie en nombre. Numériquement finie, parce qu'il y a autant de choses qu'il y en a, ni plus ni moins ; numériquement infinie, parce que deux choses sont séparées par une troisième, celle-ci est séparée par une autre, celle-ci est séparée de la première par une quatrième, de la deuxième par une cinquième, et ainsi indéfiniment. Tel est le flux de l’actualité.
Laurent Mauriac, cofondateur et ancien journaliste de Rue89, traduit : « Il y a de plus en plus d’articles sur les sites d’infos, de réseaux sociaux, d’alertes sur les mobiles… Les sollicitations s’accumulent et créent une impression d’overdose. » En réaction, la newsletter revient à une historicité de l’information simplifiée, avec un début et une fin, et qu’on peut lire en entier sans consacrer trop de temps.
Romain Dessal explique avoir crée la newsletter Time to sign off (TTSO), une lettre qui rappelle l’actualité passée et anticipe sur celle à venir, sur la base du concept du fomo (fear of missing out), cette peur d’avoir manqué quelque chose. « Tous les soirs, recevez gratuitement par email : Ce que vous avez raté aujourd’hui ; Ce que vous ne devez pas rater demain ; Quoi faire si vous n’avez pas envie de dormir » persuade TTSO, qui revendique à ce jour plus de 43.000 abonnés à travers le monde. En variant la mise en page avec plusieurs visuels (photos, infographie, logo, icône) , la newsletter permet de garder l’internaute éveillé et l’aide à comprendre en un coup d’œil ce qu’il lui faut retenir.
Bref, la newsletter, dans l’usage de boussole qui semble être devenu le sien aujourd’hui, donne du sens aux contenus édités par les journalistes, c’est à dire une direction, une orientation, une signification aisée à saisir.
Liturgie de l’info
Si la newsletter a su se renouveler, c’est aussi en épousant de manière stratégique le rythme de vie des lecteurs.
A l’heure où une infinité de contenus est accessible sur le net sans interruption, que les applications, d’un doigt, dirigent tous les mouvements du monde vers soi, il est intéressant de voir comment le format de la newsletter scande une véritable liturgie de l’information.
L’hebdomadaire spécialisé Stratégies a choisi l’heure du déjeuner, ce moment hybride entre discussion franchement pro et bavardage entre collègues, pour lancer « Le 13h ». A 19h, quand les conversations basculent clairement du professionnel vers le social, la newsletter peut servir à paraître au courant des événements principaux de la journée lors des dîners en ville. D’où l’offre pléthorique de newsletters qui remplissent cette fonction mondaine. Le vendredi, la newsletter du Monde Magazine, bulle d’oxygène dans un flux anxiogène, autorise ses ouailles à se projeter dans leur week-end.
Enfin, certaines newsletters osent le rythme mensuel, à l’instar de Médiacadémie, une lettre conçue par un collège de journalistes, de formateurs et de consultants et qui propose une veille qui s’assigne pour but d’ identifier outils, pratiques et innovations.
Sur le plan commercial, les newsletters, financées par la publicité, sont pour la plupart gratuites. Or, on le voit, elles requièrent un travail de plus en plus approfondi de la part des journalistes et des maquettistes, notamment. Verra t-on bientôt des versions payantes enrichies (indépendamment des newsletters réservées aux abonnés) propres à constituer un revenu d’appui pour les éditeurs de presse ?
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