Tendances 2016 : face aux vagues de flux, la tentation du repli sur soi (Ipsos)

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Direction de la Prospective

Après une période de « blurring » en 2014, caractérisée par l’effondrement des cadres et le brouillage des repères à l’échelle mondiale, 2015 fut marquée par l’entrée dans « l’âge du faire », selon Ipsos. A la fois propulsé et entraîné vers le fond par les possibilités technologiques, l’individu a appris, a expérimenté dans un monde aussi dangereux que riche en nouveaux usages et opportunités de changement.

L’édition 2016 du Trend Observer d’Ipsos, intitulé « La vague et la digue » montre comment les individus, mais aussi les marques, tentent de faire face aux vagues de flux qui ont tendance à nous submerger, au sentiment d’intensification de l’environnement extérieur, sur tous les plans.

Deux attitudes possibles : se laisser porter, surfer sur cette vague ou au contraire, bloquer, résister, construire une digue. Après l’âge de l’expérimentation, le temps est à la prise de distance et au discernement des opportunités mais aussi des risques de ce monde où les barrières tombent les unes après les autres, de ce nouvel environnement exigeant, submergeant et parfois anxiogène. Bref, on se pose des questions.

Et cela amène de nouveaux usages, de nouveaux comportements.

« À l’aube de 2016, dans un contexte particulièrement chaotique, le besoin de se recentrer et de construire des systèmes personnels de gestion du monde extérieur devient vital. En défense (repli) ou en attaque (agilité), on tente tout à la fois de ne pas se faire emporter dans la déferlante moderne, et de trouver puis garder son cap », décrypte Thibaut Nguyen, Directeur Trends & Prospective, Ipsos Public Affairs.

L’étude Trend Observer identifie 5 mécanismes qui témoignent de cette volonté de se préserver, mais aussi de s’accomplir individuellement, et de trouver du sens. 

 

1Accomplir sa mission : la détermination de son activité

 

La détermination de son activité s’accompagne d’une quête de sens. Nous ne sommes plus dans le "faire pour faire", dans l’expérimentation. Désormais, on fait pour accomplir, pour s’accomplir même, et construire son projet de vie.

Pour cela, il est nécessaire de faire des choix et donc de renoncer à certains projets. Après les makers qui testaient, les « life-entrepreneurs » trouvent des applications concrètes. Les modèles des « trend setters » ne sont pas des stars mais des gens qui accomplissent, à l’instar de Béa Johnson, auteur de Zero Déchet, Sheryl Sandberg, l’actuelle directrice des opérations de Facebook ou Steve Jobs.

Le calendrier 2016 de Pirelli, en choisissant de photographier cette année (parfois totalement habillées) des femmes qui ont réussi dans leur domaine de prédilection, s’inscrit totalement dans cette mouvance.

Patti Smith (Photo Pirelli)

Patti Smith (Photo Pirelli)

« Les débats de positionnement sont aujourd’hui jugés stériles car ils ne portent pas sur la mission. Selon les créateurs de tendances par exemple, peu importe que Conchita Wurst soit un homme ou une femme ; ce qui compte c’est son talent » précise Thibaut Nguyen.

L’accomplissement de sa mission passe par la création de son story-telling personnel : il faut raconter son aventure, laisser sa trace. Tout en revendiquant son autonomie : aucune allégeance, pas de norme. Eviter à tout prix que le projet ne soit récupéré. Pour cela, les individus se doivent de maîtriser les outils technologiques, nullement reniés, mais sélectionnés dans un but précis.

Ce que ça veut dire pour les marques

Dans ce contexte, les marques doivent développer leur constance, devenir un partenaire presque B2B au service des missions de vie de ses clients. La (ou les) personne(s) derrières la marque sont plus que jamais un gage d’incarnation et de passion. Les marques doivent savoir répondre à une double exigence : offrir des produits/services d’une qualité professionnelle (GoPro est un bon exemple de cette tendance) mais aussi un supplément d’âme qui donne du sens.

 

2Mettre des filtres : la volonté de se créer un sas

La menace d’être submergé oblige les individus à faire le tri, à séparer le bienfaisant du nocif dans les flux virtuels ou réels (terrorisme, pollution, bruit numérique…) et donc à les maîtriser afin d’être en mesure de traiter de plus en plus de données en un temps limité. Le processus de sélection se professionnalise : les individus deviennent leur propre directeur de la communication, avec une stratégie multicanal réfléchie (on ne partage plus tout à tout le monde sur toutes les plateformes). On choisit des sélectionneurs pour se créer un flux personnel et l’on remet des barrières pour protéger sa vie privée.

Dans la sphère physique aussi, on constate l’apparition de filtre, notamment dans les pratiques alimentaires : le « sans » est à l’honneur, tendance au « clean eating » et au « spititual food » avec l’idée que si c’est bon pour le corps, c’est bien aussi pour l’âme.

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Ce que ça veut dire pour les marques

Les marques doivent apprendre à s’insérer dans ces flux personnels.

Selon Thibaut Nguyen « comprendre le flux de son client est essentiel pour se présenter au bon moment »

Par ailleurs, la devise du « less is more », avec des gammes courtes et des produits épurés répond à ce besoin de sélection.

 

3Eprouver le réel : la revalorisation de l’interaction physique directe

Alors même que le temps physique se raréfie, on assiste à sa revalorisation. Les individus éprouvent le besoin d’être présent à 100% durant ces moments d’interactions physiques directes.

« La rencontre physique devient un moment VIP » a déclaré Thibaut Nguyen.

Ainsi, on n’hésite plus (peut-être encore un peu) à s’offrir du temps de déconnexion et l’on va désormais dans un « non internet place » comme on allait dans un web café. Tous les sens sont mis à contribution et l’émotion, unité de communication la plus courte, non rhétorique, qui ne ment pas, est reine.

Le mot de l'année 2015 : l'emoji qui rit aux larmes (Oxford Dictionaries)

Le mot de l'année 2015 : l'emoji qui rit aux larmes (Oxford Dictionaries)

Ce que ça veut dire pour les marques

Les marques doivent s’adapter à l’ère du phygital, élaborer une signature émotionnelle, soigner les interactions physiques en point de vente. Chaque moment IRL doit être aussi éphémère qu’unique.

Les deux dernières tendances n’ont pas été abordées en détail lors de la présentation qui a eu lieu cette semaine à Paris :

 

4Augmenter sa capacité : la volonté de se renforcer pour résister au monde extérieur

 

Il s’agit d’être « physiquement prêt » pour le meilleur ou pour le pire : activité sportive intensifiée, nouvelles pratiques alimentaires, mise en danger et « self testing » sont au rendez-vous en 2016.

 

5Trouver sa magie : le retour à une certaine essentialité

Comment trouver sa source d’inspiration, ce qui va me nourrir de l’intérieur afin de pouvoir combattre la superficialité du monde ?

Les individus nourrissent la volonté d’être aussi « riche » à l’intérieur qu’on est fort à l’extérieur.  La déferlante » au yoga, l’accent mis sur des produits inspirants qui proposent une histoire ou des « rituels » amorcent le basculement d’une consommation désordonnée et expérimentale vers une consommation plus recentrée selon Ipsos.

 

L’étude complète, qui reprend les 5 tendances, leurs conséquences pour les marques mais aussi un regard nuancé par zone géographique (USA, Japon, Europe) sera disponible en février.