YouTube ou comment aussi apprendre en s’amusant

Par Cécile Blanchard, journaliste. Billet invité.

Du contenu éducatif sur YouTube ? Non seulement ça existe, mais en plus ça marche (relativement) bien. En France, comme au Canada et plus généralement dans les pays d’Amérique du Nord, les chaînes YouTube deviennent aussi des endroits pour apprendre. Démonstration en quatre portraits de Youtubeurs qui mettent les sciences à la portée de tous.

Leurs chaînes s’appellent Dirty Biology, e-penserLa folle histoire de l’univers, ou Science étonnante. Ils sont plus ou moins jeunes et, s’ils n’ont pas encore atteint la popularité d’un Norman ou d’un Cyprien, ils attirent tout de même plusieurs centaines de milliers d’abonnés et comptabilisent, à chaque vidéo postée, des millions de visionnements.

Ces youtubeurs français qui vulgarisent les savoirs démontrent plusieurs choses.

Tout d’abord, les vidéos d’humour et de beauté ne sont pas les seuls contenus qui attirent les (jeunes) internautes sur Youtube. En France, les contenus (ludo)éducatifs ont eux aussi leur place. Selon une étude réalisée par Google en partenariat avec l’institut IPSOS « la moitié des internautes français va sur Youtube pour comprendre quelque chose ». Ensuite, comme en Amérique du Nord, les contenus éducatifs sont souvent réalisés par des non professionnels, c’est-à-dire des filles et des garçons qui ne sont pas professeurs, qui n’exercent pas non plus une profession scientifique dans « la vraie vie », mais qui se passionnent pour ce sujet et ont envie de faire partager leur savoir, souvent de manière ludique, afin d’attirer le plus grand nombre. Ces Youtubeurs attirent le public grâce à des angles originaux ou à leur capacité à divertir.

Dirty Biology

Ainsi, Léo, 26 ans, s’était initialement donné pour objectif de parler de « biologie crade » sur sa chaîne, la bien nommée Dirty Biology (près de 300.000 abonnés et des vidéos vues des centaines de milliers de fois). S’il a vite abandonné cet angle afin de pouvoir élargir le champ des sujets abordés, il continue pourtant de traiter de sujets scientifiques parfois peu ragoûtants : dans « les 5 choses qui font de vous une chimère » on apprend qu’une femme a accouché d’enfants qui ne possédaient pas son patrimoine génétique, dans « Faut-il coucher avec ses cousins ? » il affirme, preuves à l’appui, que «  trousser son cousin au 3ème degré est la meilleure façon d’avoir le plus de descendants possible. » et dans sa vidéo la plus vue « A quoi sert un pénis ? » (les internautes sont sans surprise NDR), il remonte aux origines du phallus, « bien avant les dinosaures ».

DirtyBiology-À-quoi-sert-un-pénis-

Titulaire d’un master de biologie évolutive, Léo est parti en Thaïlande pour un projet de thèse… et a lancé Dirty Biology en juin 2014. Depuis, il est devenu l’un des rares youtubeurs professionnel qui vit de sa chaîne, « mais uniquement parce que le niveau de vie en Thaïlande le [lui] permet. »

Pour lui, la vulgarisation passe par un débit et un rythme très soutenu, et par des illustrations.

« J'ai besoin d'un montage pêchu, d'ajouter des illustrations un peu décalées, comme des Gifs animés pour rendre accessible des concepts scientifiques purs... »

e-penser

Ce n'est pas le cas de Bruce, l'un des youtubeurs scientifique les plus suivis en France, avec plus de 600.000 abonnés, dont les vidéos sont proches du stand-up. Seul devant la caméra, sans effet de manche, mais avec un vrai sens du texte et de la comédie, il aborde des sujets issus de la vie quotidienne (Pourquoi le ciel est bleu ? Qu'est-ce qu'un arc-en-ciel ? Pourquoi bailler est contagieux ?) ou plus abstraits (Qu'est ce que la relativité restreinte ? Qu'est ce que la mécanique quantique ? Pourquoi dit-on qu'Einstein était un génie?).

Chacune de ses vidéos comptabilise entre 300.000 et 600.000 vues. Et le succès de sa chaîne lui a donné accès à d'autres opportunités. Il vient en effet de faire la première partie du spectacle d'Alexandre Astier L'exoconférence dans les Zéniths de France, a publié un livre aux Editions Marabout, et est en train de rédiger le tome 2. « YouTube a changé ma vie » déclare celui qui est en train d'abandonner doucement son métier d'informaticien pour celui de vidéaste. Sa chaîne Youtube lui rapporte en effet environ 3000€ par mois grâce à la monétisation de sa chaine, et à son compte Tipee qui fait appel à la générosité des internautes.

« J'ai également réalisé une fois un contenu sponsorisé par la Fox. C'était pour la sortie du film Seul sur Mars, et ils m'ont laissé carte blanche pour parler de la planète rouge. C'était la condition sine qua non pour que j'accepte. »

Science Etonnante

Dans un tout autre style, David Louapre, qui tient la chaîne Science Etonnante (plus de 86.000 abonnés et 400.000 vues par mois) est, lui, issu du monde de la recherche. Titulaire d'une thèse en physique fondamentale, et chercheur en entreprise, il créé tout d'abord un blog de vulgarisation scientifique, avant de se laisser séduire par le format vidéo.

« Mon blog de vulgarisation, qui est l'un des plus vus en France, comptabilise 100 000 pages vues par mois. Ce chiffre là a été battu en seulement 4 mois par la chaîne YouTube ! La vidéo a un pouvoir pédagogique immense. C'est comme si quelqu'un, à côté de vous, vous expliquait des notions scientifiques. »

Il répond à des questions du type « Pourquoi le Pastis devient-il opaque? », « Y-a-t-il un peu de Jules César dans mon verre d'eau ? » ou « Jusqu'où ira le record du monde de saut à la perche ? ».

Scienceetonnante-trousnoirs

« J'essaie de me placer dans la peau de quelqu'un de niveau lycée et d'anticiper ce qu'il va penser. Cela me permet de redéfinir des mots ou des notions qui me paraissent évidents. C'est la malédiction du savoir : une fois qu'on a compris quelque chose, il devient très difficile de se mettre à la place de celui qui ne sait pas. »

Si le public de sa chaîne croît de manière exponentielle et qu'il assure une régularité « essentielle » en postant une vidéo toutes les deux semaines, David Louapre n'envisage pourtant pas d'en faire son métier et ne monétise pas son blog. Tout juste vient-il de se créer un compte Tipee pour pouvoir renouveler son matériel.

La folle histoire de l'univers

Dans ce monde très masculin, Florence Porcel fait figure d'exception. Elle gère la chaîne La folle histoire de l'univers, qui aborde les questions liées à l'actualité de la recherche, des théories, ou des effets physiques. Et, si sa chaîne ne compte que 13 927 abonnés, elle même se décrit comme une vulgarisatrice scientifique professionnelle. Chroniqueuse sur France 5, puis sur France Inter, dans la Tête au carré, elle intervient dans des conférences et des ateliers auprès du grand public.

« Je ne suis pas scientifique à la base, j'ai simplement une passion pour les sciences. » précise-t-elle.

Une passion qui l'a amenée à réaliser un véritable documentaire d'1h30, baptisé La folle histoire de l'Exoconférence qui revient sur le spectacle d'Alexandre Astier (encore lui). « Cela m'a demandé quelques 6 mois de travail bénévole. » souligne-t-elle.  Et si la chaîne Youtube ne la fait pas vivre, elle lui apporte cependant d'autres opportunités.

« Une société de production m'a contactée pour produire des vidéos, j'ai des projets dans l'édition, et c'est par ce biais que l'on me propose des interventions dans des festivals, des conférences, des événements, etc. »

Florence porcel folle histoire

Non seulement la liste de ces chaînes n'est pas exhaustive (citons, parmi les plus consultées, MicMaths, qui, comme son nom l’indique, aborde des sujets mathématiques, Axolot (toutes sources d'étonnement), ExperimentBoy (expérimentations scientifiques), ou encore, sur un ton très ludique Questions cons ) mais en plus, elle ne se limite pas aux sciences dites « dures ». Les sciences humaines comme la philosophie (Le Coup de Phil), ou l'Histoire (Nota Bene) y ont droit de cité et rassemblent respectivement 116 789 et 261 560 abonnés.

« Les thématiques scientifiques sont de plus en plus populaires en France. Cela fait deux ou trois ans que les créateurs français, suivant l’exemple outre-Atlantique, se lancent sur ce créneau. » explique Charles Savreux, communications manager chez Google & YouTube. « On peut parler d’un phénomène global de « Do it yourself », qui a pour objectif de désacraliser certains sujets. La vidéo est de plus en plus privilégiée pour toutes les phases d’apprentissage. De plus, ces thématiques éducatives permettent de toucher un public très large, et plus uniquement une cible jeune. Ce sont désormais des verticales qui marchent très bien, au même titre que l’humour, la beauté, ou le gaming. » conclut-il.