Pour un journalisme à 360 degrés

Par Dominique Quinio, Directrice de la Croix de 2005 à 2015. Billet invité

Journalisme constructif, journalisme de solution, « impact journalism », disent les Anglo-Saxons, pour ne pas dire positif…

Bizarre, non, de devoir qualifier le journalisme que l’on pratique ? Du journalisme à contre-emploi, jugera-t-on, si l’on se réfère à la trop fameuse formule d’Albert Londres, encourageant la presse à porter la plume dans la plaie : dans les plaies du monde, les plaies lointaines qu’on pourrait ne jamais voir, les plaies toutes proches que certains s’emploient à masquer pour ne pas être reconnus responsables.

Bref, le journalisme de solution, constructif, ne serait pas du vrai journalisme, à la hauteur de sa noble mission ; ce serait un « journalisme de parti pris », selon les mots de l’auteur d’un essai sur «  les défricheurs », Eric Dupin, lors d’un débat.

Ah bon ! Pratiquer un journalisme de la peur, de la dénonciation permanente, de la recherche frénétique de coupables, de préférence puissants, un journalisme de la dérision, de la sinistrose, ne serait pas une autre forme de parti-pris ? Lors d’un débat avec un confrère du Monde, alors que je m’interrogeais sur le suivi des attentats (de janvier dernier) et sur le risque pour les médias d’alimenter la tension et les peurs, celui-ci me rétorquait : « nous ne sommes pas là pour rassurer la population ».

Sommes-nous là pour l’angoisser ?

Depuis de longues années, à la Croix, nous nous efforçons de ne pas oublier la face éclairée des événements; sans occulter la noirceur, l’horreur, les magouilles et les crimes, mais en montrant ce qui va bien ou, en tout cas, ce qui va mieux. Une rubrique s’intitule ainsi d’ailleurs.

Et chaque jour, un court article, « une idée pour agir », met en lumière des initiatives individuelles ou collectives qui visent à  « réparer» le monde, ses inégalités, ses divisions, ses souffrances. Non pas par optimisme béat, par culture bisounours ou simplement par fidélité à l’espérance chrétienne liée à l’identité de ce journal, mais parce que ce sont – tout simplement – des informations. Pas anecdotiques, pas minuscules, pas négligeables. Des actus, des infos, quoi ! Oui, que l’extrême pauvreté ait reculé dans le monde dans les 20 dernières années, c’est un fait ; oui, que la scolarisation des filles ait progressé, c’est une réalité ; oui que certaines maladies aient été quasi éradiquées, c’est une nouvelle.

Rien n’est gagné ; les pauvretés et les injustices subsistent. Raison de plus pour montrer qu’il est possible d’agir.

Des personnes, des associations, des élus, des syndicalistes, des religieux, des institutions « se bougent » pour changer ce qui est grippé dans nos sociétés : cela vaut le coup d’être expliqué, d’être évalué, car cela peut avoir un effet d’entraînement. Sinon, la tentation de chacun est de se replier sur son pré-carré, sur ses intérêts propres et immédiats, en considérant que tous (les autres) sont pourris et que rien ne changera jamais. Et, frappé d’accablement et d’inquiétude, de cesser de lire, de regarder ou d’écouter les médias d’information.

Les lecteurs de la Croix, interrogés sur leur lien avec le journal, relèvent unanimement cette volonté de présenter un monde où existent des raisons objectives d’espérer, alors même que l’équipe de journalistes n’a pas toujours le sentiment de tenir cette promesse, emportée par une actualité nourrie de catastrophes en tous genres. Ces lecteurs, en un temps où la diffusion des quotidiens nationaux souffre, restent fidèles à leur quotidien. Faut-il y voir un lien de cause à effet ?

Des initiatives se font jour en France (l’association Reporters d’Espoir, l’agence Sparknews, des enseignements spécifiques dans certaines écoles de journalisme …) pour inciter les professionnels à regarder l’actualité porteuse de solutions, à leur proposer des sujets et des reportages.

Une sorte de discrimination positive, en quelque sorte, pour forcer la nature et les habitudes des médias. Peut-être une étape nécessaire, comme toute discrimination positive, mais sûrement pas suffisante. Car il ne s’agit pas de se cantonner à une positivité systématique et spécialisée, mais de faire naître un journalisme sans qualificatif, ni constructif ni destructif, ni de solution ni de dénonciation, un journalisme qui regarde l’actualité sous tous les angles, qui porte sa plume dans les plaies qui se creusent et montre les plaies qui guérissent.

ps : le quotidien la Croix a publié mercredi son enquête annuelle sur la confiance des Français dans leurs médias.

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