Faut-il craindre les « robots journalistes » ?

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Direction de la Prospective

De plus en plus de rédactions sont tentées de faire appel à des robots pour produire de manière automatique des contenus journalistiques. Si le Los Angeles Times a développé son propre algorithme, certaines entreprises technologiques spécialisées en linguistique, à l’instar du français Syllabs, viennent en renfort des médias. Pour les seules régionales, Syllabs a émis 1,3 million d’articles en 24h pour Radio-France, Le Monde, Le Parisien et l’Express. 

Face à cette nouvelle pratique et la force de frappe des robots, de nombreuses questions agitent les rédactions, à commencer par celle de l’avenir des journalistes. Claude de Loupy, Fondateur de Syllabs et Erwann Gaucher, directeur du numérique à France Bleu ont partagé leur expérience lors de la 23e édition du CFPJ Lab.

Les « robots journalistes » ne sont ni des robots, ni des journalistes

Les « robots journalistes » n’ont rien de journalistes, sauf si on limite le travail de ces derniers à la rédaction d’articles. Ce ne sont pas non plus des robots au sens machine physique animée : ce ne sont pas humanoïdes, pas même un bras articulé qui taperait sur un clavier. En réalité, il s’agit davantage de logiciels ou d’algorithmes, d’une force de calculs programmée.

Pour qu’ils fonctionnent, il faut y entrer une quantité importante de données structurées, c’est-à-dire un peu de connaissance. La machine ne comprend pas le texte, elle réagit au mieux à certains inputs. Pour l’intelligence, les machines en sont pour le moment dépourvues, et c’est aux humains de l’ajouter. La société Syllabs a travaillé en partenariat avec les rédactions pour déterminer le ton des articles et s’adapter à la ligne éditoriale existante du média.

excel

Les algorithmes vont-ils remplacer les journalistes ?

« Les logiciels ne marchent pas tout le temps très bien. En réalité, il y a beaucoup de personnes qui travaillent en amont pour qu’un texte puisse effectivement être rédigé de manière automatique » a rappelé Claude de Loupy.

Selon Erwann Gaucher :

« Ca ne nous a pas fait gagner du temps au global ; ce dispositif nous a juste permis de faire des choses en plus, qu'on n'aurait pas traité le jour J vu la masse d'infos à traiter (...) 

Est-ce que les algorithmes vont remplacer les journalistes ? On prend le problème à l’envers : nous n’avons pas les journalistes qui rédigeraient les 36 000 textes différents pour 36 000 communes ! (...)

Je veux utiliser les algorithmes pour faire ce qu'on ne peut pas faire. Ma limite c'est mettre une voix de synthèse à la place d'une voix chaude, qui va interagir avec l'animateur et le public. La radio c'est la voix, parfois même plus la voix que l'info, la voix qu'on accepte d'avoir dans sa salle de bain le matin. »

robot journaliste 

Par ailleurs, les machines ne sont pas non plus à l’abri d’erreurs. Les journalistes sont nécessaires pour vérifier le texte brut, mais aussi pour enquêter et apporter une analyse aux données brutes. C’est là sa valeur ajoutée, avec ou sans robot.

Les rédacteurs en chef ont ainsi la responsabilité de faire évoluer leur offre éditoriale en redéployant leurs journalistes sur des contenus avec une vraie valeur ajoutée. Le texte rédigé par un logiciel est un début, pas une fin.

Une brique nécessaire pour un meilleur référencement

Depuis plusieurs années, des médias comme Le Monde publient des résultats électoraux et ont ainsi pris les premiers places en termes de référencement.

« A Radio France, nous n’avions jusqu’ici pas les moyens de le faire. Avec ce dispositif, j’ai pu construire la première brique, elle-même constituée de 36 000 petites briques, pour préparer les prochaines élections. Une première brique nécessaire mais pas suffisante pour faire progresser notre référencement. On ne rattrape pas juste un retard, on construit une offre éditoriale. »

Un budget conséquent ?

Le dispositif pour les élections régionales a coûté à France Bleu quelques 20 000 euros : « oui c’est une somme, mais ramenée en jour/homme, 3 personnes à temps plein pendant 2 mois, ce n’est pas excessif » a déclaré Erwann Gaucher. Et d’ajouter que ce prix ne se justifie que lorsque l’on a une vraie masse de contenus à produire ou une régularité, afin d’amortir le coût des linguistes, la construction de la base de données…

Un investissement que seuls les gros médias peuvent pour l’instant se permettre donc.

Trois défis pour aller plus loin

  1. La prochaine étape, c’est une collaboration plus étroite entre humains et algorithmes mais aussi et surtout entre différents métiers, du journaliste au développeur en passant par le linguiste, chacun apportant sa spécialité. Finalement, les machines nous mettent devant un défi humain, celui d’apprendre à s’écouter et mettre en commun nos forces et connaissances.
  1. Cette façon de faire, de réfléchir en termes de bases de données avant de produire un contenu, est une révolution sur la manière de conserver l'information. Les archives de l’AFP ou d’autres médias, sous forme de texte ou de vidéos, ne sont quasiment pas exploitables. Aujourd’hui, les rédactions doivent commencer à produire elles-mêmes la data qui leur servira demain. Les algorithmes de rédaction sont une des manières de l'exploiter.
  1. Pour le directeur du numérique de France Bleu, il y a urgence : les GAFA et autres géants du numérique ne sont pas loin dernière et pourraient frapper très fort s’ils décidaient de se pencher sur la production automatique de contenus.

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