Par Jérome Derozard, consultant pour France TV Editions Numériques et entrepreneur
La Gaité Lyrique accueillait cette semaine l’étape parisienne de la tournée mondiale de Kaleidoscope VR, studio VR pour artistes indépendants fondé par l’entrepreneur René Pinnel et un ancien directeur technique de Industrial Lights & Magic Michaël Breymann.
Une trentaine d’œuvres de réalités virtuelles utilisant trois types de casques VR – la Gear VR, l’Oculus Rift et le HTC Vive étaient présentées. L’affluence dans une salle assez petite desservait malheureusement les œuvres exposées, avec de longues queues limitant le nombre d’expériences qui pouvaient être testées, et un brouhaha incessant qui nuisait à l’immersion. Vu le faible parc de casques compatibles ce type d’organisation est encore indispensable pour faire découvrir au plus grand nombre les expériences VR, mais espérons vraiment qu’à l’avenir les festivals VR aient eux aussi lieu dans le monde virtuel !
On relèvera certaines œuvres comme « notes on blindness – into darkness », déjà présentée à l’exposition New Frontier à Sundance. Celle-ci illustre le journal audio de John Hull après qu’il ait perdu la vue en couplant images de synthèse et son binaural.
Plusieurs films d’animation étaient présentés comme Mad God ou Colosse ; ce type d’expériences se rapprochant techniquement du jeu vidéo semblent d’ailleurs plus adaptées au média VR que la « simple » captation à 360°, en permettant à l’utilisateur d’interagir avec l’œuvre dans toutes ses dimensions – temporelles, spatiales, auditives.
L’un des principaux sponsors de l’évènement était Nokia (le groupe qui a racheté Alcatel Lucent, pas le fabricant de mobiles, vendu à Microsoft). Le finlandais était présent avec sa caméra à 360° Ozo qui représente pour lui une nouvelle diversification dans une industrie émergente, après les pneus au début du 20ème siècle et la téléphonie mobile à la fin du dernier millénaire.
PANEL
Un panel animé par Nick Ochoa et réunissant des artistes exposant leurs œuvres était organisé. En introduction Nick Ochoa présentait le but de Kaleidoscope : réinventer la façon de raconter les histoires en VR (le « storytelling ») et célébrer les pionniers de ce nouveau médium.
Pas une simple évolution, mais une révolution
Pour lui la VR n’est pas une simple évolution (comme la TV en 3D) mais une révolution, ce que la TV était à la radio à son apparition. Le spectateur n’est plus devant l’écran, il traverse l’écran. Aujourd’hui il n’y a pas d’experts sur le sujet, tout est à inventer : Kaleidoscope VR se concentre sur l’art de raconter des histoires en VR, et veut permettre aux artistes du monde entier de partager leurs expériences entre eux et avec le public, d’où cette tournée mondiale.
Le panel comprenait quatre artistes dont l’allemand Philip Wenning d’InVR, réalisateur du documentaire sur l’histoire de la réalité virtuelle « Future of VR » ; le canadien Elli Rayna qui a réalisé « I am You » une « love story » en VR ; les français Balthazar Auxiètre, réalisateur de La Peri sur HTC Vive, et Arnaud Colinart le réalisateur de « Notes on Blindness ».
EXTRAITS :
Nick Ochoa : « Qu’est-ce qui vous a attiré vers la VR ? »
Balthazar Auxiètre : « J’ai été attiré avant même l’arrivée des premiers vrais casques VR. Même si les équipements n’étaient pas encore au point, j’avais déjà la sensation du potentiel de ce nouveau media. »
Arnaud Colinart : « j’ai commencé à travailler sur un projet à 360°, et j’ai vu l’intérêt d’ajouter du son pour une meilleure immersion. La réalité virtuelle a le pouvoir de téléporter le spectateur. »
Philip Wenning : « J’ai commencé à travailler sur des film panoramiques projetés sur des écrans incurvés à 180°, au moment où les Google Glass ont été lancés. Nous nous sommes ensuite développés sur la VR. »
Elli Rayna : « un ami cinéaste m’a convaincu du potentiel de la VR. »
Nick Ochoa : « La réalité virtuelle est souvent décrite comme une machine à empathie. A ce titre elle peut faire reposer beaucoup sur le spectateur. Comment voyez-vous son rôle dans vos œuvres ? Doit-il rester passif ou interagir avec l’œuvre ? »
Arnaud Colinart : « Dans ‘Notes of blindness’ il est important pour le spectateur d’être dans la peau du personnage. Pour moi la VR permet de se dire ‘et si je devenais aveugle comme John Hull ?’. Il est cependant encore difficile avec les technologies actuelles de ne pas casser l’immersion lors de l’interaction avec l’oeuvre, du fait des possibilités limitées des interfaces utilisateurs sur les casques »
Balthazar Auxiètre : « Dans Fifth sleep j’ai été enthousiasmé par le potentiel de la VR de vous faire devenir le personnage. Cependant les œuvres VR rencontrent les mêmes problématiques que les jeux vidéo sur l’immersion, la solution ne viendra pas seulement des possibilités techniques du casque. Laisser le spectateur passif c’est une solution pour conserver le sentiment d’immersion ».
Philip Wenning : « Je pense au contraire qu’il faut mettre la pression sur le spectateur pour le forcer à faire des choix. Par exemple dans le documentaire ‘Future of VR’ il doit choisir qui écouter, il ne peut pas tout voir ni tout entendre car il y a sept personnes, sept opinions différentes. Il doit tourner la tête pour écouter une personne ou une autre. »
Elli Rayna : « Je pense que le réalisateur doit pousser le spectateur VR à voir ce qu’on veut qu’il voit, comme dans le cinéma traditionnel. »
Balthazar Auxiètre : « Je ne pense pas de mon côté qu’il faille mettre la pression sur le spectateur. Au contraire il faut laisser les choses se faire. On veut raconter une histoire, trouver la balance – ne pas précipiter le spectateur. »
Arnaud Colinart : « Pour moi c’est difficile d’impliquer les gens autant que dans un jeu vidéo L’histoire, la beauté de l’environnement doivent garder l’utilisateur impliqué dans l’histoire. Il y a quelques années je suis allé voir Avatar en 3D. La meilleure partie du film c’était la pub Haribo en 3D avant le film qui était très immersive, la 3D du film lui-même n’était pas terrible. »
Un spectateur : « les expériences VR sont aujourd’hui assez courtes, jusqu’à 15 minutes, pensez-vous qu’il sera possible dans le futur d’avoir des expériences plus longues, de l’ordre de celle d’un film traditionnel ? »
Arnaud Colinart : « ‘Notes on blindness’ dans sa totalité dure une trentaine de minutes. C’est aujourd’hui difficile de proposer des expériences plus longues à cause des limitations des casques : poids, qualité des écrans … ».
Philip Wenning : « Je pense que les expériences VR vont devenir de plus en plus longues, les gens s’habitueront et auront du mal à en sortir ensuite ! Il y aura aussi beaucoup de spécialités VR à l’avenir, dans le domaine du médical par exemple, qui dureront plus longtemps. Pour les films cela restera assez court ».
Balthazar Auxiètre : « Pour avoir plus de profondeur dans les sujets il faut des expériences plus longues que 15 minutes. Avec un film de 1h30 vous pouvez vraiment creuser les personnages ; il faut la même chose pour la VR. Cela risque d’être un peu effrayant peut-être. Par contre il ne faudra pas forcément faire des expériences ‘à la Proust’ de plusieurs heures ! »
Nick Ochoa : « La réalité virtuelle est beaucoup plus impressionnante, 15 minutes de VR fatiguent plus émotionnellement qu’un film d’1h30. En outre les expériences VR sont aussi très longues à produire. Vous avez des exemples ? ».
Balthazar Auxiètre : « Nous avons passé 1 an pour réaliser un film de 15 minutes de VR chez Innerspace ».
Un spectateur : « Comment voyez-vous le futur de la réalité virtuelle dans 1 an ? »
Elli Rayna : « Je pense que nous aurons de meilleures technologies notamment autour du ‘stitching’ (qui permet de générer une vidéo à 360° à partir de plusieurs caméras). Nous aurons aussi plus de contenus longs »
Arnaud Colinart : « Je pense que les émissions VR en direct autour des évènements sportifs et musicaux vont avoir le plus de succès, ainsi que les jeux vidéo. Le défi va être de pouvoir créer l’équivalent du film indépendant en VR : comment proposer aux spectateurs autre chose que des ‘blockbusters’ et des films publicitaires ? Je pense aussi qu’on pourra proposer des histoires plus longues ; le tout sera de proposer des portes de sorties pour l’utilisateur, pour qu’il puisse interrompre l’histoire à certains moments et revenir ensuite ».
Balthazar Auxiètre : « Il faut des films d’auteurs ‘blockbuster’ en VR comme l’a pu être ‘2001 : l’Odyssée de l’espace (et pas comme Avatar) ».
Philip Wenning : « Il faudrait avoir l’équivalent du ‘camcorder’ pour la 360° pour que tout le monde puisse filmer ; les outils et workflow de production pour la VR ne sont pas prêts, mais d’ici 1-2 ans les outils seront là et les gens pourront créer eux-mêmes ».
Vous pouvez retrouver les prochaines étapes de la tournée Kaleidoscope sur Eventbrite.