Twitter a dix ans et nous adorons le détester

 

Par Clara Schmelck, journaliste médias à Socialter, billet invité

Nid dalgorithmes incontrôlables, infomédiaire menaçant la souveraineté des médias, volatile hasbeen dépassé par Snapchat : en dix ans, Twitter est devenu le réseau social quon adore affubler de noms doiseaux, comme si nous désespérions des outils que nous utilisons désormais quasi tous pour informer.

En 2016, le site social lancé par Jack Dorsey revendique 320 millions d’utilisateurs actifs mensuels, dont 254 millions hors des Etats-Unis. Un taux stagnant, bien que Twitter fasse gonfler les statistiques d’audience en insistant sur le fait qu’un milliard d’internautes voient des pages Internet où sont incrustés des tweets.

Mais le titre a perdu 80% de sa valeur depuis décembre 2013, juste après son introduction en Bourse. Dix ans après l’envol de l’oiseau bleu, 17% des Français sont inscrits sur ce réseau social, qui obtient un taux de pénétration de 24% chez les 15-24 ans, et de 23% chez les 25-34 ans, soit près d'un quart des jeunes. Et pourtant, l’enthousiasme du début de la décennie a perdu son plumage. Twitter est de plus en plus massivement perçu comme un outil vide de sens qui enferme dans une relation de dépendance à la technologie. Une impression imprimée de craintes multiples.

Dépendance à la technologie

Le modèle de fonctionnement de Twitter s’appuie sur la technologie de la data et des algorithmes. Or, l’idée d’être un usager numérique qui est d’abord une grappe de données livrées au calcul des machines vient contrarier le principe de liberté individuelle.

Surtout, l’hypothèse que certaines de nos informations et de nos idées supposent pour leur extraction, leur traitement et leur diffusion par une plateforme tierce qui ne pourrait exister sans la technologie des algorithmes, « Ces véritables boîtes noires dont personne ne connaît le fonctionnement qui non seulement trient mais choisissent et distribuent linformation », comme le rappelle Eric Scherer dans un entretien début mars à l’hebdomadaire Le 1, a de quoi nous interpeller.

Reprendre la main sur les algorithmes

Comment l’humain peut-il reprendre la main sur ces nouveaux filtres automatiques ? Verra t-on demain des « responsables des algorithmes », à savoir des gens chargés de faire l’interface entre les systèmes techniques et ceux qui les utilisent, d’établir sur Twitter une discussion régulatrice entre les machines, les médias et les lecteurs ? Tant que Twitter n’aura pas imaginé de solution pour rendre à l’utilisateur la maîtrise des algorithmes, la défiance populaire persistera.

Non seulement Twitter se permet de choisir linfo qui vient à nous, mais, plus hitchcockien que jamais, le volatile est entrain de se constituer tel un géant invisible qui aspire linformation conçue et produite par les médias.

hitchcock

Infomédiaire vs. souveraineté des médias

Dans une tribune parue début mars dans la Columbia Journalism Review intitulée « La fin du monde tel que nous le connaissons : comment Facebook a avalé le journalisme », et reprise par Le Monde, Emily Bell, directrice du Tow Center for Digital Journalism, à New York, et ancienne patronne des activités numériques du Guardian, met en garde les médias face à l’essor des réseaux sociaux comme intermédiaires de distribution qui, estime-t-elle, détraquent leur écosystème.

A la place de chaînes TV et de journaux, des milliards de pages Web de contenus épars se trouvent « réintermédiés », c’est-à-dire ré-agencés avec une méthode dépendent désormais de la plate-forme de distribution. Conséquence : le réseau social est devenu un infomédiaire, qui met en place des dispositifs de lecture de la presse « pluggés » sur sa plateforme, au risque que certains articles soient pourvoyeurs de trafic sur Twitter plutôt que sur les sites dont ils sont issus.

Twitter est ainsi entrain d’aspirer la presse d’information en ligne au point de remettre en question l’existence autonome des médias qui produisent et signent des contenus d’information. De surcroît, en devenant plus puissants que les médias, les infomédiaires encouragent la concentration des entreprises de médias, aux dépends de la pluralité de la presse : des empires médiatiques, tels Bolloré, Lagardère ou Drahi en France se justifient aisément d’être bâtis pour faire bloc contre les géants GAFA américains.

Usage « médias-friendly »

Cependant, un nombre croissant de médias de petite portée en terme d’audience, locaux ou alternatifs pourraient se servir de la puissance de l’infomédiaire Twitter pour s’intégrer au maillage de l’information. 140 caractères composés tels une accroche attirent des lecteurs vers l’article d’un site qui resterait confidentiel sans le relais du média social.

On peut également penser qu’il existe un usage de Twitter qui soit « Médias-friendly ». Avec son hashtag qui trie et indexe les informations, Twitter est, en plus d’un outil de veille et d'être finalement une agence de presse gratuite mondiale et personnalisée, un moteur de recherche efficace, à condition qu’il soit utilisé dans l’esprit de lire les médias eux-mêmes. Il offre en outre la possibilité de remarquer rapidement plusieurs points de vue sur un même événement, et d’interagir de manière intuitive sur un sujet d’actualité. Il convient alors de le voir commun moyen technologique par lequel nous produisons et pensons l’information, et non comme un service qui distribue l’information.

Twitter, dépassé ?

Enfin, le jaune de Snapchat serait-il le nouveau bleu de Twitter ? Seuls 3 à 4% de français sont inscrits sur Snapchat, et pourtant, le réseau jouit d’une notoriété de 39 à 41%. (Source : enquête d’Aura Mundi, décembre 2015). Avec Story, les utilisateurs de Snapchat, éditeurs compris, peuvent compiler de manière chronologique les snaps d’une journée, ce qui permet à leurs abonnés d’avoir une revue accessible pendant 24 heures. De quoi séduire les médias, le WSJ et MétaMédia parmi les premiers.

Reste à voir si n’importe quel réseau social à venir sera à même de devenir un phénomène de société comme l’est Twitter depuis ses débuts grâce à son hashtag, véritable liant social.

Explicite, original et parfois teinté d'humour, le mot-dièse porte la part la plus expressive d'un tweet, et devient même le mot le plus important quand il vise à dénoncer une situation politique où la liberté d'expression est menacée ou bafouée. Si Twitter est devenu un vecteur incontournable de sensibilisation à la lutte pour la liberté d'expression, et même un outil de subversion dans des pays où l'internet est soumis à une surveillance permanente, cela tient sans doute aussi à la force du signe dièse à incarner une démocratie qui se conquiert de plus en plus à travers les médias sociaux.

C’est ainsi que Twitter est l’endroit où sont nés, ou été amplifiés, quelques grands mouvements sociaux contemporains, des printemps arabes, en passant par #PorteOuverte, lancé par un journaliste pour accueillir chez soi des rescapés des attentats de Novembre à Paris. Un signe, aussi, que l’humain est toujours capable de s’approprier ce qui paraît lui échapper.