F8 : Mark Zuckerberg présente sa roadmap à 10 ans

Par Jérome Derozard, consultant pour France TV Editions Numériques et entrepreneur

Ouvrant la conférence « f8 » à San Francisco, Mark Zuckerberg s'est prêté cette semaine à l’exercice de la « keynote », passage obligé pour tout dirigeant d’une grande firme technologique américaine. Preuve de l’empreinte mondiale du service, elle était aussi diffusée en direct dans 29 « meetups » autour du monde, depuis Paris à Nairobi en passant par Dacca ou Bogota. Mais la diffusion (aussi accessible sur internet) n’utilisait pas la nouvelle plateforme Facebook Live Video, sans doute encore en rodage…  

meetup 

L’assemblée au « meetupF8» de Paris 

Devant un parterre de journalistes, développeurs et partenaires ; Mark Zuckerberg articula donc la mission de Facebook : permettre à tout le monde de tout partager avec n’importe qui. « Tout le monde » doit pouvoir avoir accès à internet, d’où les nombreuses initiatives du réseau social (drones, antennes relais plus performantes, accès gratuit aux services basiques…) pour réduire les coûts d’accès, améliorer la couverture et convaincre les 3 milliards de personnes non connectées de rejoindre le réseau.

« Tout partager » c’est permettre de partager des contenus de plus en plus riches et immersifs, depuis la photo à la vidéo à la captation à 360°. « Avec n’importe qui » c’est la possibilité de partager différentes choses avec des cercles différents, depuis sa famille et ses amis jusqu’à ses fans et relations plus éloignées, par l’intermédiaire des différentes applications du groupe (Messenger, Instagram, Whatsapp…). 

Cette mission s’inscrit dans une roadmap à 10 ans qui passe par l’extension de l’écosystème de Facebook, de ses différents produits (dont la recherche et la vidéo) et de technologies comme l’accès à internet pour tous, l’intelligence artificielle et la réalité virtuelle ou augmentée. 

 roadmap

Dans le domaine de l’I.A. : modules en open source

Facebook multiplie les applications concrètes, depuis « moments » qui classe les photos et identifie les personnes, à son traducteur qui comprend le langage SMS, au flux d’actualité, son algorithme de classement ou plus récemment l’outil de description automatisé des photos pour malvoyants. L’entreprise a annoncé à f8 mettre à disposition en « open source » certains des modules d’IA – matériel et logiciel – issus notamment de son laboratoire FAIR. 

Deborah Liu, la directrice de la gestion produit, rappela ensuite les nombreux atouts de la plateforme Facebook : 1,6 milliard utilisateurs, 9,5 milliards de dollars reversés aux développeurs qui sont à 70% basés en dehors des Etats-Unis, plus de 90 langues supportées. Pour continuer à les séduire de nouveaux outils logiciels sont proposés, comme « Account kit » qui simplifie la procédure d’inscription en utilisant un email ou un numéro de téléphone, ou les « people insights » pour mieux connaître l’audience de son application via des informations démographiques (anonymes). Les éditeurs de site web n’ont pas été oubliés, avec le nouveau bouton « sauver sur facebook » pour mettre de côté un contenu ou le « plugin de citation» pour partager un extrait d’article en un clic. Enfin le service « instant articles » est maintenant disponible pour tous les propriétaires de pages facebook, permettant la lecture directe des contenus dans l’application Facebook sans passer par le navigateur – et sans sortir du réseau social. 

Messenger ouvre la porte aux bots, « intelligents » ou non 

Autre front pour Facebook : la messagerie instantanée. Messenger, l’application développée en interne, compte à présent 900 millions d’utilisateurs actifs, contre plus de 1 milliard pour Whatsapp acheté en 2014. Plus de 60 milliards de messages sont à présent échangés chaque jour sur ces deux applications, soit trois fois le volume maximal atteint par le SMS.

Face à ce succès, Facebook tente depuis un an de transformer Messenger en une plateforme à part entière. Le but est de l’imposer comme point d’entrée alternatif sur le mobile pour les marques et les médias, face aux points d’entrée traditionnels contrôlés par l’opérateur mobile (les services vocaux ou SMS) ou Apple et Google (les applications). L’année dernière le groupe avait annoncé le service « entreprises sur messenger » permettant aux sociétés de dialoguer avec leurs clients. Cette année Facebook a dévoilé la « plateforme messenger » permettant de développer des « chat bots » pouvant dialoguer avec les utilisateurs pour leur proposer de nouveaux services sans installer d’app, visiter un site web ou appeler un serveur vocal. 

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30 entreprises ont déjà pu prendre en main la plateforme et développer leurs propres « bots », disponibles dans un « appstore » dédié, dont CNN ou le Wall Street Journal,. Concrètement, Facebook met à disposition des développeurs une API permettant d’envoyer et recevoir de façon automatisée des messages (ave texte, images ou vidéos) aux utilisateurs Messenger depuis une application hébergée sur un serveur. L’utilisateur doit toujours être à l’origine de la prise de contact; l’application peut ensuite répondre à sa demande via des « éléments conversationnels », listes visuelles de commandes pouvant être comprises par le bot.  

Facebook souhaite ainsi éviter l’utilisation de mots clé en mode « ligne de commande » comme on le connaissait déjà dans le mode du SMS (« envoyez 1 pour voter pour Loanna ») en proposant des écrans type se présentant sous forme de « cartes » à choix multiples. Dans le cas de CNN, l’utilisateur peut ainsi consulter la liste des titres d’actualité, avec pour chacune la possibilité de demander un résumé dans Messenger ou être redirigé vers une page web. Il peut également saisir un mot clé pour obtenir une sélection d’actualités correspondantes. Certaines applications peuvent proposer des messages en « push » pour suivre l’actualité 

Messenger n’est pas la première application de messagerie à proposer ce type d’intégration ; outre les services SMS+ lancés au début des années 2000, WeChat ou Telegram proposent déjà leurs propres bots depuis plusieurs années. Microsoft a aussi annoncé une plateforme pour son service Skype le mois dernier lors de la conférence Build, et il ne serait pas étonnant que Google face de même lors de sa conférence Google I/O. 

Ces nouvelles plateformes vont favoriser l’émergence de nouveaux acteurs prêts à fournir des « solutions conversationnelles » clés en main aux marques et aux médias, ce qui provoquera l’arrivée d’une vague de « bots » de marques dans les services de chat. Le risque principal est que la plupart se révèlent d’une intelligence très moyenne, incapables de comprendre les questions qui leurs sont posées ou d’apporter un réel bénéfice aux utilisateurs, se contentant de renvoyer ceux-ci vers les outils existants que sont le site web ou l’application.  

Facebook a bien compris ce risque et met à disposition des développeurs sa plateforme de bots intelligents « wit.ai », issue du rachat de la startup du même nom en 2015. Celle-ci permet aux utilisateurs de discuter avec un bot en langage naturel, et à celui-ci de prédire les actions à exécuter ; elle se rapproche du « bot framework» annoncé par Microsoft le mois dernier. Au cours de sa seconde keynote Facebook a aussi démontré les possibilités de conversation vocale avec un bot intelligent, en combinant reconnaissance vocale, reconnaissance d’image et analyse du langage naturel. 

Facebook Live Video, un pas de plus vers la Facebook TV 

Autre centre d’intérêt pour Facebook, la vidéo en direct. En Janvier le réseau social avait étendu la fonctionnalité de diffusion en direct à l’ensemble de ses utilisateurs. Ceux-ci peuvent maintenant se filmer depuis leur mobile et diffuser la vidéo à leurs amis ou à leurs fans en direct. Constatant que ces vidéos génèrent 10 fois plus de commentaires que les vidéos à la demande, et que certaines attirent des audiences supérieures à celle d’une émission TV, Mark Zuckerberg a décidé en Février de passer la vitesse supérieure et a multiplié par dix la taille de l’équipe en charge de la plateforme. 

 live

Cette montée en puissance s’est déjà traduite par l’arrivée de nouveaux lecteurs vidéo, permettant aux spectateurs d’exprimer leurs émotions comme sur Périscope, ainsi que par une meilleure visibilité des émissions en direct sur le site et dans les applications Facebook. Cependant la diffusion des vidéos ne pouvait se faire que depuis une application mobile. A F8 la société a donc annoncé ouvrir sa plateforme Live Video pour permettre la diffusion de vidéos en direct par exemple depuis une caméra portative, un drone ou une régie TV, le tout via une nouvelle API  

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Pour l’instant seuls les éditeurs vérifiés et certains développeurs pourront utiliser cette possibilité. Parmi les premiers partenaires, Buzzfeed (qui a attiré la semaine dernière plus de 800.000 spectateurs pour l’explosion d’une pastèque) prépare un concept de jeu télévisé diffusé depuis ses locaux autour du monde. CNN de son côté s’est intéressé à la possibilité de communiquer avec son audience pendant la diffusion, et d’intégrer les réactions dans le flux vidéo. 

Facebook n’oublie pas la vidéo à la demande et a annoncé un nouvel outil de gestion des droits permettant aux éditeurs de contrôler l’utilisation de leurs contenus et d’empêcher le « freebooting », la publication sauvage de vidéos récupérées sur d’autres services – pratique qui contribua au décollage de la vidéo sur le réseau social.  

En outre la vidéo bénéficie des avancées de l’intelligence artificielle. Facebook proposera prochainement la possibilité d’ajouter des sous titres automatiquement à une vidéo via la reconnaissance vocale, d’identifier quelles personnes apparaissent et à quel moment dans un clip via la reconnaissance facile, ou d’identifier toutes les diffusions Live d’un même évènement pour proposer une fonction « multicam ». 

Facebook investit ainsi massivement pour attirer les professionnels du secteur de la vidéo sur sa plateforme, allant même jusqu’à en rémunérer certains. Pourra-t-il s’imposer face aux acteurs établis comme Youtube ou Twitch ? Tout dépendra de sa stratégie de monétisation, qui reste à préciser. 

La réalité virtuelle et augmentée, étape ultime ? 

 vr

Dernier sujet, et pas des moindres, de la conférence f8 : la réalité virtuelle et augmentée. Beaucoup de choses se sont passées depuis le rachat d’Oculus il y a 2 ans, avec tout d’abord la sortie d’une nouvelle version du casque « low cost » Gear VR en 2015. Plus de 2 millions d’heures de vidéos 360° ont déjà été visionnées par les utilisateurs

Le lancement commercial du premier casque grand public Oculus Rift ensuite, proposant 50 « expériences » de réalité virtuelle. Ce casque propose une meilleure immersion grâce à un système de suivi des mouvements de la tête ; de nouvelles manettes « Oculus touch » seront mises en vente dans les prochains mois pour une meilleur interaction avec l’environnement virtuel. Mark Zuckerberg a indiqué qu’il ne s’agissait que de la première version ; d’autres seront lancées pour bénéficier des progrès en termes de miniaturisation, avec pour objectif ultime (dans 10 ans ?) de proposer un casque de réalité virtuelle et augmentée de la taille d’une paire de lunettes de soleil. Dès lors certains appareils n’auront plus lieu d’exister, le PDG de Facebook indiquant par exemple qu’un téléviseur (qui permet à plusieurs utilisateurs de regarder une vidéo en même temps) ne sera plus qu’une simple application à 1$  

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Outre les casques Facebook investit aussi à l’autre bout de la chaîne pour améliorer les outils de production de contenus immersifs, et en particulier la capture vidéo. La société a ainsi présenté Facebook Surround 360, un prototype de caméra filmant en 3D et à 360° associé à un logiciel de « stitching ». Cette caméra peut produire des contenus à 8K par œil, pouvant ensuite être diffusés via un protocole de streaming spécifique (et une connexion internet très performante, on imagine) vers un casque VR. La caméra elle-même ne devrait pas être commercialisée, Facebook prévoyant den publier les spécifications et le code source cet été pour que d’autres les utilisent – sous réserve de pouvoir acheter les 30.000 $ de composants nécessaires. L’approche choisie par le réseau social s’approche de celle de Google et de son design de caméra « Jump » annoncé au dernier Google I/O. 

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Mais l’un des principaux objectifs de recherche de Facebook dans la réalité virtuelle, qui la relie au réseau social et à ses initiatives dans l’intelligence artificielle et la diffusion vidéo,est de perfectionner la « présence sociale virtuelle » : avoir le sentiment d’être en présence d’autres personnes dans la réalité virtuelle, alors qu’elles ne sont pas présentes physiquement. Une large part de la keynote du mercredi soir était consacrée aux différentes expérimentations dans la « VR sociale ». Une démo montrait ainsi deux personnes situées à deux endroits différents et équipées d’Oculus Rift, échanger dans un espace virtuel, chacune étant représenté par un avatar et une paire de mains. Elles pouvaient ainsi collaborer mais aussi se « téléporter » dans des photos à 360° et même prendre des « selfies » du paysage et bien sûr les poster sur Facebook. 

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L’un des responsables de la R&D d’Oculus présentait ensuite les challenges de la « présence sociale virtuelle ». Il faut pouvoir capturer les émotions des participants, pas seulement au niveau de leur visage (ce qui est compliqué quand on porte un casque) mais également au niveau de leur corps pour comprendre le « langage corporel ». Il faut pouvoir ensuite diffuser ces émotions en direct et les reproduire auprès des autres participants pour qu’ils puissent en comprendre les subtilités. Enfin, il faut pouvoir implémenter la « prédiction sociale », c’est-à-dire la possibilité pour le système d’anticiper un mouvement ou une intention afin de pallier les délais de transmission des données via internet.

Alors il sera possible pour les utilisateurs du futur ‘Facebook VR’ d’avoir le sentiment d’être en présence de proches ou inconnus situés à l’autre bout du monde, afin peut-être de ne plus jamais en sortir ? 

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