Par Maud Vincent, Journaliste - Rédactrice - Consultante éditoriale indépendante. Billet invité
La création est au rendez-vous et les projets affluent, mais la web-série n’a pas encore trouvé son modèle économique.
C’est en 2005 que le format commence à émerger des limbes du Web à la faveur de la montée en puissance des plateformes vidéos de partage (YouTube, Dailymotion, Viméo). Mais le modèle d’affaires de ces mêmes plateformes rend difficile, voire quasi impossible, le retour sur investissement, ont expliqué il y a quelques jours à Paris les participants à la table ronde « Webcréation, transmédia et business model » du WES Festival organisée par l’Institut Français de Presse.
Imposant un drastique partage des revenus publicitaires, YouTube donne en effet la prime au volume : seuls ceux qui génèrent des millions de vues peuvent espérer une rentabilité. Il faut obtenir 1 million de vues pour gagner en moyenne 1.000 euros.
"Dans les web-séries il n'y a pas d'argent, mais on a de la créativité,du désir,de la folie,de la liberté "@AmelieEtasse @WesFestival2016
— Virginie Sassoon (@ViSassoon) 15 avril 2016
YouTube et la prime au volume
Si ce modèle fonctionne pour quelques YouTubeurs, il n’en est pas de même pour les producteurs de websérie. « On confond souvent le podcast et la webcréation qui relèvent de deux mécanismes différents : dotée d’une simple webcam, le plus souvent filmé dans sa chambre, le YouTubeur est en capacité de produire à une fréquence régulière des vidéos à faible coût », explique Ken & Ryu, réalisateurs de la web-série En Passant Pécho.
Si les YouTubeurs peuvent aisément et à moindre coût alimenter leur chaîne YouTube et en tirer des revenus rentables, les producteurs de web-fiction n’ont pas le même cahier des charges : bien que le budget moyen d’une web série soit deux à trois fois moins élevé que celui d’une série diffusée à l’antenne, une websérie reste coûteuse à produire et nécessite un temps de réalisation conséquent. « Au global, de l’écriture jusqu’à la post-production, il faut compter un minimum de 5 mois et maximum de 1 an pour produire une websérie, contre un an à trois ans pour une série à l’antenne », rapporte Ségolène Zaug, chargée des nouvelles écritures et du transmédia à France Télévisions.
Opter pour le crowdfunding : une option limitée
Pour financer leurs projets de web-fiction, beaucoup misent sur le financement participatif (crowdfunfing). Mais le système a ses limites : sauf exception, les sommes récoltées ne parviennent pas à couvrir les coûts de production.
@Olydri_Noob est un cas atypique. Record européen de la plus grosse levée de fonds via du crowdfunding @JeanIvanoff #WESFestival #webséries
— #Wes (@WesFestival2016) 14 avril 2016
« Sur Ulule, la moyenne des financements s’élèvent à 5.000 euros », relève Jean Ivanoff, chargé de projets chez Ulule.
Outre la maitrise des codes marketing pour bien savoir valoriser son projet, la réussite d’un projet de crowdfunding s’appuie sur la constitution d’une forte communauté pré-existante. Enfin, l’envoi des contreparties aux financeurs sous forme de t-shirt ou goodies est à prendre en compte dans l’enveloppe budgétaire.
Le parcours du combattant mené par Ken & Ryu, réalisateurs d’En Passant Pécho, une web-série de six épisodes produites entre 2012 et 2016 et diffusée sur YouTube, est éclairant : après avoir financé sur fonds propres les deux premiers épisodes, l’équipe s’est tournée vers MyMajorCompany pour continuer l’aventure, faute de producteurs. « Vu la couleur du projet [la série traite sur un mode humoristique du quotidien de jeunes fumeurs de joints et de petits dealers], il était difficile de trouver un financement auprès d’une maison de production classique ». Le projet a finalement été financé à hauteur de 35.000 euros et deux nouveaux épisodes ont pu voir le jour.
Enfin, pour financer le 5e et le 6e épisode, Ken & Ryu ont bénéficié du soutien de Studio Bagel et d’un partenariat avec la marque de vêtement Tealer. Le résultat : avec une audience moyenne de deux millions de vues, « En Passant pécho a le mérite d’exister mais ne permet en aucun cas de vivre de notre travail ».
Pour Ken&Ryu, les producteurs de @enpassantpecho, "les #webseries donnent une grande liberté dans l'écriture" #WESFestival
— #Wes (@WesFestival2016) 14 avril 2016
La TV : futur de la web-série ?
Et si le business model de la webcréation passait par la télévision ? Les chaînes TV investissent de plus en plus le champ de la websérie. Le département des Nouvelles Ecritures de France Télévisions dispose de 4 millions par an pour des projets narratifs innovants, dont une partie est allouée aux web séries de Studio 4. « Ces dix-huit derniers mois, nous avons mis en ligne une série par mois, sans compter les projets en développement », précise Ségolène Zaug.
Pour Pierre Laugier, adjoint au développement de Septembre Production qui co-produit « Vénérations » pour Arte Créative, web-série de 10 épisodes de 7 minutes mêlant fiction, création musicale originale et scènes de concert en live, « la question de s’adosser à un diffuseur, en l’occurrence était évidente ». « Nous avons pu utiliser les procédés traditionnels pour financer le projet (aides du CNC, de la Sacem…) et Arte nous a apporté 200.000 euros. ».
Préparer l’avenir
Non soumise à de stricts impératifs de rentabilité du fait de son statut de chaîne publique, France Télévisions botte en touche quand on l’interroge sur l’impasse économique que représente aujourd’hui la web-création : « Ce n’est pas le but, ni notre ADN en tant que chaîne publique. En tant qu’entité autonome, Studio 4 a vocation à défricher les nouveaux territoires d’expression audiovisuelle nés du Web », affirme Ségolène Zaug.
La web-création reste pour l’heure un laboratoire créatif qui vise à tester des formes innovantes de narration s’inspirant du jeu vidéo, explorant la réalité virtuelle et jouant des possibilités ouvertes par l’interaction.
Elle est aussi un moyen pour les diffuseurs de s’adresser à une audience jeune dont la consommation média est de plus en plus éloignée de l’antenne au profit de contenus web délinéarisés. « La web-série Reboot qui affiche une audience de 50 à 100.000 vues selon les épisodes est majoritairement regardée par des jeunes qui ne regardent pas la télévision », appuie Ségolène Zaug. Plus qu’une rentabilité à court ou moyen terme, les diffuseurs veulent avant tout occuper le terrain en se constituant un catalogue de programmes courts au ton neuf.
"La #websérie permet une liberté de ton et de format, de fournir des contenus qui ne sont pas les bienvenus à l'antenne" @SZaug #WESFestival
— P:S • Arts & Ent. (@Pr_Scribe) 14 avril 2016
Pour Ken&Ryu, les producteurs de @enpassantpecho, "les #webseries donnent une grande liberté dans l'écriture" #WESFestival
— #Wes (@WesFestival2016) 14 avril 2016