Par Alexandra Yeh et Emilie Balla, France Télévisions, Direction de la Prospective
À peine sorti de l'adolescence, le web serait-il en train de renier les idéaux de son origine ? Internet se recentralise en effet autour de quelques grands intermédiaires, dont les GAFAs sont les ambassadeurs les plus visibles. Aucune règle ni décision politique ne semble capable de les arrêter. Peut-on pour autant confier l'avenir du monde aux mains de quelques multinationales, aussi innovantes soient-elle ? N'essayons pas de construire des murailles de Chine pour arrêter ces nouveaux barbares. Battons-nous avec leurs propres armes, utilisons la puissance des réseaux et de la data !
"Bref, hackons les Gafas pour qu'internet reste notre bien commun", a exhorté Sébastien Soriano, président de l'ARCEP, le gendarme des télécoms et donc un peu d'Internet, ce week-end à la Gaité Lyrique lors du Festival Futur en Seine.
Pour les sceptiques, Sébastien Soriano cite un chiffre : en 2013, les GAFA auraient généré l’équivalent du PIB annuel du Danemark, tout en employant dix fois moins de personnes. Cette domination sans partage se fonde sur des effets de réseau, qui reposent sur un phénomène très simple : un réseau n’a d’intérêt que si notre entourage y est aussi. Dès lors, on comprend vite comment Google ou Facebook ont pu attirer des milliards d’internautes et devenir des mastodontes.
En choisissant de recourir aux services de ces quelques plateformes, nous avons subrepticement basculé vers ce que Sébastien Soriano appelle une « consocratie » mondiale. Nous serions en effet passés d’Etats démocratiques (pour la plupart) à un monde dirigé par la colonisation informationnelle, pour reprendre l’expression de Louis Pouzin, l’un des pères d’internet, où quelques personnes collectent et exploitent toutes les informations mondiales.
Nous avons voté avec nos clics, avec nos choix de consommateurs, et nous avons instauré un système parallèle de gouvernement dans lequel nous avons confié le pouvoir aux quelques grands milliardaires à la tête des grandes plateformes, de Mark Zuckerberg à Elon Musk en passant par Peter Thiel.
Mais aujourd’hui, une question se pose : peut-on s’appuyer sur ces quelques milliardaires pour construire l’avenir de l’humanité ? Et surtout, comment éviter la concentration toujours plus importante des plateformes et reprendre le contrôle sur nos données ?
Le président de l'ARCEP évoque ainsi trois pistes pour détrôner les GAFAs, ces géants du web connus sous le nom de Google, Apple, Facebook et Amazon.
1« Pour peser la France doit trouver son Google »
Sébastien Soriano parle d’une première solution, qui certes ne répond que partiellement à la question, mais établit déjà un panorama clair des problèmes actuels. Pour exister face aux géants du web, il est nécessaire de se faire une place dans cette course mondiale, de parvenir à peser en tant qu’européens sur le marché international, dominé par dix milliardaires dont la force réside dans la connexion en réseau.
Mais pour cela il faut proposer de la diversité : « avoir un Zuckerberg européen, mieux encore une femme aussi emblématique que le patron de Facebook, ou un musulman à la hauteur de Mark Zuckerberg », car pour Soriano « le but à atteindre c’est le monde » !
Et selon lui, la France est encore à la traîne dans le domaine de l’excellence, car elle se trompe de priorités. « Nous devrions créer des écoles de titans, des centres dans lesquels l’état d’esprit serait de viser la rapidité et non plus la perfection ». Il pointe du doigt le manque d’ambition des startups françaises, qui rêvent seulement de se faire racheter par une boîte du Cac 40 ou par Google. Il cite cette phrase connue de la Silicon Valley ; « Fail but fail fast », vous avez le droit de vous tromper, mais trompez-vous rapidement, pour rebondir et devenir les nouveaux Google !
2« Redistribuer façon puzzle »
Une autre solution pour hacker les GAFAs serait de « redistribuer les ressources à la manière d’un puzzle » en faisant éclater les grosses entreprises en morceaux, en les démantelant et les vendant par appartements.
Tout comme cela a déjà été fait avec le marché des télécoms français il y a une vingtaine d’années, rappelant que ce n’est pas si farfelu que cela. Ouvrir le marché à la concurrence, démanteler les puissants opérateurs économiques de l’internet, et les obliger à vendre certaines parties à de plus petits acteurs, pour permettre au marché d’émerger. Et redistribuer les pouvoirs pour éviter cette concentration dans les mains de ces mêmes milliardaires à qui on confie nos vies en ligne.
3Réinventer les acteurs et services
.@Sorianotech : " La réponse est aussi citoyenne, ce qui suppose aussi de barbariser l'Etat" #FENS2016 pic.twitter.com/WdxCpRSiAe
— ARCEP (@ARCEP) 10 juin 2016
La mise en réseau des personnes et des pensées permet de rendre les individus davantage autonomes. C’est une des forces des géants du web, qui ont également utilisé ces puissances de la data ou de l’intelligence artificielle. Afin que nous, Européens, puissions nous battre à armes égales face à eux, il faut justement "utiliser leurs outils, ces nouvelles technologies, la multitude et la richesse des réseaux".
Cela permettrait de redonner du pouvoir aux individus et de redéfinir des produits qui pourront remplacer ces acteurs qui nous paraissent incontournables, mais dont on peut pourtant se passer. Selon Sébastien Soriano, la solution réside dans l'« ubérisation » ou plus précisément la « blockchainisation » afin de briser ce lien très fort établi entre les consommateurs et les entreprises, qui ont pris la place des Etats. Ce que Soriano entend par là, c’est renverser la balance en redonnant un sens à la démocratie qui s’est laissée dépasser par ce qu'il appelle la "consocratie". Attendre de ces plateformes qu'elles soient loyales, ne suffira pas, ajoute-t-il.
Le défi c'est de s'organiser. La société dans son ensemble doit pouvoir contrer les GAFAs, qui ne sont que très peu contrôlés par rapport aux politiques.