Par Emilie Balla, France Télévisions, Direction de la Prospective
« Je ne connais pas bien votre métier, mais je sais que vous rencontrez un taux d’échec que l’on n’admettrait dans n’importe quelle autre entreprise, qu’elle vende des petits pois ou des automobiles ! » a lancé aux médias Patrick Georges, neurochirurgien, auteur et professeur en management à HEC Paris et à l’université libre de Bruxelles, pour débuter une conférence du Media Club la semaine dernière à Paris.
Alors que certains tentent de se justifier, le malaise est palpable dans la salle. Tout était dit.
Après les deux géants de l’informatique SAP et IBM et quelques éditeurs américains, Patrick Georges a entrepris d’aider les médias français en vulgarisant les sciences cognitives.
« Il faut combattre ce fléau des médias qui ne trouvent pas leur public » !
L'intelligence artificielle pour créer des contenus mainstream
Après 10 ans de recherches, les chercheurs en neuroscience du Fiction Lab en sont venus à la conclusion suivante : les contenus audiovisuels de type divertissement, qu’il s’agisse d’un film, d’une série ou d’une émission média doivent se soumettre aux règles de la zone 9 de notre cerveau, soit le cortex préfrontal dorsolatéral. Il s’agit du siège des fonctions cognitives supérieures, comme le langage, la réflexion ou la mémoire de travail.
Le Fiction Lab a ainsi mis au point Emotion Builder, (littéralement générateur d’émotions) un outil d’aide à la création, reposant sur l’intelligence artificielle. Le but affiché est de réduire les risques d’audience insuffisante grâce à la neuroscience. Pour ce faire, une série d’images de scripts ont été testées par le logiciel afin de savoir quels effets elles provoquaient auprès du public, mais surtout s’il s’agissait bien des réactions escomptées.
Pour ce neuroscientifique, « en matière de mainstream (qu’il différencie bien des productions artistiques), le produit doit obligatoirement plaire » c’est pourquoi il nous rappelle quelques facteurs essentiels à la satisfaction des audiences larges :
- Le flux d’informations ne doit pas dépasser les 800 mots, car aux alentours de 600 c’est l’ennui qui prend le pas, alors qu’à partir de 1000 c’est trop rapide.
- Tenter de stresser l’audience pour la captiver car elle cherche l’incertitude.
- En termes de complexité le récit doit être aux alentours de 5/9 points.
« Des scènes complexes c’est-à-dire autour de 9 points rendent le récit sérieux, cela fonctionne avec des séries telles que House of Cards, mais cela ne doit concerner qu’un nombre réduit de séquences, au risque de perdre le spectateur. En revanche trop de scènes à 3 points appauvrissent votre histoire », ajoute Patrick Georges.
La recette du succès résiderait dans cette simple équation : 16% de stress, 21% d’émotions négatives, alors que les émotions positives ne sont qu’à 10%, l’excitation tourne elle aussi à 21%, tout comme l’édification 21% ; élément très important, notamment pour les vidéos à destination du web.
Selon Patrick Georges, une série telle que Game of Thrones, qui coûte très cher et doit faire de l'audience, fonctionne avec un 4 cylindres sur 4 temps pour accrocher au maximum le spectateur : une dose d'injustice, un personnage trahi, quelques séparations et l'incapacité à agir ou le manque de responsabilité.
Toujours se demander si cela va plaire à l’audience ?
Le logiciel Emotion Builder conçu par cette équipe de scientifiques analyse les scénarios, les teste et propose une série de solutions pour améliorer le contenu, notamment lorsqu’il n’y a pas suffisamment de points de tension dans le récit. A l’image d’une check-list neutre qui pose les questions rationnelles, que l’auteur du script n’aurait pas envisagées.
Par exemple pour transmettre de l’émotion, rien de tel que la contagion entre acteur et public. Cette contagion émotionnelle se transmet essentiellement par l’œil, à partir d’un constat simple : « notre cerveau est conçu pour analyser les pupilles des autres individus », nous dit Patrick Georges. C’est pourquoi une des techniques à adopter est de faire des gros plans sur les yeux, aux iris bleus de préférence car ce qui est clair attire davantage notre attention.
Autres critères à ne pas négliger dans l’élaboration d’un scénario de film, de série ou d’émission TV en prime time :
- Un héros facilement identifiable
- Un Bechdel Index suffisant qui permet de donner une idée quant au taux de présence des femmes dans le scénario.
- Un ASV index qui indique le taux de dynamisme nécessaire surtout pour un contenu web
Pour le web, terrain de prédilection des jeunes, les consignes ne sont pas les mêmes, on ne le répétera jamais assez : il faut adapter le contenu à la plateforme !
« Le web nécessite des balises, car c’est Facebook qui se charge de recommander vos vidéos, cela favorise également les « Like » et les partages ».
Toute la difficulté des contenus vidéos sur Internet réside dans la durée de consommation ; parvenir à maintenir le spectateur jusqu’au bout s’avère compliqué lorsque les pubs, les autres onglets ouverts et les réseaux sociaux vous détournent de l’objectif premier qui était de visionner une vidéo. D’autant plus difficile que les adolescents constituent un public exigeant qui décrypte immédiatement ce qui est faux, ou sur-joué. Davantage que leurs aînés, ils sont en quête de réalité. La formule non plus n’est donc la même car 34% d’édification, aussi appelée « learning » sont indispensables concernant les vidéos YouTube, à l’image des tutos.
Va-t-on vers une standardisation des récits ? Si cela embarrasse les scénaristes, cela n’a pas l’air d’être le cas du public, « qui a besoin de 80% d’éléments familiers et 20% d’innovation », insiste Patrick Georges qui en appelle à la cré-a-ti-vi-té ! D’autant que tout ceci est éphémère car les statistiques évoluent d’une année à l’autre, à coups d'effets de mode et de concurrence accrue de la part d’autres médias. Reste un autre facteur sur lequel les médias n’ont pas de prise : la météo.