A l’IBC, la télévision se virtualise

Par Jérôme Derozard, consultant et entrepreneur

Cette semaine se tenait à Amsterdam l’IBC, grande foire annuelle du monde de la télévision où se côtoient tous les industriels du petit écran, depuis les fabricants de micro et de caméra jusqu’aux plateformes de diffusion hertzienne, satellitaire ou « over the top ».

Comme les années précédentes l’UHD (ultra haute définition ou « 4K ») était cette année au cœur des différentes offres, alors que les analystes prévoient que 40 millions de TV et 10 millions de box UHD seront déjà vendues cette année. Les exposants mettaient aussi l’accent sur le HDR (gamme de contraste étendue) et le HFR (haute fréquence d’image) qui renforcent le réalisme des programmes. Ang Lee présentait ainsi des extraits de son prochain film ultra réaliste tourné à 120 images par seconde.

8K, 360°

Les industriels japonais vont encore plus loin en promettant la 8K pour les JO de Tokyo en 2020, et démontraient cette année les premiers encodeurs vidéo « temps réel » qui permettront de diffuser en direct les jeux olympiques en résolution 7680x4320.

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Prototype d'encodeur 8K chez NTT

Deux démos, chez Harmonic et au Fraunhofer Institute, tentaient justement d’apporter une solution à ce problème : comment diffuser du contenu à 360° en ultra haute définition tout en minimisant la bande passante utilisée ? 

Bien sûr seuls les téléspectateurs disposant de l’équipement adéquat (les premiers téléviseurs coutent plus de 100.000 euros) et d’une connexion internet suffisante (minimum 100 Mbit/sec) pourront espérer en bénéficier, à condition aussi que les chaînes et diffuseurs mettent à jour leurs équipements pour supporter la 8K… Autant dire qu’il y a peu de chances que ce nouveau format s’impose d’ici 4 ans alors que la 4K commence timidement à se propager. Sauf à changer de mode de diffusion par exemple en utilisant les casques de réalité virtuelle ? Les premiers casques VR offrant une résolution de 4K par œil sont attendus prochainement ; encore faudra-t-il pouvoir diffuser un flux vidéo à 360° en direct.

La solution retenue dans les deux cas est de découper en « tuiles » indépendantes la vidéo à 360°, tuiles qui seront ensuite diffusées en différentes résolutions en fonction du point de vue de l’utilisateur. Ainsi seule la tuile au centre du champ de vision est diffusée en ultra haute définition, tandis que les tuiles en périphérie de la vision sont affichées dans des résolutions plus faibles. Lorsque l’utilisateur tourne la tête les résolutions des tuiles sont inversées. Au final selon les démonstrateurs, une vidéo à 360° filmée en « 12K » ne nécessitera qu’une diffusion « 4K » et une bande passante de quelques dizaines de Mbit/sec.

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Détails techniques de la démonstration Harmonic/TNO

A l’autre bout de la chaîne, les caméras de captation à 360° professionnelles permettant de filmer et diffuser en direct et en Ultra Haute diffusion ont fait leur apparition cette année au salon, comme la caméra Ozo du finlandais Nokia ou la Orah du français Videostitch. Ces caméras permettent également de capter le son à 360° via des microphones « 3D » pour assurer une immersion complète à l’utilisateur.

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Caméra 360° Ozo autonome

Mais malgré l’amélioration continue des capteurs et des logiciels de « stitching » qui permettent de « coudre » les différents flux en une seule vidéo à 360°, on reste loin d’une qualité « broadcast grade » pour les contenus VR. Les contenus produits restent encore du domaine de l’expérimentation pour « early adopters » et il faudra sans doute encore plusieurs années pour que la diffusion vidéo à 360° soient suffisamment mature pour permettre de réels services commerciaux.

VR, fond vert, Pokemon Go

Le domaine de la VR reste toutefois un formidable terrain d’expérimentation, comme le montrait les multiples démonstrations VR présentes sur tous les stands. Parmi les exposants de l’IBC autour de la VR on notera par exemple les français (installés à New-York) de Livelike qui démontraient leur solution de « loge virtuelle » choisie par Fox Sports pour la diffusion de rencontres de football américain.

L’accent n’est pas tant mis ici sur la diffusion vidéo à 360° que sur l’immersion virtuelle dans le stade, avec la possibilité de regarder le match dans une loge en 3D avec des amis, de changer de point de vue ou d’accéder à des contenus additionnels. Autre exposant du domaine de la VR : les suédois de Voysys, qui démontraient un logiciel d’assemblage vidéo (« stitching ») permettant de combiner le flux de plusieurs caméras, de corriger les problèmes liés au stitching et d’incruster en direct des éléments 3D sur le flux vidéo.

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L’incrustation d’éléments virtuels sur un flux vidéo 2D n’a bien sûr rien de révolutionnaire, les fameux écrans verts sont utilisés depuis des dizaines d’années. La nouveauté est l’utilisation de moteurs de rendu en 3D permettant de créer des environnements virtuels photos réalises.

La société Zero Density démontrait ainsi sur son stand son produit « Reality Virtual Studio » basé sur Unreal Engine, permettant d’incruster en direct un animateur dans un environnement 3D ultra réaliste : l’animateur peut se déplacer dans le studio virtuel, sa silhouette projette des ombres sur le décor virtuel, sa projection s’adapte à l’éclairage du studio virtuel, et le logiciel rend difficile la distinction entre accessoires réels et décors virtuels. L’animateur peut par exemple tenir dans ses mains un objet translucide comme une bouteille d’eau, le spectateur verra à l’écran le décor virtuel apparaître à travers l’objet.

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Démonstration de studio virtuel chez Zero density

Ainsi plus besoin pour les chaînes d’investir dans de coûteux décors remplacés à chaque saison, elles peuvent varier les décors à volonté au cours d’une même émission, et « téléporter » leurs animateurs de l’un à l’autre en fonction des besoins. D’autres exposants démontraient de leur côté des studios en « réalité augmentée » dans lesquels des éléments 3D peuvent être incrustés en temps réel à l’écran, une fonctionnalité largement utilisée par M6 lors du dernier Euro.

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Capture de Pokémon en studio chez Vizrt

Emission culinaire dans sa cuisine

La télévision devient ainsi de plus en plus virtuelle sans attendre l’arrivée des casques de VR ou d’AR ; la frontière entre « captation vidéo » et « environnement virtuel en 3D » devient plus poreuse et offre de nouvelles opportunités aux chaînes mais aussi aux spectateurs.

Avec le développement des capacités graphiques des smartphones associé à la hausse de la consommation – et de la production – audiovisuelle sur mobile, de nouvelles applications mêlant réalité virtuelle et programmes télévisés vont sans doute voir le jour.

Demain les téléspectateurs pourront peut-être regarder une émission culinaire se déroulant dans leur propre cuisine, participer à un radio crochet depuis leur salon, ou encore transformer leur chambre en un studio virtuel. Les fonds verts vont devenir tendance chez les « Youtubeurs » et autres « Twitcheurs »…