Réunis à Montréal cette semaine pour voir comment enrayer la désaffection de leurs jeunes auditoires, les diffuseurs publics mondiaux sont d’accord sur un point : ce sont les jeunes qui parlent le mieux aux jeunes.
Mais ils diffèrent sur le moyen d’y parvenir : d’un côté ceux qui donnent les clés aux milléniaux pour monter des structures séparées développant des nouveaux formats ; de l’autre, ceux qui, refusant les ghettos, préfèrent inclure (ou essayer d’inclure) les jeunes partout pour distiller leur ADN numérique dans l’ensemble de l’organisation.
« Future proof »
« En tout cas, si nous sommes assis là ensemble, c’est que nous avons échoué », a reconnu Thomas Sessner, directeur de la stratégie numérique de la Bayerische Rundfunk (Allemagne). "Certes, nous touchons 100% de l'audience des maisons de retraite et des maternelles. Mais il est temps d’aller au delà de ces cibles !", a résumé Michelle Guthrie, qui ex-Google, vient de prendre les rênes d’ABC, l’audiovisuel public australien.
Car ce qui réveille la nuit nos dirigeants de médias traditionnels (publics ou privés) c’est bien le lien de plus en plus ténu avec la génération du numérique qui s’informe et se divertit désormais à ses propres conditions, et risque bien, une fois « installée », de ne plus revenir vers eux. Le défi est donc de réinventer des organisations à l’épreuve de l’avenir. « Future proof », comme on dit en anglais.
Sous la pression des annonceurs qui ont bien compris le pouvoir actuel de recommandation des jeunes sur le reste de la société, les médias privés, plus agiles, mettent aujourd’hui le paquet sur les nouveaux contenus et expériences digitales.
C’est plus difficile pour les diffuseurs publics dont les atouts (confiance, qualité, sérieux, repère, enquêtes, …) sont aussi parfois des freins pour les nouvelles générations.
Convaincus d’être indispensables aux démocraties malmenées, leur but est de les (re)connecter avec ces valeurs.
« Mais pour cela, il faut faire plus que des bons contenus », prévient le pdg de CBC/Radio Canada, Hubert Lacroix.
Et là, évidemment, personne n’est d’accord !
Ceux qui leur donnent les clés : « dites-leur de nous faire peur ! »
Hôte de la conférence annuelle PBI, CBC/Radio Canada a ainsi annoncé cette semaine la création d’un Labo Jeunesse.
« Un espace de création et d’exploration créé par des milléniaux, gérés par eux et pour eux ». De 15 à 20 jeunes de différents métiers seront affectés à cette initiative baptisée « Prochaine Génération », pour proposer des nouveaux formats personnalisés début 2017 sur les antennes et les plateformes. « Dites-leur de vous faire peur », conseille un dirigeant néo-zélandais !
« Notre audience est le reflet de notre staff »
Mettre aux commandes des jeunes est bien la recette des nouveaux médias qui réussissent, comme Vice ou Al Jazeera+, et dans lesquels les milléniaux se reconnaissent. C’est un cercle vertueux : AJ+ (meilleure site 2016) est entièrement tournée vers son audience, elle-même reflet exact d’une rédaction jeune (25/30 ans), très connectée, très tournée vers les réseaux sociaux, très mondialisée.
C’est aussi ce qu’à choisi de faire, avec succès semble-t-il, le service public néerlandais avec son service expérimental NOS op3 entièrement piloté par des jeunes de 20 à 35 ans. « Nous avons laissé un jeune un mois à Molenbeek, et deux staffers sont devenus correspondants à l’étranger pour le groupe ». « Les plus anciens de la boîte nous demandent d’y faire des stages ! », assure Melvin Captein, l’un de ses rédacteurs.
Idem pour le finlandais Yle et son initiative « Kioski » doté de 14 personnes qui évangélisent le reste du groupe public.
Chez NPR, « les anciens veulent tester Facebook Live et tous rêvent d’avoir leur propre podcast ». La radio publique américaine, a aussi créé une zone de création le « story lab » qui permet à des employés de prendre deux semaines pour proposer une nouvelle idée, de même qu'une destination différente : Generation Listen qui vise à bâtir des communautés.
« Le fond n’est pas différent. C’est avant tout une question de styles ». D’où la multiplication de podcasts, mais aussi d’un ton différent qui irrigue le reste de l’organisation.
Expérience mitigée en revanche pour le site néo-zélandais The Wireless dédié aux digital natifs avec 5 employés.
« C’est très cher et ça prend beaucoup de temps », dit le directeur de la radio publique des antipodes. « Le danger d’une marque séparée, c’est que vous pensez avoir fait le job. C’est sûrement mieux d’intégrer les jeunes dans tout le storytelling et ne pas les mettre à l’écart (…) De toute façon, notre staff doit mieux refléter notre audience ».
Ceux qui n’ont pas eu le choix !
Forcée de réduire ses coûts, la BBC a transféré cette année en ligne sa chaîne jeunesse, BBC3 qui a quitté les ondes, réduit son budget de moitié, en se déployant tous azimuths.
Mais en répondant à trois impératifs d’audience : « la faire réfléchir, la faire rire et lui donner la parole », explique son directeur, Damien Kavanagh.
Il le fait, dit-il, « en prenant des risques sur les idées, les talents et les technologies » pour privilégier deux types de médias : « l’immersif et le viral », et répartir ses budgets à 80% pour les formats longs et 20% pour les courts, le plus souvent produits en interne.
Ceux qui vont les chercher
« Ce n’est pas à eux de nous trouver, c’est à nous d’aller là où ils sont. Sur Facebook, Netflix, YouTube, Snapchat etc… », estime la patronne d’ABC Australie. « A nous de nouer des partenariats avec ces acteurs. » « Car aujourd’hui nous ne sommes pas capables de personnaliser, de recommander ou même de proposer un login ».
« Quand nous investissons dans les contenus pour ces plateformes pour les 15-30 ans ça marche ! », ajoute-t-elle.
Ceux qui essaient d’en mettre à tous les niveaux
Chez RFI, la directrice Cécile Mégie, croit dans l’inclusion et refuse les ghettos de jeunes. Elle entend « faire exister les jeunes générations dans l’ensemble des programmes, avec de petites équipes multi-compétentes et en s’appuyant sur les fondamentaux du journalisme ».
Ceux qui voient loin
La NHK a réussi à intéresser les jeunes japonais à la science et à l'informatique en organisant des concours de robots très populaires, en partenariat avec les écoles d'ingénieurs et les universités, et qui s'exportent dans toute l'Asie.
Les mots clés des générations Y et Z
Authenticité, transparence, no bullshit, no filter, co-création, rejet de l’ordre établi, vidéo, mobile, social, local, engagement, live, data, Instagram, Facebook, YouTube, Snapchat, imparfait, good enough, possibilité de se planter, musique, environnement, justice sociale, droits civiques, inégalités de revenus, diversité, tolérance, LGBT, comédie, utile, …
Les jeunes doivent donc être moins des cibles que des partenaires dans ce processus de reconquête. Pour cela, « nous ne devons pas changer qui nous sommes, mais ce que nous sommes », résume le patron du numérique de CBC/Radio Canada.
Donc, le plus dur, c’est la culture !
Oui, tous reconnaissent que le défi principal de leur organisation est aujourd'hui le changement culturel à opérer.
« La priorité est de changer radicalement l’état d’esprit », dit Jean Paul Philippot, patron de la RTBF (Belgique) et de l’UER européen qui regrette dans ces vieilles maisons « l’héritage d’une mentalité d’administration ». Ce qui signifie par exemple passer du « moi je travaille sur le programme X » à « mes compétences sont… », décrit l’australienne.
« Mon principal boulot est de rafraîchir la culture de l’organisation et d’en changer l’ADN », renchérit son homologue néo-zélandais.
Résultat, note une dirigeante du service public finlandais, tout ceci se résume ainsi : « serons nous capables de changer assez rapidement et profondément ? ».
A suivre !