VR, IA, maison connectée : Google défend sa place au-delà du mobile

Par Jérôme Derozard, consultant et entrepreneur. Billet invité

La « keynote » de rentrée de Google hier soir, sur sa nouvelle gamme de produits, colle de près à Apple. Comme pour la firme de Cupertino, elle fut orientée consommateurs et matériels, et intervient après celle de juin dédiée aux développeurs et logiciels. Mais c'est loin d'être la seule similarité. La bagarre s'annonce rude ! Amazon et Facebook sont aussi dans la ligne de mire. C'est le monde de demain qui se prépare.

Décryptage. 

De "mobile first" à "AI first" 

L’introduction du PDG Sundar Pichai a rappelé la transition de l’informatique depuis le PC dans les années 80, le web dans les années 90, le mobile dans les années 2000, jusqu’à l’intelligence artificielle aujourd’hui. Nous passons aujourd’hui d’un monde « mobile first » à un monde « AI first », où l’informatique est dématérialisée et pervasive dans tous les objets qui nous entourent.

C’est dans optique que Google a présenté son Assistant en mai dernier, avec lequel les utilisateurs peuvent établir une vraie conversation. Google veut créer un moteur de recherche non pas personnalisé mais personnel, qui connaisse l’utilisateur et puisse le suivre de partout et répondre à toutes ses demandes, même les plus farfelues.

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Quelques-unes des demandes auxquelles peut répondre Google Assistant

Pour atteindre ce but, Google travaille sur tous les aspects de l’Intelligence Artificielle : son « knowledge graph », qui permet d’organiser et relier les informations indexées par son moteur de recherche pour répondre à des questions ouvertes – le moteur répertorie aujourd’hui plus de 70 milliards de concepts, faits ou lieux. L’analyse de langage naturel, la traduction, la reconnaissance vocale, la reconnaissance d’images et la synthèse vocale également, pour lesquelles les performances se rapprochent de celles des humains grâce à l’utilisation des réseaux neuronaux.

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Comparaison de performances entre IA et humains

En combinant ces différentes compétences Google souhaite rendre son assistant vraiment personnel, capable d’avoir sa propre personnalité et même sa propre voix. Visiblement on rêve beaucoup de Scarlett Johansson à Mountain View…

Mais comment donner accès au Google Assistant de partout, en mobilité ou à la maison, et dans de bonnes conditions, lorsque que l’on se contente de fournir la partie logicielle sans la partie matérielle, à la différence d’Apple ou d’Amazon ? Les initiatives timides de Google dans le matériel ont pour la plupart échoué faute d’un chef d’orchestre unique et d’une vraie motivation, aussi la société a choisi d’unifier tous ses efforts sous la direction d’un seul homme - Rick Osterloh, ancien de Motorola. Il a pour objectif de « montrer le meilleur de Google dans des appareils » en s’assurant que logiciels et matériels s’intègrent au mieux.

Le 1er téléphone Google intègre la VR

Premier produit issu de cette nouvelle approche : le Pixel - premier « téléphone par Google » (mais fabriqué par HTC dont le nom n’apparaît nulle part). Il se veut performant, simple et facile à utiliser – comme un iPhone – et est d’ailleurs proposé au prix… d’un iPhone (à partir de 759€).

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Le Pixel fonctionne sous la dernière version d’Android (Nougat) et est le premier à intégrer le « Google assistant », qui reprend un certain nombre de fonctionnalités déjà disponibles sur Google Now, mais en délaisse l’approche « moteur de recherche » pour une approche conversationnelle « à la Siri ».

Dans sa communication Google met l’accent sur son appareil photo – traditionnellement un point fort des smartphones Apple ; sur le stockage illimité et gratuit des photos et vidéos « dans le cloud » sans redimensionnement (y compris pour les vidéos 4K) et sur le logiciel de communication Duo qui fonctionne aussi bien sur Android qu’iPhone (à la différence de Facetime). Toujours pour attirer les utilisateurs Apple, Google propose une application de transfert de données depuis un iPhone, un système de financement et un service client dédié 24/24 et 7 jours sur 7. Au final tout est fait pour convaincre les fidèles de la marque à la pomme de sauter le pas vers le monde Google et de délaisser Siri pour Google Assistant.

Le principal point de différenciation du Pixel avec l’iPhone est son support de la réalité virtuelle.

Le Pixel est en effet le premier téléphone compatible Daydream, le système VR de Google, évolution du rudimentaire Cardboard. Les utilisateurs qui précommandent un Pixel recevront d’ailleurs gratuitement le Daydream View, le premier casque VR mobile de Google qui concurrence directement la Gear VR de Samsung et Facebook.

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Ce casque pourra être acheté séparément au prix de 79$ à partir du mois de novembre et fonctionnera avec les autres smartphones Android certifiés Daydream. Grâce là aussi à une meilleure intégration entre matériel et logiciel, le View promet une faible latence et un meilleur confort d’utilisation que les autres casques mobiles VR. Il est fabriqué en tissu pour être plus léger, facile à mettre en place et confortable ; il est fourni avec un contrôleur permettant de cliquer, pointer ou « swiper » sans avoir à toucher le casque. Plusieurs coloris seront disponibles pour faire du Daydream View le premier casque de VR « fashion », et inciter ses utilisateurs à l’utiliser en public, le discret logo « G » assurant la promotion de la marque.

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Le système Daydream arrivant après les autres écosystèmes VR (Oculus VR, Steam VR), il est aussi essentiel que des contenus VR soient disponibles en nombre dès le lancement. Outre ses services maisons YouTube, Maps et Play Movies, Google a mis en place près de 50 partenariats avec des fournisseurs de contenus : Warner Bros pour une « expérience VR » basée sur l’univers d’Harry Potter ; CCP Games avec un jeu basé sur l’univers EVE ; le New-York Times qui mettra à disposition ses reportages à 360° ; mais aussi des partenariats avec les services de streaming Netflix, Hulu et HBO Now qui proposeront l’accès à leurs catalogues depuis Daydream.

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Interface VR du service Hulu

Avec Daydream Google a l’occasion de se différencier d’Apple mais surtout de rattraper son retard sur Facebook dans la VR ; celui-ci devrait d’ailleurs annoncer les dernières évolutions de son système Oculus cette semaine lors de sa conférence Oculus Connect.

Autre terrain où Google a du retard : la maison connectée. Pour cela Google a annoncé 3 nouveaux produits, dont Google Wifi un répéteur permettant d’améliorer la couverture d’un réseau sans-fil à la maison. Pilotable depuis une application mobile, il permet de définir des règles d’utilisation du réseau pour chaque appareil connecté.

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Autre nouveauté très attendue : la Chromecast Ultra. Il s’agit de la nouvelle version de la clé TV de Google qui s’est vendue à 30 millions d’exemplaires dans le monde depuis 2013 (soit l’équivalent des ventes totales de l’Apple TV). Cette nouvelle version propose pour 69$ (79€ en France, le double du modèle précédent qui est toujours en vente) de diffuser des vidéos en UHD (Ultra Haute Définition) et HDR (large gamme de contraste).

Il ne s’agit pas du premier produit 4K compatible Google Cast, d’autres téléviseurs ou box UHD sont déjà disponibles sur le marché, par exemple la nouvelle Mi Box 4K de Xiaomi lancée lundi aux Etats-Unis au même prix. C’est par contre le premier produit à supporter officiellement le « cast » de contenus en 4K depuis les applications compatibles : Netflix, Vudu ou YouTube. La Chromecast Ultra se positionne sur le marché encombré des box OTT face à la Fire TV d’Amazon et la Roku Premiere qui supportent également l’UHD.

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Dernier produit présenté par Google, et sans doute celui qui bénéficie le plus du Google Assistant : le Google Home. Il s’agit du haut-parleur intelligent annoncé à Google I/O en mai dernier, qui concurrence frontalement l’Echo d’Amazon (déjà vendu à plus de 3 millions d’exemplaires et qui vient d’être lancé au Royaume-Uni et en Allemagne). Proposé à 129$ (50$ de moins que son concurrent) il sera disponible en novembre aux Etats-Unis uniquement.

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Comme l’Echo d’Amazon, Google Home permet d’accéder à divers services musicaux comme Spotify, Pandora ou YouTube Music, et de les piloter via commande vocale. Il supporte en plus le protocole Google Cast, et peut diffuser de la musique, des podcasts ou des radios internet provenant d’une application mobile. Il permet comme le produit d’Amazon de contrôler des appareils domotiques, la liste des partenaires étant toutefois moins fournie avec seulement Nest (autre division d’Alphabet), Smarthings de Samsung, Hue de Philips et la plateforme IFTTT. La principale différence est là aussi le support du Google Cast qui permet de lancer directement via commande vocale la lecture d’une vidéo YouTube ou d’un album Google Photos sur une TV équipée d’une Chromecast.

Mais là où Google compte se différencier par rapport à Amazon c’est dans l’accès au Google Assistant et à travers lui à l’ensemble des services Google. Il sera ainsi possible de chercher une adresse sur Google Maps et d’obtenir un itinéraire, de poser une question et d’obtenir une réponse via le « knowledge graph » ou un extrait de site web (ce qui risque de poser certains problèmes de droits). Google Home proposera également un « briefing quotidien » synthétisant les évènements planifiés dans Google Agenda, la météo de la journée, le trafic routier sur le chemin du travail…

Google travaille aussi avec des partenaires médias comme CNN, le Wall Street Journal ou Elle pour proposer des contenus additionnels dans ce briefing ou accessibles sur demande de l’utilisateur.

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Partenaires de Google Home

Pour augmenter le nombre de partenaires et tenter de rattraper Amazon et ses plus de 3.000 « skills » (bots vocaux), Google va en outre mettre en place une nouvelle plateforme « Actions on Google » permettant aux développeurs de créer de nouvelles intégrations à Google Assistant. Cette plateforme devrait être lancée début décembre ; elle permettra d’abord de créer des « actions directes » pour déclencher une commande sur une application ou un appareil externe via commande vocale, sur le modèle des « voice actions » disponibles sur Android. Ce type d’intégration sera particulièrement adapté pour la domotique ou pour la lecture de contenus médias ; Netflix implémente actuellement ce type d’intégration sur son service.

Pour des intégrations plus complexes nécessitant un échange (vocal, textuel ou hybride) entre l’utilisateur et le service (par exemple commander une voiture via Uber), un autre type d’actions sera proposée : les « actions conversationnelles ». Pour cela Google va s’appuyer sur la plateforme api.ai rachetée il y a seulement quelques semaines, et qui se positionne comme concurrent de wit.ai (racheté par Facebook) ou du Bot Framework de Microsoft.

D’autres appareils proposés par des tiers et intégrant Google Assistant pourraient faire leur apparition l’année prochaine suite à la sortie du « Embedded Google Assistant SDK », équivalent du « Alexa Voice Service » d’Amazon. Ou même mieux. Ce SDK permettra d’intégrer les fonctionnalités d’Assistant, notamment la recherche vocale, dans d’autres appareils depuis un simple « Raspberry Pi » jusqu’aux appareils plus complexes comme le frigo connecté.

Made by Google

Au final c’est une gamme entière de produits « made by Google » que le groupe vient de dévoiler, chacun étant positionné pour protéger Google d’un service directement concurrent : le Pixel face à l’iPhone et Siri, alternative à Google Search ; le Daydream View face au Gear VR et Oculus, concurrençant Android et YouTube ; Google Home face à l’Echo et Alexa, autre alternative à Google Search. Aux consommateurs de décider à présent quels produits ils mettront sous le sapin.

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