Web Summit à Lisbonne : l'hypermarché des start-ups !

Par Frédéric Lecoin, Direction de l'Innovation | Relations avec les start-ups

C'est lundi et il neige sur Paris, ce sont les premiers flocons de la saison. Quelques heures plus tard, l’atterrissage s’effectue sous le soleil et 10 degrés de plus… Quel contraste ! Me voici plongé dans mon environnement des 3 jours suivants : après plusieurs éditions à Dublin, le Web Summit déménage à Lisbonne pour le plus grand bonheur des participants mais également de la capitale portugaise qui cherche à booster son économie et attirer des acteurs des nouvelles technologies.

Le Web Summit, c’est l’un des plus grands événements européens autour des technologies numériques, plus de 50 000 participants, 1 500 start-ups exposantes et près de 700 intervenants issus d’horizons très divers.

En ce qui me concerne, il s’agit d’une première plongée dans un événement de ce type, entre excitation de découvrir Lisbonne, d’assister à des conférences passionnantes, de rencontrer des start-ups dynamiques et appréhension liée à cette énorme machine.

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Un événement gigantesque

Pendant 3 jours, 50 000 personnes ont donc envahi Lisbonne, et plus particulièrement la MEO Arena. Pour le métro lisboète, c’est beaucoup ! Peut-être trop ! Chaque matin, la « linha vermelha » déverse difficilement son flot de startupers, d’investisseurs, de journalistes, de professionnels des nouvelles technologies partis à l’abordage du centre de conférence constitué de 4 pavillons et une enceinte équivalente à celle de Paris-Bercy.

On se sent un peu perdu et bien petit au milieu de tout ce beau monde. La première journée est l’occasion de visiter le centre -involontairement- de fond en comble, en multipliant les allers et venues entre les différentes scènes d’intervention, les stands des start-ups, les points d’information et les espaces de restauration. Par la suite, les participants apprennent à rationaliser leurs déplacements !

 Day 3 lets go #WebSummit pic.twitter.com/G3nbIaLpxe

Le programme des trois journées du Web Summit est chargé et ne laisse que peu de place à la flânerie dans la capitale portugaise. Les conférences sont incessantes, simultanées, sur des thèmes très variées, avec une approche très globale, stratégique ou politique. Quelques exemples : « Will technology kill democracy ? », « Facebook, ten years from now… » ou encore « The future of the worker ». Elles proposent des interventions assez courtes de personnalités, comme António Costa, Premier ministre portugais, Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, Sean Rad, fondateur de Tinder, ou la youtubeuse Meredith Foster. Au final, peu de surprises, peu d’annonces, et un programme de conférences jugé guère dynamique et assez décevant.

Et en effet, l’essentiel du Web Summit ne se joue pas sur les scènes du « Centre Stage », du « Panda Conf » ou du « Future Societies » mais dans les allées du centre de conférence dans lesquelles se développe un monde parallèle.

Pas de saudade, de fado ou de pastéis de nata, mais des start-ups (beaucoup!) et du business

Les allées de trois pavillons accueillent ainsi des start-ups différentes chaque jour, sur des stands, des workshops dédiées à ces jeunes sociétés et des scènes de pitchs. L’activité de ces start-ups porte sur la finance, le sport, les objets connectés, la santé, les datas, l’intelligence artificielle, etc. Ces start-ups sont classées par thématiques, mais également par stade d’avancement, de « alpha », pour les sociétés émergentes, à « start », pour celles davantage installées, en passant par « beta » pour les start-ups ayant déjà opéré des levées de fonds.

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Les stands des start-ups constituent des lieux de networking, de prospection, de business. Dans cet univers numérique, les cartes de visite continuent à s’échanger frénétiquement ; l’échange et la parole restent le moyen privilégié d’acheter, de vendre, d’interpeller, de créer le contact, de convaincre.

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Dans ce grand supermarché des start-ups, pas de grand show, pas de stands démesurés (y compris pour les quelques grandes entreprises présentes, surtout portugaises), pas de démonstrations attirant la foule, mais des rencontres sur des stands minimalistes, réattribués chaque jour à un nouveau « locataire ». Face à cette offre quasi infinie, le participant a intérêt à préparer sa journée et identifier au préalable ses centres d’intérêt, au risque de se perdre, à nouveau.

Point de ralliement dans ce vaste espace pour tout participant français, le stand French Tech est quant à lui présent sur toute la durée du salon. Il marque, une fois de plus, physiquement en tout cas, la présence française, le volontarisme public dans le domaine et symbolise le dynamisme de l’écosystème français, représenté par de nombreuses start-ups. Et c’est là l’un des paradoxes de ce type d’événement : rencontrer à Lisbonne des start-ups… françaises !

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Le paradoxe d’un événement déconnecté ?

Il ne s’agit pas de critiquer ici une connexion wifi aléatoire dans l’enceinte du salon. D’ailleurs, celle-ci n’empêchait pas les participants d’être souvent plongés dans leur smartphone et leur application Web Summit dédiée.

En revanche, le Web Summit a beau se féliciter d’avoir impulsé une démarche « Women in Tech » et d’avoir compté près de la moitié de participantes (42% précisément), la représentation féminine dans le cadre des conférences était bien inférieure, de nombreux panels étant même uniquement masculin. Un décalage d’autant plus regrettable que l’univers start-up sur place semblait effectivement plus mixte, une situation encouragée par des tarifs préférentiels proposés par les organisateurs.

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Autre décalage au Web Summit : si l’on se fie aux mines déconfites mercredi 9 novembre et aux propos tenus par les intervenants, l’univers tech ne vote clairement pas républicain et surtout se désolidarise complètement du vote d’une partie des citoyens américains en faveur de Donald Trump.

Comme le rappelle Les Échos, « en ouverture de la journée, l'organisateur du Web Summit Paddy Cosgrave a même appelé les spectateurs de la gigantesque scène centrale à allumer la lampe torche de leur téléphone portable. "Une ère incertaine est en train de s'ouvrir, une ère des ténèbres. Faites de la lumière pour lutter contre cette ère des ténèbres", s'est-il exclamé au micro. »

Un affichage et des postures qui ne proposaient finalement que peu d’analyse sur ce vote et ses raisons, et qui pourraient interroger sur la capacité de l’univers des nouvelles technologies à être en phase avec une partie de ses utilisateurs. Inversement, celles-ci pourraient aussi apporter une réponse aux enjeux qui traversent nos sociétés, avec leur capacité à créer du lien et à faciliter la circulation des informations.

Les tendances : storytelling, engagement, intelligence artificielle et sport

Les problématiques des médias ne sont que peu au cœur du Web Summit : elles sont d’ailleurs davantage traitées dans les conférences que prises en compte par les start-ups présentes sur place. Au cours de la première journée tout particulièrement, le sport était le secteur star du Web Summit. Une zone entière de l’un des pavillons était consacrée à ce secteur, avec une scène de conférences, des stands de start-ups proposant des innovations dans la pratique du sport, des animations ou encore le stand de la Ligue professionnelle de football espagnole.

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Le clou du spectacle était assuré par la présence sur la scène principale du « Centre stage » de plusieurs vedettes du ballon rond (Ronaldinho, Luis Figo, Louis Saha…) qui assurèrent le show et firent vibrer l’assistance présente, pas loin de l’hystérie !

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Concernant l’univers des médias, la VR se retrouve bien sûr au cœur des sujets et des propositions. Le terme « réalité virtuelle », plutôt attaché à la technologie, est progressivement remplacé par le concept de « storytelling » qui doit s’imposer aux médias. On constate là un retour aux sources, un retour aux contenus, les supports et les technologies étant au service d’une histoire à raconter, de contenus à mettre en valeur pour toucher le public de la manière la plus appropriée possible.

Ce storytelling comme la mise en valeur des contenus doivent favoriser l’engagement des publics, c’est là encore l’un des buzz words de ce salon. Les médias doivent proposer des expériences au public, et des expériences adaptées en fonction de leur lieu de distribution. La mise en scène du débat entre Gregory Gittrich (CCO de Mashable) et Tom Dotan (journaliste de The Information) sur le risque des marques à diluer leur valeur en assurant leur présence sur les réseaux sociaux ne trompent personne : tous les participants sont conscients des risques, mais voient finalement dans les réseaux des opportunités de business et de toucher des publics variés dès lors que les offres sont adaptées et spécifiques aux plateformes.

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Enfin, l’intelligence artificielle occupait une place de choix au Web Summit, comme le démontrait la présence de nombreuses start-ups dans le champ des chatbots, cet outil supposé réunir à termes l’univers des applications et du web mobile dans une logique d’interaction plus poussée. L’une d’entre elles, It’s Alive, proposait même de découvrir l'ensemble des start-ups présentes avec le « Web Summit Bot », toujours disponible sur Messenger.

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Au final, que retenir de cette édition du Web Summit ?

Il s’agit bel et bien de l’un des plus grands événements européens des nouvelles technologies et la bataille des chiffres prouve toute la compétition qui existe entre les capitales européennes pour attirer ce type d’événements et tenter d'en faire l’équivalent d’un CES ou d’un South by Southwest. Ce gigantisme se fait parfois au détriment du fond et des start-ups elles-mêmes qui apparaissent comme jetables.

Il existe au Web Summit un vrai dynamisme, une énergie entièrement tournée vers le business et de futurs partenariats, dans un univers peut-être trop centré sur lui-même, pas assez ouvert vers la société, qui oublie la valeur à apporter à celle-ci, aux citoyens, aux entreprises. Mais ce sentiment n’est peut-être que l’effet de la saudade qui m’a saisi à mon départ de Lisbonne…